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France

Maurice Papon: la dernière polémique

Maurice Papon a été enterré avec la Légion d'honneur. 

		(Photo : AFP)
Maurice Papon a été enterré avec la Légion d'honneur.
(Photo : AFP)

Malgré l’indignation, Maurice Papon, seul haut fonctionnaire français condamné pour complicité de crimes contre l'humanité pour sa responsabilité dans la déportation de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, a été inhumé, ce mercredi, avec la Légion d’honneur, alors que le port de cette décoration lui était interdit depuis sa condamnation. Après une longue carrière dans les plus hautes sphères de l’Etat, dont un poste de ministre (1978-81), Maurice Papon a été rattrapé par son passé et condamné à 10 ans de réclusion criminelle en 1998, près de 60 ans après les faits. Néanmoins, il n’a passé que trois ans en prison et n’a jamais voulu demander pardon à ses victimes. Il n’a pas non plus reconnu sa responsabilité dans la sanglante répression de la manifestation pacifique des Algériens à Paris, le 17 octobre 1961, alors qu’il était préfet de police de la capitale.


Symbole d’une page sombre de l’histoire de France, qui fut celle de la collaboration du régime de Vichy durant l’occupation nazie pendant la Seconde guerre mondiale, Maurice Papon aura suscité la polémique jusqu’au bout.

Décédé le 17 février, Maurice Papon va être inhumé au cimetière de Gretz-Armainvilliers, près de Paris, commune où il était né le 3 septembre 1910 et où il résidait. Il emportera sans doute avec lui la Légion d’honneur, la plus haute distinction française. Son avocat, maître Francis Vuillemin, a provoqué un tollé, en annonçant dimanche qu’il veillerait «personnellement» à ce que le défunt soit inhumé avec sa Légion d’honneur. Cette annonce a provoqué un véritable malaise et suscité une vague de protestations au sein de la classe politique, à droite comme à gauche, tandis que les familles des victimes ont exprimé leur indignation, qualifiant de «provocation» la démarche de l’avocat de Maurice Papon.

«Inadmissible d’en faire un acte politique»

«Si sa famille ou son avocat décident de mettre sa Légion d’honneur dans son cercueil, ça m’indiffère. Ce qui est inadmissible, c’est de le faire savoir, d’essayer d’en faire un évènement, un acte politique», a déclaré Michel Zaoui, avocat de quelques-unes des familles des 1690 juifs déportés de France, par décision de Maurice Papon. Maître Michel Zaoui y voit «une pauvre tentative de revanche post-mortem».

«En plus d’être un mort sans remords, il veut rester un mort revanchard. Jusqu’au bout, il n’aura pas changé. Il aurait pu, avant de partir, se montrer enfin humain, vis-à-vis des victimes. Au lieu de cela, celui qui était un fonctionnaire zélé fait fi, une dernière fois, de l’ordre républicain», a commenté, pour sa part, Jean-Philippe Husetowski, dont les parents déportés ont été exterminés au camp de concentration d’Auschwitz.

Les condamnations de la classe politique ont été presque unanimes, hormis le candidat du Front National à la présidentielle, Jean-Marie Le Pen, pour qui Maurice Papon était «un bouc émissaire» car, dit-il, «on fait porter à un sous-préfet la responsabilité d'une politique qui aurait engagé un gouvernement pendant cinq ans». Selon lui, ce serait «petit et bas» d'empêcher sa famille de l'inhumer avec sa décoration. Pour sa part, le sénateur socialiste Robert Badinter, ancien ministre de la Justice, a jugé la polémique sans «aucun intérêt».

L’UMP et le Parti socialiste se sont déclarés opposés à ce que Maurice Papon soit enterré avec la plus haute distinction française. Le Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, a lancé qu’avec la disparition de Maurice Papon, «c’est le symbole de la collaboration de l’Etat français qui disparaît». Dans un communiqué, le Parti socialiste a estimé qu’une telle inhumation représenterait «un geste blessant et déplacé à l'égard des victimes et familles de victimes de la déportation» et que ce serait «une forme de réhabilitation posthume, voire de négation des faits graves et indignes dont il a été reconnu coupable».

