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Irak

Washington envisage une présence à long terme

En moyenne, chaque jour de mai a vu mourir de mort brutale 68 civils irakiens. 

		(Photo : AFP)
En moyenne, chaque jour de mai a vu mourir de mort brutale 68 civils irakiens.
(Photo : AFP)
En mai, le décompte mensuel des civils tués (2 000) est en hausse de 30%. Pour les troupes américaines, il est aussi le plus meurtrier (137 morts) depuis novembre 2004. La sécurisation de Bagdad a échoué.

Le mois de mai a été l’un des plus sanglants en quatre ans de guerre. Avec 2 000 morts, le décompte mensuel est en hausse de 30% du côté des civils. C’est le plus lourd de l’année. Pour les troupes américaines, avec 137 soldats tués, le bilan s’avère le plus meurtrier depuis novembre 2004 et le sanglant assaut sur le bastion rebelle de Falloujah qui avait creusé le bilan. Reste aussi à compter les morts parmi les «agents de sécurité» et autres mercenaires et à ajouter les pertes parmi les militaires et les policiers irakiens (46 et 127 en mai) régulièrement décimés.

De toute évidence, le déploiement massif de renforts sécuritaires n’a pas eu les effets escomptés et le plan de sécurisation lancé à Bagdad en février a échoué. Le général Raymond Odierno, le numéro deux du commandement américain en Irak, parle en tout cas de «progrès insuffisants» dans la stabilisation du pays où Washington prévoit désormais une présence militaire à très long terme inspirée du modèle sud-coréen, avec moins de troupes américaines mais un contrôle étroit de la chaîne de commandement politique et militaire.

En moyenne, chaque jour de mai a vu mourir de mort brutale 68 civils irakiens. Comme il est d’usage en temps de guerre, ce sont eux qui paient le plus lourd tribut, même si du côté des forces de sécurité, les chiffres ne traduisent pas, eux non plus, la moindre amélioration de la situation sécuritaire. Et cela, pas même à Bagdad, en dépit du lancement, le 14 février dernier, d’un nouveau programme de sécurisation de la capitale qui a déjà vu le déploiement de 85 000 soldats américains et éléments des forces de sécurité irakiennes. C’est, en effet, Bagdad qui a battu le sinistre record de 16 000 morts en 2006, soit la moitié des victimes recensées l’année dernière dans tout le pays.

Chaque jour, la capitale irakienne est le théâtre d’assassinats, d’attentats, et de coups de main plus ou moins sanglants, à l’instar, ce 29 mai, de l’enlèvement de cinq Britanniques capturés par des hommes en uniforme de policiers irakiens au cœur de la ville, dans un bâtiment du ministère des Finances jouxtant le quartier chiite de Sadr City. Arrivés à grand bruit dans quatre camionnettes, le commando a opéré en plein jour, au nez et à la barbe des forces américano-irakiennes qui poursuivaient leurs recherches vendredi et n’avaient toujours pas vraiment identifiés les auteurs de la très spectaculaire opération. Il s’agirait de l’Armée du Mahdi, peut-être, la milice du dirigeant chiite radical Moqtada Sadr – qui dément –, selon les suppositions du ministre irakien des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari.

Peu de progrès sécuritaire, selon l’état-major américain

Mai «a été un mois dur», reconnaît le général Perry Wiggins, directeur-adjoint des opérations régionales au Pentagone. Pour sa part, il avance comme explication de ce bilan négatif pour les troupes américaines le fait qu’elles s’aventurent désormais «dans des endroits où nous n'allions pas forcément auparavant». Du coup, «Nous nous heurtons davantage à l'ennemi», plaide-t-il, mais «sortir au milieu de la population irakienne avec les forces de sécurité irakiennes était important pour construire la crédibilité de ces forces de sécurité».

Les résultats de ces «sorties» donnent, en tout cas, une idée de la réalité brutale du terrain au-delà des enclaves bunkérisées. Jeudi, le général Raymond Odierno a quand même admis que les «progrès» sécuritaires étaient insuffisants. Le jour même, dans la capitale, selon le Pentagone, de violents combats opposaient la branche irakienne d'al-Qaïda à des insurgés sunnites et à une milice tribale venus de la province d'al-Anbar, des «supplétifs» en quelque sorte que l’armée américaine espère s’attacher pour donner un nouveau tournant à la guerre.

C’est en renforçant le contingent de 150 000 soldats américains déjà déployés en Irak que le président Bush espérait rompre l’escalade de la violence. Selon le général Odierno, l’arrivée des derniers renforts décidés en janvier est imminente. «Dans les deux prochaines semaines, 8 000 militaires vont s'installer dans les zones qui leur ont été assignées», assurait-il vendredi, en estimant que toute évaluation de leur impact avant septembre serait prématurée. Mais surtout, il s’est félicité avec insistance de la situation dans la province occidentale d'al-Anbar, foyer de l'insurrection sunnite, où, d’après lui, «les attaques sont en baisse et il y a des signes de normalité» qu’il attribue à la coopération d’une population qui refuserait de céder «aux intimidations d'al-Qaïda».

