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Pologne

L’affaire Geremek tourne à la crise européenne

Le pouvoir conservateur polonais a menacé de déchoir de son mandat d’eurodéputé l’ancien dissident Bronislaw Geremek, qui refuse la nouvelle loi dite de «lustration» obligeant les personnalités publiques à déclarer ne pas avoir collaboré avec les anciens services secrets communistes. Cette affaire suscite des réactions scandalisées à travers l’Europe, le Parlement européen et la France apportant leur soutien à Bronislaw Geremek.

Le député européen polonais, Bronislaw Geremek, refuse de se soumettre à la nouvelle loi sur la «lustration» en vigueur dans son pays. 

		(Photo : AFP)
Le député européen polonais, Bronislaw Geremek, refuse de se soumettre à la nouvelle loi sur la «lustration» en vigueur dans son pays.
(Photo : AFP)

Dans une tribune publiée jeudi après-midi dans le journal Le Monde, et intitulée Pourquoi je refuse la «lustration», Bronislaw Geremek, député polonais au Parlement européen, figure historique de la dissidence anticommuniste et ancien ministre des Affaires étrangères de son pays, explique que la nouvelle loi polonaise sur la décommunisation est «inacceptable dans l'Europe démocratique». Selon lui, cette loi, qui oblige à déclarer si on a collaboré avec l’ex-régime communiste, «viole les règles morales et menace la liberté d'expression». Bronislaw Geremek rappelle qu'il a déjà signé «plusieurs fois» dans le passé une déclaration de ce type et exclut de s’y plier à nouveau, au risque d’être déchu de son mandat de député.

Geremek a rapidement été rejoint dans la contestation par un autre haut responsable de l’ancien syndicat Solidarité. Tadeusz Mazowiecki, premier chef d'un gouvernement démocratique dans la Pologne post-communiste et actuellement membre d'une commission honorifique, a qualifié, jeudi, la nouvelle loi d' «humiliante» et a refusé, lui aussi, de se soumettre à toute déclaration sur son passé. Peu après, un responsable de la présidence polonaise annonçait que Tadeusz Mazowiecki venait de perdre, «par la force de loi», sa fonction de membre du comité d'octroi de l'Ordre de l'Aigle blanc, la plus haute distinction du pays.

L’opposition polonaise a saisi la Cour constitutionnelle

Votée à l’initiative du parti conservateur polonais Droit et Justice (PiS, au pouvoir), fondé par les jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski, respectivement président et Premier ministre, cette loi s’inscrit dans une vaste opération visant les ex-collaborateurs des services secrets communistes présents dans la vie publique du pays.

Durcissant un texte de 1997, elle est entrée en vigueur le 15 mars dernier et oblige certains corps de métier à déclarer s’ils ont collaboré, ou non, avec l’ancienne police politique communiste. Sont notamment concernés les responsables politiques et les magistrats, mais aussi les professeurs d'université, directeurs d'écoles, gestionnaires des sociétés d'Etat et journalistes.

Très controversée en Pologne, où certains parlent de «chasse aux sorcières», la nouvelle loi sur la «lustration» a déclenché, 17 ans après la chute du régime communiste, une polémique qui a rapidement débordé les frontières du pays. A Varsovie, l'opposition social-démocrate et l'ombudsman (médiateur) ont saisi la Cour constitutionnelle polonaise. Celle-ci doit se prononcer, avant le 15 mai, sur sa conformité à la Constitution. En attendant, et contrairement à Tadeusz Mazowiecki, Bronislaw Geremek conservera son poste le temps des procédures, selon la Commission électorale nationale polonaise.

Relations tendues entre la Pologne et ses partenaires

A l’étranger, les premiers à réagir ont été les collègues de Bronislaw Geremek au Parlement européen, où l’affaire fait grand bruit, provoquant des débats passionnés. Outre les chefs des trois principaux groupes politiques de cette instance, le président du Parlement, l’Allemand Hans-Gert Pöttering, a promis son soutien à l’ancien dissident : «Bronislaw Geremek est une personnalité politique hautement estimée qui s'est toujours engagée pour la démocratie dans son pays et l'unification de l'Europe. Nous examinerons tous les moyens juridiques pour qu'il puisse continuer son travail». Hans-Gert Pöttering a néanmoins ajouté :«Le Parlement européen n'a encore reçu aucune notification des autorités polonaises relative au mandat de M. Geremek».

La Commission européenne, quant à elle, a refusé de se prononcer, estimant «que ce n'était pas de sa compétence (…) L'affaire est entre les mains des institutions compétentes, la Cour constitutionnelle polonaise et le Parlement européen. La Commission fait confiance à ces deux institutions».

La France est, pour l’instant, le premier pays de l’Union européenne à avoir affiché sa position. Jeudi, la ministre française aux Affaires européennes, Catherine Colonna, a assuré Bronislaw Geremek de «l’amical soutien» de Paris et annoncé avoir «saisi» le Parlement européen du cas de l'eurodéputé polonais.

Si les autres capitales européennes n’avaient pas encore réagi, jeudi soir, cette affaire n’en est pas moins une nouvelle illustration des relations tendues entre la Pologne et ses partenaires de l’Union. La ligne eurosceptique du gouvernement conservateur en place à Varsovie fait de ce pays, entré dans l’Union européenne en 2004, un membre avec lequel les négociations sont difficiles sur de nombreux dossiers.

par Philippe  Quillerier

Article publié le 26/04/2007 Dernière mise à jour le 26/04/2007 à 15:18 TU