Présidentielle 2007
Chirac : douze ans, et puis s’en va
(Photo : AFP)
Un dernier sommet avant de partir : Jacques Chirac a annoncé sa décision de ne pas se lancer une nouvelle fois dans la course à l’Elysée après avoir participé à une dernière rencontre avec les autres dirigeants de l’Union européenne, à Bruxelles, le 9 mars. Il a saisi cette occasion pour regretter les conséquences de ce qui aura représenté l’un des principaux échecs de ses douze ans à la tête de l’Etat : le «non» des Français à la Constitution européenne. Le président de la République a déclaré : «Les Français se sont laissés tenter par cette réaction un peu contestataire, ce que je comprends très bien, même si je le regrette (…) Je suis désolé de, peut-être, ne pas avoir fait tout ce qu’il aurait fallu pour éviter ce qui a été une mauvaise chose pour l’Europe et pour la France».
Il est vrai qu’au soir du 29 mai 2005, le choc a été rude lorsque les résultats du référendum sur la Constitution européenne sont tombés. Le Traité était rejeté et Jacques Chirac incontestablement désavoué. Car c’est lui qui avait décidé de solliciter le vote des Français pour ratifier le texte alors qu’il aurait pu se contenter de le présenter au Parlement. A-t-il commis une erreur ou, tout au moins, une mauvaise analyse politique ? Un peu comme en 1997 lorsqu’il a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. Il avait alors perdu la bataille législative et s’était condamné du même coup à l’épreuve d’une cohabitation avec un gouvernement socialiste dirigé par Lionel Jospin.
Dissolution, cohabitation
Elu en 1995, Jacques Chirac n’a, en effet, pas eu beaucoup de temps pour gouverner avant la dissolution. Deux ans à peine après son arrivée à l’Elysée, son pouvoir a été réduit à la portion institutionnelle congrue. Cette situation ne l’a pas pour autant conduit à démissionner. Comme son prédécesseur François Mitterrand en son temps -dont il avait d’ailleurs été son Premier ministre de cohabitation une dizaine d’années auparavant-, Jacques Chirac a choisi de mener son mandat jusqu’au bout envers et contre tous.
De son septennat, il n’aura donc eu vraiment à son actif qu’une courte période durant laquelle il a tout de même ordonné les 6 derniers essais nucléaires français dans le Pacifique, avant de décider de mettre un terme définitif à ce programme controversé. Jacques Chirac a aussi lancé, en 1996, le plan de professionnalisation de l’armée qui a abouti avec Lionel Jospin en 1997, à l’abolition du service militaire.
Paradoxalement, c’est dans le domaine social que Jacques Chirac, qui avait axé sa campagne électorale sur la réduction de la «fracture sociale», a connu ses premiers déboires. La réforme de la protection sociale présentée par son premier ministre Alain Juppé, fin 1995, a eu pour résultat essentiel de provoquer un mouvement de protestation de très grande ampleur. Trois semaines de grèves dans les transports ont totalement paralysé le pays et deux millions de personnes sont descendues dans la rue pour manifester contre le projet. Tant et si bien que le chef du gouvernement a dû accepter d’amputer la réforme de son pan le plus décrié : celui qui concernait les régimes spéciaux de retraite.
A chaque mandat, sa crise sociale. En 2006, le passage en force de Dominique de Villepin sur le contrat première embauche (CPE), destiné aux moins de 26 ans et qui voulait instaurer une période d’essai de deux ans, a provoqué un nouveau tollé. Les jeunes ont été à ce moment-là les fers de lance de la protestation. Ce mouvement a pris d’autant plus de signification qu’il est intervenu dans la foulée des émeutes qui avaient enflammé les banlieues françaises à la fin de l’année 2005, mettant en évidence l’existence d’un malaise très profond dans les quartiers déshérités de la périphérie des grandes villes. Des zones dans lesquelles les habitants issus de l’immigration doivent faire face aux ravages du chômage et de l’absence d’intégration. Non seulement la «fracture» n’a pas été réduite en douze ans, mais elle s’est accentuée.
