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Union européenne/Afrique

Dernière chance pour les «tinhas»

par Marie-Line Darcy

Article publié le 07/12/2007 Dernière mise à jour le 07/12/2007 à 23:12 TU

Les guerres coloniales portugaises et l’indépendance qui en a découlé pour l’Angola et le Mozambique ont laissé des traces chez une communauté de rapatriés, les spoliés. Dans le contexte du sommet UE/Afrique de Lisbonne, qui doit jeter les bases de nouvelles relations entre les deux blocs, les spoliés cherchent à éviter l’oubli.

Le 2 septembre 1974 à Lourenco Marques, les ressortissants portugais manifestaient leur mécontentement après la signature des accords de Lusaka annonçant l'indépendance du Mozambique. 

		(Photo : AFP)
Le 2 septembre 1974 à Lourenco Marques, les ressortissants portugais manifestaient leur mécontentement après la signature des accords de Lusaka annonçant l'indépendance du Mozambique.
(Photo : AFP)

On les a surnommé les « Tinhas », les « j’avais », bien avant que ne soit rendu populaire la phrase de Karen Blixen, « J’avais une ferme en Afrique… » grâce au film Out of Africa. Les « tinhas », ce sont les spoliés des guerres coloniales et d’indépendance d’Angola (11 novembre 1975) et du Mozambique (25 juin 1975), qui plus de trente ans après les faits, énumèrent toujours la liste des biens perdus ou abandonnés lors du rapatriement vers le Portugal.

Le surnom n’est guère flatteur, et comporte une nuance de dédain. Les spoliés, une minorité de personnes parmi les rapatriés de la décolonisation, sont ignorés par la population portugaise qui considère que leur combat est dépassé. Sur le demi-million de Portugais d’outremer, la dimension de leur groupe est, faute de statistiques précises, difficile à évaluer. Les associations qui les représentent avancent le chiffre de 80 000 dossiers de demandes d’indemnisation ou de compensation. Mais de nombreuses affaires ont été classées sans suite, faute d’éléments suffisants ou parce que la génération concernée a disparu et les descendants choisissent de tourner la page. Une poignée d’entre eux poursuivent cependant un combat anachronique.

« Après la révolution et l’indépendance de l’Angola et du Mozambique, le gouvernement portugais a appliqué une politique d’intégration très poussée. Incitative, elle a conduit les « retornados » à l’assimilation. Les rapatriés ont opté alors pour oublier l’outremer. Et à l’inverse de ce qui s’est passé en France à l’issue de la guerre d’Algérie et face aux pieds-noirs, le Portugal a su éviter les regroupements communautaristes de ces rapatriés, favorisant leur dilution dans le pays », explique Rui Pena Pires*, professeur de sociologie à l’université  de Lisbonne, auteur d’une thèse sur Migrations et intégrations.

Une assimilation exemplaire

Aux 500 000 rapatriés d’outremer on propose alors des crédits à taux préférentiels pour créer des entreprises, aux fonctionnaires on verse 60% du salaire en attendant la réintégration dans l’administration. Ce qui est fait en un an et demi. Aux jeunes lettrés - les universités d’Angola et du Mozambique ont été créées dans les années 60, et sont souvent à la pointe si on compare avec le Portugal continental de l’époque - on propose des fonctions politiques en province, d’ouvrir des écoles, de diriger des universités. Le pays a besoin urgemment de tout et de tous.

L’assimilation des élites d’outremer est exemplaire, elle vient à point rénover une classe apparentée sur le continent à l’ancien régime, celui de Caetano, successeur de Salazar. « Dans ce contexte, les spoliés se retrouvent marginalisés. Ils forment bien une communauté politique, mais elle n’a ni structure, ni leader, ni même interlocuteurs », souligne Rui Pena Pires. Reste l’argument économique, hier comme aujourd’hui. Les biens de l’ensemble des rapatriés, y compris des spoliés sont incalculables. Personne d’ailleurs ne se risque à les évaluer. La commission créée par le gouvernement de droite en 2004, reconduite par le gouvernement socialiste en 2005, n’a toujours pas pris ses fonctions. Elle devrait en principe s’atteler à l’aspect social du dossier, comme les pensions et retraites de gens qui n’ont jamais cotisé. Les associations des spoliés du Mozambique et d’Angola s’impatientent.

Blessures

Si Clara a pu retourner au Mozambique avec ses filles à qui elle a montré « sa terre natale », d’autres portent encore les marques du traumatisme. Nelson enrage lorsqu’il évoque cette période trouble. Sa famille installée au Mozambique dans les années 40 attendra le dernier moment pour quitter le pays. Les nationalisations du président Samora Machel ont déjà commencé, les biens familiaux, appartements, agences bancaires, commerces de machines outils changent de mains. Nelson a des mots très durs : « Nous sommes partis parce que ça devenait trop dangereux, ils parlaient de nous mettre dans des camps ou bien nous proposaient de travailler pour eux, en fait de devenir esclaves. Nous sommes rentrés. A l’époque on nous a jetés aux lions. Le gouvernement actuel doit prendre ses responsabilités et nous indemniser », clame Nelson.

Aujourd’hui, Fernando Martins, responsable de l’AENG (association des spoliés d’Angola) et Vasco Rodrigues, responsable de l’AEMO (association des spoliés du Mozambique), cherchent à faire valoir leur cause auprès de l’ONU. Une reconnaissance d’un viol des droits de l’homme permettrait de contraindre le gouvernement portugais à négocier des « réparations ». Le 19 octobre, une manifestation a rassemblé les spoliés à Lisbonne. Une poignée de survivants d’un passé colonial révolu, au déterminisme intact et qui refuseront jusqu’au bout une simple déclaration de repentance.

*Rui Ppena Pires, Migrações e Integrações, Celta Editora, 2003.

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