Cela serait «choquant» a, pour sa part, déclaré Bernard Accoyer, président du groupe UMP, majoritaire à l’Assemblée nationale, laissant entendre qu’il souhaitait que le président Jacques Chirac intervienne afin que «rien ne vienne entacher cette distinction emblématique».

Philippe de Villiers, candidat du Mouvement pour la France (MPF) à la présidentielle, considère que le souvenir de Maurice Papon «ne doit pas salir l'image de la France».

José Bové, candidat de l'Alternative à gauche à la présidentielle, estime qu’il «illustre les dérives d'une République toujours trop faible lorsqu'il s'agit de combattre l'antisémitisme et le racisme».

 «Mal à l’aise» parce qu’elle considère que «la mort, c'est une question privée», la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie a estimé qu’ «il y a un moment où les polémiques ne sont plus de mise». Pour la ministre, «Maurice Papon est mort après avoir été condamné, après qu'on lui a retiré sa Légion d'honneur. Point à la ligne».

Face à la polémique, le grand chancelier de la Légion d’honneur, le général Jean-Pierre Kelche, a tenu à rappeler, dans un communiqué, que Maurice Papon avait été exclu de l’ordre de la Légion d’honneur, après sa condamnation pour crime contre l’humanité. N’empêche que Maurice Papon n’a jamais accepté cette exclusion et tenait à afficher les insignes de commandeur que lui a remis le Général De Gaulle, en juillet 1961. Suite à la publication d’une photo où il arborait fièrement sa décoration, Maurice Papon avait été condamné en mars 2005 par la cour d’appel de Paris, pour port illégal de sa Légion d’honneur.

El Watan dénonce l'impunité

Après cette polémique autour de ses insignes, reste un certain malaise. Maurice Papon a occupé de très hautes fonctions, après avoir été le fonctionnaire «zélé» à l’origine de l’envoi en déportation de beaucoup d’innocents.

En 1978, il était nommé ministre du Budget du gouvernement de Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Les deux hommes ont tenu à préciser qu’ils «ne connaissaient pas le passé vichyste» de leur collaborateur lorsqu'ils l'ont désigné.

Pour Serge Klarsfeld, président de l’association Les Fils et Filles des déportés juifs de France, Maurice Papon, préfet de Paris pendant douze ans et ministre, avait été «protégé avant et pendant son procès».

La Ligue des Droits de l’Homme a dénoncé l’inégalité devant la loi pour la libération des détenus. Libéré au motif qu’il était atteint « d’une pathologie engageant un pronostic vital », il était sorti de prison en septembre 2002, après trois ans de prison, alors qu’il en avait été condamné à dix.

Pour sa part, Arlette Laguiller, candidate de Lutte ouvrière à la présidentielle, a souligné que Papon «avait sur la conscience non seulement les juifs déportés, mais aussi, on n'a jamais su combien d'Algériens massacrés lors d'une manifestation le 17 octobre 1961 à Paris (... et) la mort de neuf manifestants communistes, du fait de sa police, au métro Charonne, en février 1962».

Sous le titre «un criminel s’en va dans l’impunité», le grand journal de langue arabe, El Watan, rappelle la sanglante répression de la manifestation pacifique des Algériens de Paris, le 17 octobre 1961, pour protester  contre le couvre-feu décidé par le préfet de police Maurice Papon qui avait décrété la fermeture des débits de boissons fréquentés par les «Nord-Africains», dès 19h, pour empêcher les attentats du FLN contre les forces de police. «Les manifestants sont battus, torturés, assassinés. Plus de 200 d’entre eux sont tués et jetés dans la Seine », écrit le journal qui rappelle que «dans la nuit du 17 Octobre, plus de 11 000 arrestations sont opérées : depuis la rafle du Vel’d’Hiv, presque vingt ans plus tôt, c’est la plus grande rafle de l’histoire».



par Elisa  Drago

Article publié le 20/02/2007 Dernière mise à jour le 20/02/2007 à 20:09 TU