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Venezuela

La revanche du président Chavez

Dimanche 27 mai 2007, une jeune supportrice écrit un message de soutien sur les murs de la RCTV à Caracas. 

		(Photo : Reuters)
Dimanche 27 mai 2007, une jeune supportrice écrit un message de soutien sur les murs de la RCTV à Caracas.
(Photo : Reuters)
La télévision la plus ancienne du Venezuela, RCTV, a cessé d'émettre ce dimanche 27 mai, une seconde avant minuit, après 54 ans d'existence. Le président Hugo Chavez a refusé de renouveler l'autorisation de diffusion de Radio Caracas Television, l'une des chaînes télévisées critique à l'égard du gouvernement.
C'est une télévision «socialiste», TVES, financée par l'État, qui a pris le relais.

A 23h, 59 minutes, 59 secondes, le dimanche 27 mai, le signal de transmission de la chaîne Radio Caracas Television (RCTV) s’est éteint.

Fondée en 1953, la chaîne n’a pas obtenu le renouvellement de son autorisation de diffusion de la Commission nationale des télécommunications (Conatel) qui expirait le 27 mai. Sa licence ou «concession» comme on dit au Venezuela, lui a été retirée officiellement pour avoir violé la Loi de la responsabilité sociale de la radio et de la télévision.

En décembre 2006, le président Hugo Chavez avait accusé la RCTV d’avoir soutenu le coup d’État avorté à son encontre le 11 avril 2002.

Le taux d’audience de la chaîne représentait 30% de téléspectateurs. La RCTV pourra continuer d’émettre sur le câble et le satellite. Avec ce mode de transmission, elle ne devrait plus toucher qu’un foyer vénézuélien sur cinq.

Plusieurs militants anti-Chavez s’étaient mobilisés ce dimanche devant les locaux de la Conatel pour protester contre cette décision. La manifestation a été dispersée avec des tirs de grenades lacrymogènes par les forces de l’ordre.

L’opposition vénézuélienne perd, au travers de la RCTV, l’un de ses derniers porte-voix.

La Televisora Venezolana Social (TVES), chaîne gouvernementale, a aussitôt pris le relais sur le canal hertzien de la télévision privée.

Les sympathisants de Hugo Chavez avaient organisé une fête populaire pour célébrer la naissance de TVES, qui «ouvre un espace où la résistance populaire dirige les destins (…), propice au retour des valeurs ignorées par les autres modèles de télévision».

Derniers jours

C’est avec le slogan «Ami pour la vie» que les 3 000 employés de la RCTV ont voulu quitter les téléspectateurs vénézuéliens ce dimanche, en les invitant à garder le contact par le câble et le satellite à défaut du réseau hertzien.

Pour sa dernière journée, la RCTV a diffusé des programmes souvenirs. Il y a eu des larmes et de l'émotion. Les comédiens des feuilletons qui ont fait la réputation de la RCTV se sont succédés à l’antenne, les journalistes, les techniciens et employés de l'administration, tous ont voulu raconter leurs débuts et leurs carrières au sein de la société. Le dernier invité de l’émission La Entrevista (l’entrevue) a été le directeur général et copropriétaire de la chaîne, Marcel Granier, qui a dénoncé la décision du non-renouvellement de la licence comme une vengeance politique et un «acte de discrimination» par rapport aux autres chaînes. Il a rappelé au chef de l’État qu’il avait «la possibilité de corriger l’erreur commise».

Dans la soirée de samedi, les habitants de Caracas ont protesté contre la décision de la Conatel, par un concert de casseroles, de klaxons et de sirènes. Les journalistes de la chaîne privée Globovision, de l’opposition, ont interrompu leur programme, au même moment, pour lancer des appels à la défense de la liberté d’expression.

Une reprise en main

Pour les autorités vénézuéliennes, il n’y a rien d’exceptionnel dans la décision de mettre un terme à l’autorisation de diffusion de la RCTV, puisqu’elle venait à date d’expiration le 27 mai 2007. Les licences restent à la discrétion de la Conatel. «Il ne s’agit pas d’une sanction mais le produit naturel et inexorable de l’expiration de la concession», a précisé le ministère de la Communication.

