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Kosovo

La grande peur des Serbes de Mitrovica

Article publié le 13/02/2008 Dernière mise à jour le 13/02/2008 à 18:35 TU

Le Kosovo se dit prêt pour l’indépendance, attend le feu vert de Bruxelles tandis que Washington l'encourage. Même si l’avenir est incertain concernant le grand jour, l’apaisement semble de mise : Moscou ne fera pas pression pour interrompre le processus. C'est ce qu'a indiqué le ministre russe des Affaires étrangères. Sur place, cependant, les Serbes du nord du territoire redoutent les violences et les provocations qui pourraient éclater à l'occasion de cette grande échéance.

Un marché albanais à Mitrovica, une viile à majorité serbe, le 8 février 2008.(Photo : AFP)

Un marché albanais à Mitrovica, une viile à majorité serbe, le 8 février 2008.
(Photo : AFP)

De notre correspondant dans les Balkans, Jean-Arnault Dérens

Mitrovica – Drago ne sait toujours pas ce qu’il fera le week-end prochain. « Je veux emmener ma femme et ma fille en Serbie, mais je ne partirai pas avant d’avoir entendu l’annonce de l’indépendance à la télévision… Parce que je refuse encore d’y croire. J’attendrai le dernier moment. Ensuite, je reviendrai chez moi au plus vite. Je défendrai ma maison ». Drago possède, en toute légalité, un fusil de chasse. Depuis 1999, sa maison a été perquisitionnée douze fois par les troupes internationales de la KFOR, à la recherche d’armes illégales, que cet ingénieur d’une quarantaine d’années, placide et débonnaire, n’a jamais possédées.

Drago parle albanais, et a toujours vécu au contact de l’autre communauté. Son petit village surplombe la bourgade de Zvecan, au nord de Mitrovica. De l’autre côté de la montagne, se trouve trois villages albanais : la région fait office de « zone frontière » entre le nord serbe et le sud albanais du territoire.

Depuis quelques années, les Albanais sont revenus vivre dans ces villages, partiellement enclavés dans le secteur serbe. Bien sûr, ils ne se rendent pas à Zvecan ou dans la partie serbe de Mitrovica mais, entre villageois, les relations ont repris un cours presque normal. Drago, considéré comme un sage et un notable dans son village, a beaucoup contribué à cette normalisation. « Nous devons nous entraider, vivre ensemble, c’est notre destin », explique-t-il. Impossible de trouver chez lui la moindre trace de haine des Albanais, mais aujourd’hui, Drago ne fait pas mystère de sa peur.

Des dérapages possibles des deux côtés

Le Kosovo.(Carte : RFI)

Le Kosovo.
(Carte : RFI)

« Les provocations peuvent venir de tous les côtés », explique-t-il, « des extrémistes de notre camp, aussi bien que de ceux de leur camp ». Dimanche soir, les Albanais fêteront l’indépendance. S’ils tirent des feux d’artifice dans les villages enclavés du nord, les Serbes risquent d’y voir une provocation.  « Des extrémistes albanais peuvent s’infiltrer par ces villages, mais nous avons aussi nos extrémistes, qui pourraient profiter de l’occasion pour attaquer les villages albanais ».

Qui sont ces « extrémistes » ? Drago reste vague, évoquant des gens qui pourraient venir de Serbie. On parle régulièrement de l’Armée du prince Lazare, une brigade nationaliste, qui reste pourtant assez folklorique, mais il existe aussi d’autres réseaux à Mitrovica même. Malgré les innombrables perquisitions de la KFOR, les armes sont partout présentes.

Les troupes françaises de la KFOR, déployées dans le secteur, affirment être en état d’alerte et assurent que « les leçons ont été tirées » des précédents épisodes de violence qui ont déchiré le Kosovo. Pourtant, nul ne sait ce qui pourra se passer dimanche soir. De manière presque assurée, le Conseil national serbe du Kosovo, principale autorité dans le nord du territoire, considèrera comme nulle et non avenue la proclamation d’indépendance.

Les policiers serbes engagés dans la police du Kosovo arracheront leurs insignes, mais revêtiront-ils pour autant l’uniforme de la police de Serbie ? Pour les militaires français, cela reviendrait à franchir « l’une des lignes rouges ». Pour le reste, la KFOR, comme la police des Nations unies, semblent décidées à être « très tolérante », pour ne pas provoquer d’incidents.

Alors que le sort des enclaves serbes du sud du Kosovo reste totalement incertain, le secteur nord devrait entrer dans une logique de partition, même si personne n’envisage d’officialiser celle-ci. « Les Serbes ne vont pas proclamer leur sécession ou créer une éventuelle République serbe du Kosovo, car cela reviendrait, de facto, à reconnaître l’indépendance du reste de la province », explique, à Belgrade, Dusan Janjic, responsable du Forum pour les relations interethniques. « Belgrade n’a pas intérêt à faire monter trop vite la pression. Les Serbes se contenteront de ne pas reconnaître l’indépendance ni les nouvelles institutions du Kosovo. Tout le monde pourrait se satisfaire, au moins un certain temps, d’une partition de facto du secteur nord, à moins que les Albanais ne cherchent immédiatement à affirmer leur souveraineté sur l’ensemble du territoire. Dans cette hypothèse, des violences risqueraient fort d’éclater ».

En réalité, pour le nord serbe du Kosovo et les enclaves, il n’y a guère que des questions sans réponse, et la principale inconnue est peut-être l’attitude de Belgrade. Le gouvernement serbe menace de tomber depuis les élections présidentielles du 3 février, le ministre de l’Intérieur est à l’hôpital après un grave accident de voiture. Les dirigeants serbes du Kosovo sont profondément divisés, et personne ne sait qui mènera le jeu dans les semaines périlleuses qui vont suivre la proclamation d’indépendance.