France-Allemagne
Airbus : Chirac et Merkel pour une restructuration équitable
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Berlin
Officiellement, la rencontre de Meseberg, près de Berlin, ne devait pas se transformer en «sommet Airbus». Pendant cette journée, les consultations informelles franco-allemandes, sans ordre du jour précis, devaient aborder différents sujets, notamment la préparation du sommet européen des 8 et 9 mars.
Mais voilà, le ton monte entre la France et l’Allemagne, les spéculations sur les conséquences, pour chacun des deux pays, du plan de restructuration d’Airbus, vont bon train. La méfiance gagne du terrain. Après l’annonce par EADS, la maison mère du constructeur aéronautique, de repousser la publication de son plan baptisé «Power 8», qui devait être présenté mardi dernier, la question d’Airbus s’est invitée à Meseberg. Le petit village du Brandebourg, au nord de Berlin, abrite la toute nouvelle résidence du gouvernement allemand pour ses hôtes étrangers. Jacques Chirac a eu l’honneur de l’inaugurer à l’occasion de ce qui sera peut-être son dernier rendez-vous franco-allemand.
Face à la montée des tensions franco-allemandes sur le dossier délicat d’Airbus, le président français et la chancelière allemande voulaient faire un geste, tout en évitant de donner l’impression qu’ils interféraient dans les décisions d’EADS. Dans un communiqué commun, les deux responsables politiques soulignent que «le modèle Airbus, fort de ses succès, est fondé sur un partenariat qui vaut aussi pour la restructuration nécessaire». En clair, l’entreprise éminemment politique Airbus bénéficie du soutien des deux pays, partenaires principaux du projet à côté de l’Espagne et du Royaume-Uni.
Cela implique une répartition équitable des conséquences de la restructuration. C’est ce qu’ont souligné Angela Merkel et Jacques Chirac. Le président français a affirmé que «les premières propositions du plan «Power 8» respectaient en gros le principe d’équité». La restructuration a deux grands volets : d’une part le nombre d’emplois concernés et les sites de construction d’Airbus frappés par la restructuration de chaque côté du Rhin ; d’autre part la future répartition des différents projets entre les deux pays et surtout le partage équitable des technologies d’avenir.
10 000 emplois au total seraient menacés. Les sites dont Airbus se séparerait seraient vendus à des sous-traitants qui continueraient à travailler pour le constructeur aéronautique. Sur cette répartition, les rumeurs vont bon train. Dans son édition de vendredi, le quotidien économique français Les Echos évoquait la cession de dix sites (quatre en France, quatre en Allemagne, un en Espagne et un au Royaume-Uni). Quant aux technologies d’avenir, elles concernent surtout le long courrier A350. Toujours d’après le quotidien économique, les Allemands auraient renoncé à construire le tronc central de l’appareil où de nouvelles matières, plus légères, sont porteuses d’avenir.
A Meseberg, Jacques Chirac a plaidé pour un dialogue social dans le cadre des nécessaires restructurations d’Airbus. L’entreprise européenne est en difficulté depuis les retards de livraison du gros porteur A380, retards dûs à des problèmes techniques longtemps insolubles. Le président français a rejeté tout licenciement sec et toute suppression de site qui ne serait pas «organisée ou compensée».
Les Allemands très méfiants
L’appel de Jacques Chirac et d’Angela Merkel suffira-t-il à calmer les esprits ? Probablement pas, tant que le plan de restructuration n’aura pas été rendu public. Comme elle l’a annoncé, EADS devrait rendre public ce plan d’ici le 9 mars, date à laquelle la société rendra public ses derniers résultats. D’ici là, les rumeurs risquent de durer. Au-delà, les frictions franco-allemandes actuelles vont relancer les débats sur la coopération industrielle entre les deux pays. Airbus et EADS n’auraient pas vu le jour sans la volonté des deux Etats. Les enjeux financiers rendaient aussi des aides publiques nécessaires. Mais l’influence de la politique et la répartition des postes de responsabilité entre Français et Allemands, les uns étant parfois chargés de surveiller les autres, ne facilitent pas la gestion d’un «global player».
En Allemagne, la suspicion face au «patriotisme industriel» de la France est plus forte que jamais. Les Allemands reprochent à leurs voisins de vouloir utiliser ces projets communs pour satisfaire leurs ambitions nationales et d’y prendre le pouvoir. La reprise par le Français Sanofi de l’entreprise pharmaceutique franco-allemande Aventis a laissé un goût amer en Allemagne.
Cette suspicion s’exprimait jeudi dans un article peu amène du quotidien à sensation Bild Zeitung, parlant de Français «éhontés» et «malhonnêtes»Le journal allemand les accusent de vouloir centrer la restructuration d’Airbus sur l’Allemagne pour épargner les sites français. Le journal avait lancé un avertissement au président Chirac à la veille de sa visite : «Cher Jacques, nous aimons bien votre vin, votre fromage et votre art de vivre. Mais nous ne nous laisserons pas coupez les ailes d’Airbus, compris ?». Vendredi, le quotidien économique Financial Times Deutschland publiait le commentaire d’un correspondant français titré «Arrogante Allemagne», un pays où la francophobie gagnerait du terrain. L’auteur s’interrogeait : «Il n’est pas sûr que le fossé entre les deux pays puisse encore être surmonté».
par Pascal Thibaut
Article publié le 23/02/2007 Dernière mise à jour le 23/02/2007 à 19:07 TU