Le 28 décembre 2006, Hugo Chavez avait annoncé sa décision de ne pas renouveler la concession de la RCTV qu’il avait dénoncé à plusieurs reprises comme «golpiste», c’est-à-dire complice du coup d’État qui l’avait exclu du pouvoir pendant 48 heures, en avril 2002.  

Fin mars, le gouvernement publiait un rapport de 360 pages sur la RCTV, l’accusant d’avoir violé la Loi de la responsabilité sociale à la radio et à la télévision.

Pas moins de 45 pages listent les «infractions» de la RCTV, dont la première est d’avoir parlé de la Loi de la responsabilité sociale comme d’une «loi sur le contenu des informations». Les feuilletons et leurs scènes de séduction sont devenus de la «promotion de la pornographie à des heures de grande écoute», et des prises de vues sur des fans de baseball en train de boire de la bière, une «incitation à la consommation d’alcool».

Selon l’enquête effectuée par le Comité de protection des journalistes, une organisation non gouvernementale de défense des journalistes, basée à New York, «la RCTV a connu des avertissements dans le passé, mais n’a jamais été condamnée alors que d’autres médias ont déjà été condamnés, mais n’ont pas vu leur licence retirée». Le CPJ note également que le gouvernement a refusé d’entendre les représentants de la RCTV et n’a jamais invité la chaîne aux débats publics et conférences organisés sur le sujet, ces derniers mois, par les médias publics.

Depuis la tentative de coup d’état et les grèves de la fin de l’année 2002 et début 2003, le président Hugo Chavez s’est lancé dans une vaste restructuration du réseau d’information publique. Les trois médias gouvernementaux (radio, télévision et agence) ont vu grossir leur enveloppe budgétaire. Entre 2002 et 2006, l'État a subventionné la création de 193 radios et télévisions communautaires.

En juillet 2005, une chaîne d’information en continu, Telesur a vu le jour, financée par l’État vénézuélien, l’Argentine, Cuba, l’Uruguay et la Bolivie.

Des quatre télévisions privées, considérées comme anti-Chavez, seule Globovision, émettant sur Caracas et sa région, a pu maintenir sa position. Televen, qui doit également renouveler sa licence, a supprimé quatre programmes politiques depuis septembre 2004.

Venevision, la chaîne la plus regardée et la plus critique, après une véritable guerre d’images, est revenue à des sentiments plus conciliants. L'ex-président américain Jimmy Carter avait supervisé une rencontre entre le chef de l'État, Hugo Chavez, et le directeur de Venevision, Gustavo Cisneros, en juin 2004. Venevision se consacre dorénavant au divertissement.

Les journées noires de la presse vénézuélienne 

8 et 9 avril 2002. Le gouvernement utilise plus de 30 fois son droit de réquisition de l'ensemble des antennes radio et télévision pendant les manifestations anti-Chavez.

11 avril 2002. Hugo Chavez réquisitionne une nouvelle fois les ondes. Les télévisions privées décident de diffuser simultanément le discours du président et les images en direct des manifestations anti-Chavez, en divisant l'écran en deux. Un photographe est tué et plusieurs autres blessés par balles par des tireurs inconnus.

À minuit, le président de l'association des chefs d'entreprises, Pedro Carmona, aidé d'un groupe de militaires prend le pouvoir.

12 et 13 avril 2002. Les nouvelles autorités interdisent la chaîne de télévision publique Canal 8 et perquisitionnent des radios communautaires. Les 4 chaînes de télévision privées diffusent des dessins animés et des feuilletons à la place des images des manifestations de soutien à Hugo Chavez. Elles invoquent l'insécurité de la situation pour ne pas envoyer des équipes de journalistes et ne diffusent pas les images des télévisions internationales qui couvrent les évènements.

14 avril 2002. Hugo Chavez reprend le pouvoir. 



par Marion  Urban

Article publié le 28/05/2007 Dernière mise à jour le 28/05/2007 à 11:29 TU