Colombie
Otages : Alvaro Uribe fait volte-face

(Photo : AFP)
Pour la première fois depuis quatre ans, le 27 septembre dernier, les familles de 58 otages aux mains de la guérilla colombienne se prenaient à espérer la libération des leurs. Tant du côté du gouvernement en place que de celui des Farc, le climat semblait être propice à des échanges humanitaires pour libérer plusieurs dizaines de guerilleros (sur 500 prisonniers politiques) contre une soixantaine d’otages captifs des Farc (sur 1 600). Pour ce faire, le président avait fait un premier pas et accepté l’exigence des Farc de démilitariser les deux municipalités de Florida et Pradera (sud-ouest). Mais Alvaro Uribe s'est rétracté et depuis, les négociations ont piétiné au grand désespoir des familles d’otages. A la suite d’un attentat à la voiture piégée, jeudi, à l’école militaire de Bogota -dont il accuse les Farc d’être à l’origine- le chef d'Etat est monté au créneau en décidant d'interrompre les négociations avec ceux qu'il désigne comme étant des «vauriens» et des «terroristes».
«Je révoque l’autorisation donnée au commissaire [à la paix] du gouvernement, Luis Carlos Restrepo, de rencontrer les Farc tant que dureront ces actions terroristes. La farce de l’échange humanitaire demandé par les Farc ne peut pas se poursuivre. La seule option qui reste, c’est un sauvetage militaire et policier des otages», a déclaré le chef de l’Etat dans un discours à la nation, depuis le lieu même de l’attentat qui a blessé cinq militaires et dix civils à Bogota.
La France, hostile au recours militaire pour «le sauvetage» des otages
Déterminé et belliqueux, il a assuré : «Nous devons intensifier nos efforts et nos renseignements pour délivrer les otages. C’est le moment de rechercher efficacement tous les meneurs. Je demande à Jorge Briceno, alias El Mono Jojoy [un des dirigeants des Farc], s’il a la lâcheté de nier qu’il a ordonné cet attentat depuis son refuge de lâches dans la forêt». Alvaro Uribe a demandé en outre aux trois pays européens impliqués dans la médiation -la France, l'Espagne et la Suisse- de fournir une aide militaire pour garantir la libération des otages.
«La France a pris connaissance des déclarations du président Alvaro Uribe. Comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises dans le passé, notamment par la voix du président de la République, elle marque son hostilité à toute opération de sauvetage des otages par la force», a répliqué par voie diplomatique le ministre français des Affaires étrangères qui s’est déclaré «convaincu qu’une solution pacifique est possible». Il a assuré : «La France continue à œuvrer à l’élaboration de propositions pour démilitariser» la zone du sud-ouest de la Colombie.
Caroline Cano
Membre d’Amnesty International
«Ce manque de dialogue montre, encore, que l’on est très loin de pouvoir obtenir un accord humanitaire qui devait faire respecter le droit humanitaire et laisser la population civile en dehors du conflit car c’est principalement elle qui est en victime.»
Un pas en avant, un pas en arrière
La fédération internationale des Comités Ingrid Betancourt (Ficib), qui regroupe une cinquantaine d’associations dans divers pays, ainsi que le porte-parole du mouvement des Verts en Colombie, Sergio Coronado, ont demandé au gouvernement français de continuer à intervenir pour faire valoir la voie du dialogue. La Ficib a appelé «le président français Jacques Chirac et tous les gouvernements européens à intervenir auprès du gouvernement colombien pour qu’il continue à rechercher une solution négociée et non militaire au problème des otages». «Ce type d’opération s’est souvent terminé dans un bain de sang. La décision du président (colombien) met en danger la vie des otages», a insisté de son côté Sergio Coronado. Le chef de la Diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, a assuré «l’engagement total» de Paris dans cette affaire.
Les familles des victimes ont, quant à elles, le sentiment que les deux parties jouent au chat et à la souris : «Sans aller jusqu’à accuser le président Uribe et les chefs des Farc de manquer de volonté, disons qu’ils ne comprennent pas qu’il faut agir le plus rapidement possible. Ils ne ressentent pas comme nous l’urgence face au temps qui passe et qui est insupportable», s’émeut Mélanie, la fille d’Ingrid Bétancourt. Toutes les familles des victimes redoutent le pire : «Sachez, monsieur le président, que la libération par la force serait un désastre total, a aussitôt affirmé Marleny Orjuela, présidente de l’Asfamipaz (association de familles de policiers et soldats séquestrés. Nous n’acceptons pas les libérations de nos fils par le sang et le feu.» «C’est une condamnation à mort des personnes séquestrées», a déploré Yolanda Pulecio, la mère de l’otage Ingrid Bétancourt -enlevée en février 2002.
«Sale jeu de poker menteur»
Peu après des déclarations prometteuses du président qui avait assuré être prêt à rencontrer personnellement l’état major des Farc pour signer un accord de paix «si cela était nécessaire pour y parvenir», le ton a changé et très vite les dites négociations ont piétiné. La guérilla des Farc, qui s’était déclarée prête à procéder à la libération des otages contre celle des rebelles, a refusé, comme l’exigeait le gouvernement colombien, de désarmer ses hommes dans la zone d’échange. «Les Farc n’attendent plus que le décret présidentiel et le retrait de la force publique pour débuter leur mission», déclaraient quant à eux, le 5 octobre dernier, les guérilleros. Le ministre de l’Intérieur et de la Justice, Carlos Holguin, a dès lors estimé que les Farc posaient des «exigences très hautes pour les prémices de la discussion» et que leur attitude correspondait «davantage à une stratégie de communication que de négociation».
S’agirait-il d’un attentat alibi pour définitivement mettre fin aux négociations entamées ? C’est que laissent entendre les Farc dans un communiqué diffusé sur leur site internet. L’agence de presse Anncol, proche des Farc suggérait vendredi que l’explosion de la camionnette piégée avec 60 kg d’explosifs dont le chauffeur portait un uniforme de la marine, serait «un nouvel auto-attentat organisé par l’armée elle-même», comme ce fut le cas en juillet dernier. Un diplomate européen, qui a requis l'anonymat dénonce un «sale jeu de poker menteur d'Uribe et des FARC qui consiste à faire porter à la partie adverse la responsabilité de l'échec de l'accord humanitaire». Andres Hernandez, analyste de l'Université des Andes de Bogota, s'interroge également sur le dernier attentat : «Qui sont les terroristes ? Viennent-ils de l'Etat, des FARC ou d'organisations criminelles ?». Le 31 juillet dernier, l’explosion d’un véhicule avait causé la mort d’un civil et fait huit blessés, tous militaires colombiens. Quelques jours plus tard, les journaux auraient révélé, preuve à l’appui, que les auteurs étaient des militaires.
par Dominique Raizon
Article publié le 21/10/2006 Dernière mise à jour le 21/10/2006 à 17:06 TU