Irak
Quatre ans après
(Photo: Reuters)
«Chers concitoyens. A cette heure, les forces américaines et de la coalition ont engagé les premières opérations militaires pour désarmer l’Irak, libérer son peuple et défendre le monde contre un grave danger.»
Par ces mots, le président américain George W. Bush annonce le début de l’opération «Liberté de l’Irak». Il est alors 22h15 à Washington, le 19 mars. A Bagdad, alors que la montre indique 05h30, le 20 mars, les premières bombes des forces alliées tombent déjà sur la capitale irakienne.
Le déclenchement des hostilités contre le régime de Saddam Hussein vient alors mettre fin à un bras de fer, qui s’est joué à l’Onu entre la coalition va-t-en-guerre, avec à sa tête les Etats-Unis, et les adversaires d’un conflit armé, notamment la France, l’Allemagne et la Russie. George W. Bush lance l’invasion de l’Irak sans l’aval onusien et elle est basée sur une fausse raison : le danger venant du régime irakien, détenant des armes de destruction massive. Et ceci en dépit des déclarations de la part des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique, selon lesquels rien ne confirme que l’Irak possède des armes de destruction massive.
Mais bien plus que ce prétexte - qui va se révéler non pas seulement faux mais soutenu délibérément par Washington pour manipuler l’opinion publique - il s’agit pour le gouvernement américain d’en finir, après l’Afghanistan, avec un autre régime appartenant à «l’axe du mal», défini par George W. Bush à la suite des attentats du 11 septembre 2001. La guerre qui commence en mars 2003 contre l’Irak est destinée à évincer Saddam Hussein et créer un îlot démocratique et pro-américain dans le monde arabe.
«Je dis à tous les hommes et femmes des forces armées américaines se trouvant actuellement au Moyen-Orient : la paix d’un monde troublé et les espoirs d’un peuple opprimé dépendent maintenant de vous. (…) Nous défendrons notre liberté. Nous apporterons la liberté aux autres. Et nous vaincrons», déclare le président des Etats-Unis au déclenchement de l’opération «Liberté de l’Irak».
2007 : l’Irak un pays déchiré par la violence
Aujourd’hui, on peut dire beaucoup de chose sur l’Irak, mais il est difficile de le présenter comme un exemple démocratique. Certes, l’ancien dictateur Saddam Hussein et son régime appartiennent au passé, mais le quotidien des Irakiens est désormais rythmé par des attentats perpétuels. Des violences interreligieuses et l’insurrection anti-américaine ont enferré les Etats-Unis et leurs alliés dans un conflit de plus en plus dévastateur. L’insécurité grandissante, faisant plusieurs centaines de milliers de victimes au sein de la population civile irakienne et 3 500 morts parmi la force multinationale, a laissé, après quatre ans de guerre, derrière elle, un Irak littéralement à bout des forces.
Face à ce désastre, Washington a finalement adopté une nouvelle stratégie : le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et sa méthode consistant à miser sur une armée réduite mais en s’appuyant sur la haute technologie, ont échoué. Le ministre et sa méthode ont donc tous deux été changés. M. Rumsfeld a dû laisser sa place à Robert Gates, homme à la réputation modérée, qui a lancé la nouvelle stratégie du Pentagone en Irak : la contre-insurrection. Mais cette volte-face arrive bien tardivement, tout comme les quelque 25 000 soldats américains supplémentaires qui doivent arriver sur place d’ici le mois de juin, renforçant ainsi le contingent militaire des Etats-Unis en Irak à plus de 160 000 GIs, dispositif le plus important depuis le début de la guerre.
Néanmoins, George W. Bush sait, aussi bien que le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, qu’il ne faut pas seulement une réussite militaire pour pacifier le pays mais avant tout un consensus politique. Dans ce contexte, les Américains, comme les Irakiens, n’ont pas eu d’autre solution que de se plier à la nécessité d’impliquer les voisins régionaux dans le processus de stabilisation de l’Irak.
