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Commerce international

Le défi du libre-échange entre l’UE et les ACP

Pour Bruxelles, il n’est pas question de forcer les ACP à ouvrir leurs marchés du jour au lendemain. 

		(Photo : AFP)
Pour Bruxelles, il n’est pas question de forcer les ACP à ouvrir leurs marchés du jour au lendemain.
(Photo : AFP)
Certains parlent de «révolution douce». D’autres de «profond bouleversement». L’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique négocient, depuis 2002, des accords de partenariat qui introduiront la réciprocité dans leurs relations commerciales caractérisées, jusqu’à présent, par l’ouverture unilatérale du marché européen à la quasi totalité des exportations ACP.

De notre correspondante à Bruxelles

Les discussions sont entrées, cette semaine, dans leur phase finale et la tension monte, au fur et à mesure qu’approche l’échéance. Car le 31 décembre sonnera le glas des préférences commerciales accordées depuis plus de trente ans par l’Europe aux pays ACP. Ainsi le veut l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les «privilèges» dont bénéficiaient les ACP, malgré leur peu d’impact et des résultats globalement décevants, irritaient de plus en plus les autres pays en développement qui, de la Thaïlande à l’Equateur en passant par les Philippines, multipliaient les plaintes à l’OMC.

A la place devraient s’instaurer progressivement, à partir du 1er janvier 2008, des zones de libre-échange entre, d’une part, l’UE et, de l’autre, 77 pays ACP regroupés au sein de six blocs régionaux (1). La perspective inquiète les organisations paysannes africaines qui évoquent le spectre d’un effondrement de leurs filières agricoles en cas d’ouverture brutale des marchés africains aux produits européens plus compétitifs. «L’Europe exerce des pressions énormes, des menaces de toutes sortes. C’est le jeu des négociations. Mais nos ministres doivent comprendre qu’il y va de l’avenir et du développement de nos pays ; ils doivent résister et refuser de conclure des accords à la va-vite», met en garde Jacob Kotcho, de l’Association citoyenne de Défense des Intérêts collectifs (Cameroun).

Rattraper le train en marche

Pour la Commission européenne, il faut en finir avec les mythes. Il n’est pas question de forcer les ACP à démanteler du jour au lendemain leurs tarifs douaniers et à ouvrir leurs marchés. Le processus se fera «en douceur», affirme Bruxelles. L’Europe aidera, dans un premier temps, les ACP à développer leur compétitivité et leurs marchés régionaux, à harmoniser et améliorer leurs réglementations relatives au monde des affaires. Il s’agit de consolider les six marchés régionaux ACP - aux niveaux d’intégration actuellement très inégaux - avant de passer au libre-échange proprement dit. Les produits «sensibles» continueront à être protégés durant une période transitoire. Et l’UE s’engage à dégager deux milliards d’euros pour accompagner les efforts de ses partenaires.

Des promesses que la Commission européenne a réitérées cette semaine. Mais, si Bruxelles affirme avoir obtenu l’accord des six régions ACP pour conclure les négociations le 31 décembre, celles-ci se montrent, en réalité, plus nuancées. «L’échéance du 1er janvier est purement indicative. On garde la date à l’esprit, mais l’essentiel est d’obtenir un accord qui prenne en compte le développement de nos pays et l’intérêt de nos populations», déclare Gilles Hounkpatin, directeur des Douanes, du Commerce et du Tourisme à la Cedeao. «Les négociations, rappelle-t-il, ont pris beaucoup de retard. Au niveau de l’Afrique de l’Ouest, nous devons encore fixer notre liste de produits sensibles en examinant leur impact sur l’économie, la fiscalité, l’emploi, le nombre de personnes que la filière fait vivre… Nous n’allons pas, coûte que coûte, signer un mauvais accord à cause de l’échéance du 1er janvier».

Concernant la région des Caraïbes, ces accords doivent contribuer à «catapulter [leurs] pays dans l’économie mondiale». Mais, «derrière le discours généreux de l’Europe, se trouve aussi un enjeu très mercantile», souligne Junior Lodge, représentant à Bruxelles de l’instance de négociation régionale des Caraïbes (CRNM Caribbean Regional Negotiating Machinery), pour qui, «contrairement aux Américains, les Européens sont gênés de dire les choses ouvertement». Selon Junior Lodge, «l’Union européenne a vendu, en 2005, l’équivalent de 60 milliards d’euros de marchandises à l’ensemble des ACP !». Le «forcing» de l’Europe s’expliquerait, aussi, par sa crainte de perdre des parts de marché et des prés carrés, face à l’offensive de la Chine au sud du Sahara.

De son côté, l’Europe n’exclut pas de conclure, au 31 décembre, des accords de partenariat économique avec les régions ACP qui seraient prêtes, sans attendre les éventuels retardataires qui seraient invités à rattraper le train en marche.



par Anne-Marie  Mouradian

Article publié le 01/03/2007 Dernière mise à jour le 01/03/2007 à 18:34 TU

(1) Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique de l’Est, Afrique australe, Région Caraïbes, Région Pacifique.