Guinée
Espoir de sortie de crise
(Photo : AFP)
Un mois et demi après le déclenchement d’une grève générale illimitée, le président Lansana Conté a accepté dimanche de nommer, d’ici le 2 mars, un Premier ministre de consensus, choisi parmi les candidats présentés par les syndicats, les partis politiques et la société civile. En conséquence de quoi, les syndicats ont décidé de suspendre, le 27 février, la grève générale lancée le 10 janvier. L’accord a été conclu après d’intenses négociations, lors d’une réunion de «conciliation», sous l’égide d’une mission de médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, conduite par l’ancien président nigérian Ibrahima Babangida.
Sous la pression, le président Lansana Conté est revenu sur sa décision d’imposer Eugène Camara, l’un de ses proches, au poste de Premier ministre. Le chef de l’Etat devra choisir, pour le remplacer, une personnalité de consensus parmi une liste de quatre noms proposés par les syndicats et la société civile : Mohamed Béavogui, directeur général du Fonds international de développement agricole (Fida) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre; Lansana Kouyaté, ancien secrétaire exécutif de la Cedeao ; Kabinet Komara, directeur à la banque africaine d’import-export (Afreximbank), dont le siège est au Caire et Saidou Diallo, directeur du Fonds de la Sécurité sociale guinéenne.
L’annonce de l’accord obtenu par la mission de médiation de la Cedeao a été faite, d’un ton très solennel, dimanche, au Palais du Peuple, siège de l’Assemblée nationale. «C’est un privilège d’être associé au retour de la stabilité dans votre pays» a déclaré, devant un hémicycle comble, Ibrahima Babangida, le chef de la délégation de la Cedeao, longuement salué par tous les présents : des responsables syndicaux, politiques, religieux mais aussi beaucoup de curieux qui ne voulaient à aucun prix rater ce moment «historique». Dans un communiqué lu par Mohamed Ibn Chmabas, président de la Commission de la Cedeao, la mission de médiation a annoncé que le président Lansana Conté acceptait de nommer, avant le 2 mars, un Premier ministre de consensus.
De son côté l’intersyndicale, représentée par Rabiatou Sérah Diallo, secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et Ibrahima Fofana, Secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), a déclaré la suspension de la grève générale le mardi 27 février et demandé que la journée de lundi soit consacrée à des offices religieux en hommage aux victimes de la répression du mouvement social.
Le bilan des manifestations sanglantes est d’au moins 113 morts. «Nous allons demander au futur gouvernement d'organiser une cérémonie officielle de recueillement et de deuil, assortie d'une journée du souvenir et d'une stèle commémorative» a, pour sa part, déclaré Ben Sékou Sylla, président du Conseil national des organisations de la société civile.
Selon des sources syndicales, la décision de suspendre la grève seulement mardi aurait donc été prise pour permettre de rendre hommage aux personnes tuées pendant le mouvement social mais aussi pour ne pas se soumettre aux consignes de l’armée qui avait «décidé», vendredi, la reprise du travail dès lundi.
Satisfaits mais méfiants
Pour s’assurer du respect des engagements des autorités, Ibrahim Babangida, chef de la mission de la Cedeao, doit revenir à Conakry vendredi prochain. Décidés à maintenir la pression, les centrales syndicales de Guinée ont décidé de suspendre la grève générale, sans la lever.
Une forte méfiance prévaut. Certains se demandent encore si le président Lansana Conté, au pouvoir depuis 23 ans, ne va pas changer d’avis et revenir sur ses engagements, comme il l’a fait récemment en nommant Eugène Camara, un de ses proches, malgré l’accord conclu fin janvier qui prévoyait un Premier ministre de consensus. D’autres s’inquiètent aussi du rôle du chef de l’Etat après la nomination du futur Premier ministre. Même si le futur Premier ministre aura un statut de chef du gouvernement, tous les décrets devront être signés par le président Conté.
« Il doit y avoir un +monitoring+ efficace, nous avons insisté là-dessus auprès des médiateurs de la Cedeao (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest), car on connaît bien le bonhomme», a affirmé Ben Sékou Sylla, président du Conseil national de la société civile.
« Nous espérons que, cette fois, Conté a compris le message. Il y a la garantie morale de la Cedeao qui nous rassure», a déclaré le leader syndical Ibrahima Fofana. Selon lui, le médiateur Ibrahim Babangida a annoncé l'installation prochaine à Conakry d'un bureau permanent de la Cedeao qui permettra à l’organisation régionale de surveiller l'application des accords conclus par le gouvernement et les syndicats.
Rôle sans précédent
La Confédération syndicale internationale (CSI) a salué le «dénouement» de la crise en Guinée, tout en affirmant qu’elle restait «vigilante» sur l’application des accords conclus entre les autorités et les syndicats. Le secrétaire général de la CSI, Guy Ryder, a salué «la persévérance, le courage et la détermination» dont ont fait preuve les syndicats guinéens à l'occasion d'un combat «mené au nom du peuple guinéen tout entier».
En obligeant le président Conté à céder, les deux leaders syndicaux, Rabiatou Sérah Diallo et Ibrahima Fofana, sont devenus des «héros» aux yeux d’une population qui aspire au changement, dans une société où les conditions de vie n’ont cessé de se dégrader.
Les syndicats viennent de jouer un rôle sans précédent, en ouvrant la voie au changement politique en Guinée. Portant les revendications sociales et politiques des Guinéens, à travers trois mouvements de contestation massivement suivis depuis février 2006, les deux centrales syndicales du pays ont réussi à supplanter les partis politiques de l’opposition. Silencieux, dans un premier temps, ceux-ci se sont, peu à peu, ralliés au mouvement syndical, tout en restant dans l’ombre.
Selon Mamadou Bâ, porte-parole de quatorze partis d’opposition, le principal problème réside dans «la division» de l’opposition. «Les partis, plus légitimes mais moins crédibles que les syndicats, n’ont pas été absents, car ils ont activement soutenu l’action des syndicats», souligne, pour sa part, Ben Sékou Sylla, président du Conseil national des organisations de la société civile. Mais, selon lui, leur discrétion pendant cette crise, pourrait en faire des «perdants, en cas de recomposition politique dans un ou deux ans».
par Elisa Drago
Article publié le 26/02/2007 Dernière mise à jour le 26/02/2007 à 13:24 TU