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Droits de l'homme

Pas de répit pour les «talibans russes» de Guantanamo

La mère de de Rasul Kudaev, ancien champion junior de lutte libre du Caucase, montre la photo de son fils torturé. 

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La mère de de Rasul Kudaev, ancien champion junior de lutte libre du Caucase, montre la photo de son fils torturé.
(www.hrw.org)

Sept anciens détenus russes de la prison cubaine de Guantanamo racontent comment les autorités de leur pays les ont harcelés, insultés, frappés, battus et torturés, depuis leur retour en Russie en 2004. Ils avaient demandé à ne pas être rapatriés.
Dans son rapport intitulé The Stamp of Guantanamo (La marque de Guantanamo), l'organisation des droits de l'homme Human Rights Watch dénonce l'hypocrisie du gouvernement américain, qui se contente d'«assurances diplomatiques» sur le respect des droits des personnes accusées de terrorisme et renvoyées dans des pays connus pour pratiquer la torture.


«Le département d’État a prouvé maintes fois qu’il se sentait concerné par le traitement humain (des détenus) et il ne transfèrera pas une personne dans un pays où elle risque d’être torturée».

C’est la réponse que l’organisation de défense des droits humains, Human Rights Watch (HRW), basée à New York, a obtenu du gouvernement américain lorsqu’elle s’est inquiétée de la façon dont les autorités s’assuraient du sort réservé aux anciens détenus de la prison cubaine de Guantanamo, une fois renvoyés dans leurs pays d’origine, notoirement connus pour pratiquer la torture.

«Jusqu’à ce qu’il ne vous reste plus de doigts»

HRW cite le cas de sept anciens prisonniers des Américains, capturés en Afghanistan et au Pakistan en 2002, qui ont passé deux ans à Guantanamo avant d’être remis aux autorités russes en février 2004. À l’époque, la Russie a déjà fait l’objet de plusieurs rapports internationaux dénonçant les violations des droits humains en Tchétchénie et les abus à l’encontre des minorités musulmanes.

Le Département d’État américain lui-même écrit en 2003 à propos de la Russie : «des documents crédibles indiquent que le personnel en charge de l’application de la loi pratique la torture exerce des violences et applique des traitements inhumains et brutaux».

Sur l’île cubaine, dans la prison de Guantanamo, les interrogateurs des «talibans russes», comme on les a surnommés, ne sont pas moins explicites. «Si vous ne dites pas la vérité, on vous renverra en Afghanistan. S’il reste quelque chose de vous après l’Afghanistan, on vous renverra en Russie où vous serez torturés jusqu’à ce qu’il ne vous reste plus de doigts». Les détenus savent ce qui les attende.

«Nous avons supplié la Croix-Rouge internationale et les autorités de Guantanamo d’intervenir pour que nous ne soyons pas renvoyés en Russie mais dans un pays-tiers musulman, mais ils ont dit que ce genre de décisions étaient prises à un niveau supérieur. Ils n’ont même pas essayé», racontent-ils à HRW.

Peu après le transfert des sept prisonniers en Russie, Richard Boucher, le porte-parole du Département d’État, déclare : «Nous avons reçu toutes les garanties que les individus seront emprisonnés, interrogés et poursuivis comme le veut la loi russe».

La marque de Guantanamo

Le visage du jeune homme qui orne la couverture du rapport La marque de Guantanamo est celui de Rasul Kudaev, 29 ans, un ancien champion junior de lutte libre du Caucase. Blessé en Afghanistan, atteint d’hépatite, resté sans soins à Guantanamo, il ne se déplace plus qu’avec une béquille.

Maltraité, battu, dès son arrivée en Russie en février 2004, il est conduit avec ses co-détenus dans une prison où ils ne resteront que trois mois avant d’être libérés, sans procès. Mais les autorités n’en ont pas fini avec les «talibans russes».

Le 23 octobre 2005, Rasul Kudaev est enlevé par des hommes masqués, lourdement armés, qui s’avèreront être des agents de l’UBOP, l’acronyme russe pour désigner le département du crime organisé, au ministère de l’Intérieur. Une semaine auparavant, des groupes armés ont attaqué les bâtiments du gouvernement à Nalchik, la capitale de Kabardo-Balkarie dans le Caucase. Il y a 150 morts. Rasul Kudaev est accusé d’avoir participé à l’attaque (il se déplace avec une béquille).

Torturé, battu, privé de ses médicaments, Rasul Kudaiev avoue tout ce qu’on lui demande même l’invraisemblable. Son cas et celui d’autres personnes arrêtées après les événements, attireront l’attention du président de Kabardo-Balkarie. Il sortira de prison en août 2006.

Deux autres anciens détenus de Guantanamo sont arrêtés en janvier 2005. Un attentat contre un gazoduc à proximité de leur lieu de résidence a conduit l’UBOP jusqu’à eux. Ils avouent sous la torture. En septembre, le jury du tribunal, convaincu que les accusés ont été maltraités, les acquitte, à l'unanimité. La Cour suprême russe annule le verdict, et rejuge les deux hommes pour les mêmes faits, en totale illégalité, en mai 2006.

«Après Guantanamo, nous n’avons plus besoin de prouver que tu es un terroriste», dit, un jour, un policier à Airat Vakhitov, lui aussi un ancien prisonnier de Guantanamo.

Des gouvernements qui se donnent bonne conscience

«Ces faits montrent précisément pourquoi le gouvernement américain devrait mieux étudier les cas des détenus de Guantanamo avant de les renvoyer chez eux», écrit Carroll Boger, la directrice associée de HRW dans son communiqué.

Une dizaine de pays, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et le Canada, se sont pour l’instant contentés des «assurances diplomatiques» des pays auxquels ils ont restitué leurs ressortissants. 

La liste des pays récipiendaires comporte la Chine, l’Égypte, la Jordanie, le Maroc, la Russie, la Syrie, la Turquie, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Yémen. Tous connus pour leur piètre bilan en matière de droits humains.



par Marion  Urban

Article publié le 29/03/2007 Dernière mise à jour le 29/03/2007 à 09:54 TU

Selon une enquête menée par l’Associated Press (décembre 2006), depuis janvier 2002 :


▪ 360 détenus ont été transférés de Guantanamo dans leur pays d’origine
▪ 245 personnes ont pu être retrouvées dans leur pays
▪ 40 personnes sont en détention dans leur pays
▪ il y a eu 14 procès dont 8 ont débouché sur des inculpations
▪ il resterait 80 détenus de Guantanamo à transférer