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Justice internationale

Témoignage accablant au procès de Charles Taylor

Article publié le 11/01/2008 Dernière mise à jour le 11/01/2008 à 21:53 TU

L'ex-président libérien Charles Taylor est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. (Photo: Reuters)

L'ex-président libérien Charles Taylor est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.
(Photo: Reuters)

Les juges du tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) ont procédé à l’audition du premier témoin dans le procès de Charles Taylor. Appelé à la barre par le procureur, Varmuyan Sherif a témoigné des liens directs qui existaient entre l’ancien président du Libéria et les rebelles sierra-léonais du Front révolutionnaire uni (RUF).

De notre correspondant à La Haye, Stéphanie Maupas

Varmuyan Sherif a juré sur le Coran de dire toute la vérité : Oui, il haïssait Charles Taylor, lance-t-il avec l’assurance tranquille d’un homme qui a conduit des bataillons de plusieurs centaines d’hommes. Premier insider appelé par le procureur, Varmuyan Sherif a un parcours singulier, qui débute par son exil face aux forces du Front national patriotique (NPLF) de Charles Taylor et se conclut par sa déposition devant les juges du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Exilé en Sierra Leone au début de la guerre civile au Libéria, en 1989, il y revient parmi les gradés du Mouvement uni de libération pour la démocratie au Libéria (ULIMO), pour combattre contre les hommes de Taylor. Puis l’accord de paix d’Abuja, l’élection de Charles Taylor en 1997 et la mise en place d’un gouvernement de coalition le placent au sein même de la « machine Taylor ». Lorsque le président fraîchement élu le nomme assistant du commandant des Services spéciaux de sécurité (SSS), « il met sa haine de côté ». Son chef, Benjamin Yeatan, alors bras droit de Charles Taylor, fut longtemps l’une des cibles du procureur. Il n’a finalement jamais été mis en accusation.

Comment Charles Taylor a armé les rebelles

Mais contrairement à ce dernier, le témoin n’a jamais été ni un ami ni un proche de l’accusé. Combattant aguerri, il avait sa confiance. Dans le box des accusés, Charles Taylor se contente de prendre des notes et d’orienter son avocat.  Varmuyan Sherif raconte les livraisons d’armes aux rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) à la demande directe de Charles Taylor. Sur ses ordres, il va chercher Sam Bockarie, dit « Mosquito », l’un des chefs rebelles sierra-léonais. Au terme de cette rencontre, ce dernier affirme que le président libérien lui a remis du cash et un téléphone satellite. Assassiné en 2003, sur ordre de l’accusé selon l’enquête du procureur, Sam Bockarie faisait lui aussi l’objet de poursuites pour crimes contre l’humanité.

M. Sherif évoque aussi les communications radios ou satellites entre Monrovia et les rebelles du RUF, qui installent peu à peu une base arrière au Libéria. Il est témoin d’une livraison d’armes à l’aéroport international de Monrovia. Armes convoyées à « White Flower », la résidence présidentielle.

En quelques heures, le procureur est allé au cœur de ses accusations : Charles Taylor a armé, formé, financé les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF). Ont-ils échangé des diamants contre des armes ? Le témoin l’affirme. « J’ai vu un flacon dans la poche de la veste » de Sam Bockarie « qui contenait des diamants ». Mais la défense de Charles Taylor pose le doute.

Un témoin solide

Maître Courtenay Griffiths tente de faire vaciller le témoin et se bat en trois points : Le témoin ment, avance-t-il, le Libéria présidé par Taylor était menacé par la Guinée et la Sierra Leone, et toutes les parties se sont rendues coupables de crimes. Varmunyan Sherif ne vacille pas. « Toutes les factions belligérantes maltraitaient des civils. Toutes les factions ont été impliquées dans les choses affreuses », rétorque-t-il. L’avocat tente de poser des zones d’ombres sur le parcours du témoin. « N’avez-vous pas été formé dans un camp militaire au Moyen-Orient ? » Peine perdue. Il s’attarde sur l’état mental de l’accusé, dont il assure qu’il a été vu se promenant nu dans Monrovia. « Pouvez-vous assurer qu’il n’existe aucun dossier médical, nulle part dans le monde, concernant votre état mental ? » Le témoin pare le coup. Alors l’avocat évoque les frontières, artificielles, poreuses. De chaque coté on parle la même langue, de chaque coté le dollar libérien a cours, les mariages sont célébrés. « Pendant des siècles, les gens ont été en mouvement dans les deux sens au cours de cette frontière imposée, n’est-ce pas ? Les personnes circulaient sans entrave ? » Varmunyan Sherif confirme. « Etes-vous heureux de témoigner contre Charles Taylor ? », tente encore l’avocat. « J’ai dit volontaire, je n’ai pas dit heureux. » Rien sur le visage du premier insider ne laisse apparaître un quelconque bonheur. Le procureur doit encore appeler 142 témoins.