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Liban

La 1757, encore une résolution qui divise

Applaudie par les uns, critiquée par les autres, l’instauration du tribunal international chargé de juger les assassins de Rafic Hariri risque de compliquer la crise politique au Liban. La résolution a été votée par le Conseil de sécurité sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, ce qui renforce son caractère contraignant puisqu’un éventuel recours à la force n’est pas exclu d’emblée.
A Beyrouth, la joie des partisans de Saad Hariri, le fils de l'ancien Premier ministre assassiné, après le vote de la résolution 1757. (Photo : Reuters)
A Beyrouth, la joie des partisans de Saad Hariri, le fils de l'ancien Premier ministre assassiné, après le vote de la résolution 1757.
(Photo : Reuters)

De notre correspondant à Beyrouth

Le vote au Conseil de sécurité, mercredi soir, sous le Chapitre VII, d’une résolution instituant un tribunal international pour juger les assassins de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, est l’aboutissement d’une rude bataille politique et diplomatique, locale et internationale, qui a duré plus de deux ans. Pour la famille Hariri et la coalition du 14-mars au pouvoir, ainsi que pour une partie de l’opinion publique libanaise, ce tribunal est perçu comme l’ultime planche de salut, celle qui mettra un terme aux assassinats politiques, aux attentats et autres tentatives de déstabilisation du Liban.

Peu après le vote du projet par dix voix contre cinq abstentions (La Russie, la Chine, l’Indonésie, le Qatar et l’Afrique du Sud), le fils de l’ancien Premier ministre s’est interdit tout triomphalisme. Dans une allocution télévisée diffusée en direct, Saad Hariri a assuré que le tribunal n’était dirigé contre personne. Il a tendu la main à «nos partenaires dans la nation [opposition]», les a exhorté à «s’asseoir autour d’une même table de dialogue pour mettre nos idées en commun», et exprimé sa détermination à «traduire les paroles en actes».

Les larmes aux yeux, le chef de la majorité parlementaire s’est gardé de prononcer une seule fois le mot Syrie mais y a fait indirectement allusion, en déclarant que «l’instant du tribunal appartient à tous ceux qui ont résisté pendant trois décennies» à la tutelle syrienne au Liban.

Le Premier ministre, Fouad Siniora, a été plus explicite. Il a assuré que le tribunal ne visait pas la Syrie, soupçonnée d’être derrière l’assassinat de Rafic Hariri, ni une quelconque communauté libanaise. Selon lui, le «vote de ce projet (…) est un aveu de la communauté internationale que le Liban est un pays indépendant et souverain que la main criminelle qui sévit ne pourra pas briser».

Absence d’unanimité

Ces discours apaisants ne cachent pas l’amère réalité libanaise. Le vote du tribunal au Conseil de sécurité ne fait pas l’unanimité, et la résolution 1757 est perçue par une partie de la classe politique et de l’opinion publique comme une source supplémentaire de division. Si, dans les régions à majorité sunnite, l’instauration du tribunal a été accueillie par des scènes de liesse populaire et des tirs de joie, dans d’autres quartiers, l’indifférence était totale.

L’opposition, regroupée autour du Hezbollah et du Courant patriotique libre (CPL) du général chrétien Michel Aoun, souhaitait que les statuts du tribunal soient examinés par un gouvernement d’union nationale. Elle reproche au 14-mars de ne pas l’avoir associée à la préparation du projet et le soupçonne de vouloir utiliser le tribunal pour des règlements de comptes politiques internes. Le gouvernement, lui, l’accuse de vouloir saboter le tribunal pour «protéger les assassins».

L’instauration du tribunal sous le chapitre VII ne résout pas la crise, il pourrait au contraire la compliquer. L’opposition estime que le 14-mars a abandonné, au profit de la communauté internationale, une partie de la souveraineté nationale, notamment dans les domaines de la politique et de la justice.

Au lendemain de l’adoption du projet au Conseil de sécurité, les différents partis de l’opposition n’avaient pas encore officiellement réagi. Mais avant le vote, les commentaires avaient abondé. En visite à Paris, le général Michel Aoun s’est étonné de l’établissement d’un tribunal alors qu’il n’y a pas encore d’inculpés. «L’enquête ne fait état que de légers soupçons, et, pourtant, certains sont pressés d’instaurer le tribunal», a-t-il dit. Le député Ali Hassan Khalil, un proche du président du Parlement, Nabih Berry, a, quant à lui, été plus explicite. «Qu’ils n’espèrent pas que nous allons reconnaître ce tribunal directement ou indirectement», a-t-il dit avant le vote à New York. M. Berry est accusé par le 14-mars d’avoir «verrouillé» la Chambre pour empêcher que les statuts du tribunal ne soient adoptés selon les voies constitutionnelles libanaises.

Un responsable de l’opposition s’est inquiété des conséquences politiques au Liban du texte voté par le Conseil de sécurité. «La résolution stipule que le secrétaire général de l’Onu décidera, en concertation avec le gouvernement libanais, de la date du début des travaux du tribunal et de son emplacement, a-t-il dit sous le sceau de l’anonymat. Le texte parle du gouvernement et non pas de l’Etat libanais. Sous le prétexte que le cabinet d’union nationale que nous réclamons risque d’entraver le fonctionnement du tribunal, le 14-mars refusera de partager le pouvoir. Nous risquons de ne plus jamais être associés à un gouvernement, alors que nous représentons une grande partie de la population».

Polémiques qui empoisonnent la vie des Libanais

La presse libanaise s’est fait le reflet des divisions inter-libanaises autour du tribunal. Les journaux proches de la majorité se sont félicités de la résolution, alors que ceux qui appuient l'opposition ont dénoncé l’adoption d’un texte contraignant. Pour An-Nahar, dont le directeur général, Gébrane Tuéni, avait été assassiné le 12 décembre 2005, «la 1757 met en avant la justice internationale face au terrorisme». Al-Mustaqbal (l’Avenir), qui appartient à la famille Hariri, titre tout simplement «Tribunal». «Ce n'est pas le dénouement, c'est le début du chemin qui conduira à la vérité que les criminels croyaient pouvoir noyer dans le mensonge».

As-Safir, quotidien indépendant proche des thèses de l’opposition, est plus sceptique : «New York impose le tribunal au Liban... Qui sera capable d’imposer l'entente entre Libanais?». Pour Al-Akhbar (proche de l’opposition), «le Liban est désormais sous tutelle internationale». Ad-Diyar estime, pour sa part, que «l’opposition voit dans la résolution 1757 un plan d'internationalisation qui permettra à Washington de diriger le Liban par le biais du tribunal».

La Syrie, elle, avait déjà annoncé la couleur. Elle estime ne pas être concernée par le tribunal et, par conséquent, elle ne coopérera pas avec lui. Cerise sur le gâteau, Damas estime que le vote de résolution sous le chapitre VII provoquera une «détérioration de la situation au Liban».

Dans un tel contexte de division, la 1757 rejoindra d’autres résolutions, comme la 1559 et la 1701, dont l’interprétation et la mise en œuvre suscitent de vives polémiques qui empoisonnent la vie des Libanais depuis plus de deux ans.

par Paul  Khalifeh

Article publié le 31/05/2007 Dernière mise à jour le 31/05/2007 à 09:28 TU

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Saad Hariri

Chef de la majorité anti-syrienne au Liban

«Que ce soit la Syrie ou un autre pays, nous voulons que les coupables soient trouvés et que la série d'attentats s'arrête au Liban.»

[31/05/2007]

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