Trois chantiers
Jacques Chirac a mieux réussi dans les trois domaines qu’il a définis comme les chantiers prioritaires de son deuxième mandat : l’insertion des handicapés, la lutte contre le cancer et l’insécurité routière. Une loi sur le handicap a été adoptée en 2005. Elle est à mettre au crédit du chef de l’Etat. Mais elle marque un début plus qu’un aboutissement car les problèmes difficiles qui empoisonnent la vie quotidienne des handicapés -accessibilité, emploi et éducation- sont loin d’être résolus. La création de l’Institut national du cancer pour coordonner les actions a représenté une véritable avancée même s’il reste beaucoup à faire pour améliorer le dépistage. Des trois chantiers, c’est donc celui de la sécurité routière qui a obtenu le résultat le plus net. Il se résume en un chiffre : près de 8 000 vie épargnées grâce au renforcement des sanctions contre les automobilistes, en cas d’excès de vitesse notamment.
Président des Français un peu sur le fil du rasoir, Jacques Chirac a mieux réussi en tant que président de la France. Il a d’abord su réaffirmer les grands principes de la nation.
A commencer par la laïcité, l’un des fondements de l’Etat français où la séparation avec l’Eglise est actée depuis 1905. Il a tenu bon sur ce thème en faisant voter, en 2004, une loi sur l’interdiction des signes religieux «ostensibles» à l’école. Il s’est ainsi positionné en défenseur de cette tradition française malgré de nombreuses critiques.
Jacques Chirac a, par ailleurs, engagé dès son arrivée à l’Elysée un travail de mémoire très important. Son intervention du 16 juillet 1995, pour la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv de 1942, au cours de laquelle plusieurs milliers de juifs français avaient été livrés à la police allemande avant d’être envoyés en camp de concentration, a ouvert la voix dans ce domaine. Jacques Chirac a été le premier président à reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs. Et c’est lui qui a décidé, en 2006, de rendre l’hommage de la nation à Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française, victime d’une erreur judiciaire et condamné au bagne. Jacques Chirac a aussi instauré une journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage (le 10 mai). Une mesure qui faisait suite à la décision de reconnaître l’esclavage comme un crime contre l’humanité (2001). Le président a ainsi manifesté sa volonté de renforcer «la cohésion nationale» en réconciliant la France avec son passé. En septembre 2006, il a pris une autre décision attendue : la revalorisation des pensions des anciens combattants issus des colonies. Seul le cafouillage de la loi sur les Rapatriés aurait pu ternir ce bilan. Un article qui mentionnait «le rôle positif de la colonisation» avait provoqué une polémique en France et à l’étranger. Le président a fini par trancher en demandant qu’il soit retiré de la loi.
La voix de la France
Jacques Chirac a su faire entendre la voix de la France sur la scène internationale. Son refus de participer à l’intervention militaire en Irak menée par les Etats-Unis restera vraisemblablement comme sa décision la plus emblématique. Elle lui a valu le soutien unanime de la classe politique française et l’admiration d’un grand nombre de pays hostiles à la politique américaine justifiée par la lutte contre le terrorisme international. Il avait pourtant été l’un des premiers chefs d’Etat à manifester avec conviction son soutien aux Américains après les attentats du 11-septembre 2001 et avait accepté de participer aux opérations en Afghanistan. C’est donc grâce sa capacité à sentir à quel moment la politique de George W. Bush est allée trop loin qu’il a gagné un grand prestige.
Jacques Chirac a aussi beaucoup plaidé en faveur de l’aide aux pays en développement et de la réduction des inégalités entre les pays du Nord et du Sud. Dans ce domaine, il a réussi à mettre en place une taxe sur les billets d’avion destinée à financer les programmes de lutte contre les maladies comme le sida ou le paludisme qui ravagent l’Afrique. Il n’a pas été suivi par l’ensemble de la communauté internationale sur cette initiative mais a, une nouvelle fois, joué le rôle d’aiguillon des pays riches. L’un de ceux, peut-être, dans lesquels il a été le plus investi. Avec celui de défenseur de l’environnement et d’avocat de la planète.
par Valérie Gas
Article publié le 11/03/2007 Dernière mise à jour le 11/03/2007 à 18:43 TU