Toujours selon le général Odierno, dans ce «succès à al-Anbar», Washington voit «des opportunités de contacts à travers l'Irak avec d'autres tribus et entités dans le but d'intégrer les insurgés ordinaires sunnites et chiites». Ces fameux «insurgés ordinaires» constitueraient même, à entendre le général, «une grande majorité des groupes en Irak» et seraient selon lui «prêts à la réconciliation et intéressés à entrer en contact» avec les Américains. Les deux allant ensemble bien évidemment et ressemblant à s’y méprendre au rêve obligé de toute armée d’occupation : retourner les populations, sinon diviser pour régner. Du reste, le général Odierno se targue même déjà de contacts, certes informels, avec les insurgés, mais «à tous les niveaux de commandement, notamment au niveau des bataillons et des brigades».

Une présence militaire américaine appelée à durer

Dans une flambée d’optimisme, le général Odierno veut croire «qu'environ 80% sont prêts à la réconciliation, que ce soit l'armée du Mahdi ou les insurgés sunnites». Pour autant, l’administration Bush est en quête d’une nouvelle stratégie pour continuer d’évoluer sans trop de casse dans le chaudron aux sorcières irakien. Provisoirement soulagé de la pression démocrate contre laquelle il vient d’obtenir au Congrès le financement de la guerre jusqu’à fin septembre, George Bush a pris jeudi le temps d'une vidéo-conférence de 40 minutes, avec le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki et avec les vice-présidents Adel Abdel Mehdi et Tarek al-Hachémi, pour les remercier «de travailler ensemble sur les problèmes cruciaux dans les domaines économiques, politiques et de la sécurité».

Bush a, toutefois, exhorté ses filleuls irakiens à progresser plus rapidement vers une si improbable normalisation que Washington estime désormais que la présence militaire américaine en Irak est appelée à durer, très longtemps encore sans doute, mais sous une forme plus adaptée aux appréciations des électeurs américains qui ont largement accordé une victoire législative aux démocrates en raison du traitement républicain de cette question. Avancez plus vite, nous vous aiderons, c’est aussi ce que le président américain a dit à son homologue irakien, le Kurde Jalal Talabani, en visite minceur aux Etats-Unis où il était venu consulter pour un problème de surcharge pondérale, selon ses proches. Pour sa part, jeudi, le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a fait savoir qu’il réfléchissait à une présence américaine de longue haleine en Irak.

En visite dans la base du commandement américain de la région Pacifique, à Honolulu (Hawaï), Robert Gates s’est appuyé sur l'exemple de la Corée du Sud, où sont stationnées depuis la fin de la guerre de Corée (1950-1954) des forces américaines dont les généraux assurent le commandement de forces américano-coréennes, indiquant : «Je pense à un accord mutuel permettant la présence d'Américains pour une période prolongée». Le président Bush avait aussi déjà fait allusion à un «Plan B-H» en Irak qui prendrait également en compte les recommandation de la commission présidée par l'ancien secrétaire d'Etat James Baker.

Un accord mutuel sur le modèle américano-sud-coréen

La commission Baker propose une réduction des effectifs américains en Irak – de moitié selon le quotidien américain New York Times –, pour ne maintenir qu’un petit contingent chargé de la protection des frontières et de la direction de la lutte contre le terrorisme. De son côté, le porte-parole de la Maison Blanche, Tony Snow, a commencé à justifier la perspective d’un arrangement en Irak sur le modèle sud-coréen (un demi-siècle déjà) en assurant qu’il s’agit d’un «modèle dans lequel les Etats-Unis assurent une présence pour la sécurité», faisant valoir que chacun a «vu la démocratie se développer avec succès sur un certain nombre d'années en Corée du Sud, les Etats-Unis étant là-bas en tant que force de stabilité».

Bref, l’objectif serait de parvenir à un «modèle purement de soutien» mais la stabilisation de l’Irak et «la guerre contre le terrorisme» vont encore «prendre beaucoup de temps» avant de «transmettre les responsabilités premières aux Irakiens». En attendant, George Bush a indiqué qu’il avait demandé à Meghan O'Sullivan de retourner à Bagdad aux côtés de l'ambassadeur Ryan Crocker, pour aider les Irakiens à atteindre les objectifs fixés par Washington. L’ancienne collaboratrice de Paul Bremer dans l'Autorité provisoire chargée de gouverner l’Irak entre 2003 et juin 2004, Meghan O’Sullivan, permettra d’étoffer le dispositif politique américain sur place. Pour le reste, le président Bush rappelle la nécessité de légiférer sur la gestion des hydrocarbures, d’examiner la possibilité de faire participer d’anciens éléments du régime de Saddam Hussein à la vie publique et de préparer une réforme en vue d'élections provinciales.

par Monique  Mas

Article publié le 01/06/2007 Dernière mise à jour le 01/06/2007 à 15:44 TU