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Liban

Un tribunal qui divise les Libanais

Le 3 avril dernier, une délégation conduite par le chef de la majorité parlementaire, Saad Hariri, a remis au représentant de l'ONU au Liban, Gier Pederson, une pétition signée par 70 députés. 

		(Photo : Reuters)
Le 3 avril dernier, une délégation conduite par le chef de la majorité parlementaire, Saad Hariri, a remis au représentant de l'ONU au Liban, Gier Pederson, une pétition signée par 70 députés.
(Photo : Reuters)
La crise qui secoue le Liban depuis plus de quatre mois s’est compliquée davantage après la décision des députés de la majorité parlementaire d’en appeler au Conseil de sécurité pour créer le tribunal international chargé de juger les assassins de l’ex-Premier ministre, Rafic Hariri.   

De notre correspondant à Beyrouth

La décision de 70 des 128 députés du Parlement de s’en remettre au Conseil de sécurité pour la constitution du tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, tué le 14 février 2005, marque un tournant dans la crise qui secoue le Liban depuis le 1er décembre dernier. Elle illustre l’absence totale de confiance entre les protagonistes libanais, et montre que la majorité et l’opposition sont désormais incapables de régler leurs différends sans une intervention directe venue de l’extérieur.

Dans leur pétition adressée au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, les députés de la majorité accusent le président de la Chambre -qui est l’un des chefs de l’opposition-, Nabih Berry, d’empêcher la tenue d’une séance parlementaire pour ratifier les statuts du tribunal. Ils demandent au Conseil de sécurité de prendre des «mesures alternatives» après l’échec des voies constitutionnelles libanaises. La majorité soupçonne l’opposition de vouloir entraver la formation de ce tribunal dans le but de protéger les assassins de Rafic Hariri. Elle accuse la Syrie d’être responsable de l’attentat contre l’ancien Premier ministre.

L’opposition, elle, affirme être favorable à la création de cette cour, à condition qu’elle se fasse conformément aux dispositions de la Constitution et qu’elle puisse aussi en examiner le statut interne. Or, elle estime que le président de la République, Emile Lahoud, à qui revient le droit, selon la Constitution, de signer les traités internationaux, a été tenu à l’écart de toute cette affaire. De plus, elle juge que les statuts actuels du tribunal ne visent pas à instituer une cour pénale chargée de punir les coupables, mais une instance disposant de vastes pouvoir dans le but d’asseoir une tutelle internationale sur le Liban, grâce notamment au chapitre VII de la Charte des Nations unies, invoqué par le gouvernement libanais. Un peu à la façon du Kosovo.

Logiques inconciliables

Les réactions des différentes parties montrent à quel point le fossé est profond entre la majorité et l’opposition. Pour la majorité, la mise en place de ce tribunal est une priorité car elle peut mettre un terme à la vague d’assassinats et d’attentats qui secouent le Liban depuis plus de deux ans. «La majorité a agi ainsi pour sortir de la politique d'obstruction et de chantage de l'opposition», a déclaré Ahmad Fatfat, député et ministre dans le gouvernement pro-occidental de Fouad Siniora. Pour sa part, le leader druze Walid Joumblatt, chef de file des anti-syriens, n’hésite plus, depuis quelque temps, à accuser le Hezbollah d’être impliqué dans certains attentats commis au Liban. Et, c’est justement ces accusations qui suscitent les craintes de l’opposition.

Le général chrétien Michel Aoun, un des chefs de l’opposition, a accusé les 70 députés signataires de la pétition de «haute trahison». «Ils ont abandonné la souveraineté du Liban au profit du Conseil de sécurité», a affirmé l’ancien Premier ministre qui a combattu la tutelle syrienne pendant 15 ans. «Il faut les juger pour haute trahison et dissoudre le Parlement», a-t-il exigé. «Il s'agit d'une agression contre le Liban», a commenté le secrétaire général adjoint du Hezbollah, cheikh Naim Kassem. «La pétition de la majorité est une soumission à la tutelle étrangère, ce qui peut menacer la paix et la sécurité internes», a-t-il ajouté.

Devant la gravité de la situation, le président du Parlement, Nabih Berry, a demandé à l'Arabie saoudite d'organiser, dans le royaume, une réunion des principaux dirigeants libanais pour tenter de sortir de l'impasse. L'objectif serait de trouver une sorte d’accord semblable à celui de la Mecque qui a permis de mettre un terme aux affrontements inter-palestiniens et de former un cabinet d’union nationale. Sa proposition a été saluée par le secrétaire général des Nation unies. Ban Ki-Moon, qui a informé le Conseil de sécurité de la pétition des 70 députés, s’est déclaré prêt à dépêcher son adjoint pour les affaires juridiques, Nicolas Michel, à Riyad, pour participer à une telle conférence.

Les échéances électorales s’en mêlent

Le soutien de M. Ban à la proposition de Nabih Berry s’explique surtout par le fait que le chemin devant l’adoption du statut du tribunal au Conseil de sécurité semble rocailleux. En effet, le vote d'une résolution sous le chapitre VII nécessite 9 voix, à condition qu’il n’y ait pas de veto. Une mention de l'article 41 excluant le recours à la force ne convaincra pas obligatoirement un certain nombre d’Etats. L'aval de pays comme l'Afrique du Sud, l'Indonésie et le Qatar, et surtout celui, déterminant, de la Russie, est loin d’être garanti. Commentant la pétition de la majorité parlementaire, l’ambassadeur de Russie à New York, Vitali Tchourkine, a déclaré: «Le Liban est plus important que le tribunal». Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, M. Soltanov, a quant à lui estimé que la constitution du tribunal sans consensus interne libanais risque d’avoir de «très graves répercussions au Liban».

Mais d’autres pays, comme la France, sont pressés de voir le tribunal international établi au plus vite. «Sa création urgente me paraît une nécessité absolue, conforme à la justice», avait déclaré Jacques Chirac, le 25 mars à Berlin. «Il faut maintenant rapidement prendre une initiative et je souhaite qu'elle puisse avoir lieu avant la fin de mon mandat».

La crise libanaise prend une nouvelle dimension, à quelques mois de l’élection présidentielle, prévue entre le 22 septembre et le 22 novembre. Une échéance qui risque de se terminer par un dédoublement de toutes les institutions si, d’ici là, aucun accord n’est atteint.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 08/04/2007 Dernière mise à jour le 08/04/2007 à 14:04 TU