La première conférence sur la sécurité en Irak, qui s’est tenu le 10 mars à Bagdad, a été un premier pas dans cette direction. Mais en accueillant leurs bêtes noires à la même table qu’eux, les Etats-Unis ont surtout démontré que leur gouvernement n’a pas réussi son pari d’une démocratisation de la région à partir de l’Irak. Bien au contraire : au lieu d’isoler l’Iran, la guerre et surtout la chute de Saddam Hussein, ont renforcé le régime de Téhéran ainsi que ses principaux alliés, à savoir la Syrie, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. Tous, sans exception, adversaires déclarés des Etats-Unis. A l’image de la Russie, qui est également de retour au Proche et au Moyen-Orient. En conservant ses liens étroits avec l’Iran, le chef d’Etat russe Vladimir Poutine est même parti en tournée en Arabie Saoudite, au Qatar et en Jordanie, concurrençant ainsi ouvertement Washington dans sa sphère d’influence.
Au lieu d’avoir élargi son influence au Proche et au Moyen-Orient, la Maison Blanche est aujourd’hui plus que jamais obligée de prendre en compte les puissances régionales.
Les Etats-Unis en pleine crise morale
Cet échec a plongé les Etats-Unis dans une lourde crise morale. Car le prix pour lequel George W. Bush avait mené sa guerre contre le terrorisme a été bien trop élevé : en sacrifiant justement les valeurs morales des Américains. «Le fait est qu’il a dilapidé notre crédibilité, notre légitimité et même le respect des autres envers notre pouvoir», fait remarquer Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité nationale. Et c’est principalement pour cela qu’aujourd’hui l’opinion publique en veut à son président. Seulement 35% de la population lui font encore confiance et 59% des Américains estiment désormais que la guerre a été une erreur, ce qui représente la proportion la plus importante depuis le lancement de l’invasion de l’Irak.
Mais George W. Bush n’est pas le seul à perdre le soutien de ses compatriotes. La guerre a aussi coûté aux Républicains leur majorité au Congrès en novembre dernier. Et comme si cette défaite cuisante lors des élections législatives de mi-mandat ne suffisait pas, s’est encore rajouté l’humiliation infligée par la commission Baker-Hamilton, un rapport très critique sur la gestion de la guerre en Irak.
Cette série de malchance, qui semble suivre l’équipe gouvernementale américaine depuis quelques mois, s’est traduite par un assouplissement de la politique étrangère.
La secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, a été mandatée pour relancer le processus diplomatique. Dans ce cadre, les discussions avec l’Iran et la Syrie, la relance des négociations de paix israélo-palestiniennes et même l’accord avec la Corée du Nord sur son programme nucléaire ont pu intervenir. Des événements majeurs, tous impensables il y a encore quelques mois.
Six ans après les attentats du World Trade Center, la politique du dialogue est de retour à la Maison Blanche. Le repli sur soi du gouvernement américain fait place à une nouvelle ouverture au monde.
Une question se pose alors : pourquoi l’administration Bush a attendu si longtemps pour déclencher ce changement et pourquoi elle semble prise maintenant dans une telle urgence ? La réponse est un secret de polichinelle: avec les élections présidentielles en automne 2008, le temps est désormais compté pour l’équipe du président sortant. Si elle veut prouver à ses compatriotes mais aussi au monde entier, que sa stratégie en Irak a été la bonne, il lui reste seulement quelques mois.
Pas besoin de posséder des dons d’oracle pour imaginer que la guerre et la situation en Irak domineront plus que probablement la campagne pour les élections présidentielles de 2008 aux Etats-Unis . L’Irak va ainsi devenir l’échelle à laquelle chaque candidat à la Maison Blanche va devoir se mesurer. Et les prétendants auraient l’intérêt à se pencher dès à présent sur leur position par rapport à la date du retrait des GIs d’Irak. Car une chose est sûre : c’est son successeur qui va hériter, de George W. Bush, cette décision lourde de responsabilité.
par Stefanie Schüler
Article publié le 19/03/2007 Dernière mise à jour le 19/03/2007 à 17:39 TU