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Entretien

Ngarlejy Yorongar : «Idriss Déby a roulé tout le monde dans la farine»

Article publié le 08/03/2008 Dernière mise à jour le 15/03/2008 à 08:02 TU

L'opposant tchadien, Ngarlejy Yorongar, en exil en France depuis le 6 mars, confie dans un entretien avec RFI, les circonstances de son arrestation et les conditions dans lesquelles il a été détenu, au secret, durant près d'un mois. Ngarlejy Yorongar parle aussi de l'ex-président Lol Mahamat Choua, détenu dans la même prison et de Ibni Oumar Mahamat Saleh, dont il craint qu'il soit mort des suites de mauvais traitements reçus dès les premiers jours de son incarcération.

L'opposant tchadien Ngarlejy Yorongar à son arrivée en France, à l'aéroport Charles-de-Gaulles, le 6 mars 2008.(Photo : AFP)

L'opposant tchadien Ngarlejy Yorongar à son arrivée en France, à l'aéroport Charles-de-Gaulles, le 6 mars 2008.
(Photo : AFP)

RFI : Ngarlejy Yorongar, comment vous portez-vous ?

Ngarlejy Yorongar : « Mi-figue, mi raisin ! »  En prison, j’avais les pieds liés par une grosse chaîne, ce qui a provoqué la sciatique invalidante que je traîne depuis lors. Mais avant de répondre à votre question, permettez-moi de m’acquitter d’un devoir, celui de remercier son Excellence Omar Bongo, qui est intervenu immédiatement, dès le dimanche 3 février, entre 19 heures et 21 heures. Il a immédiatement réagi en téléphonant à Idriss Déby. Le président Wade aussi est intervenu promptement tout comme le président Compaoré. Je remercie le président Paul Biya qui m’a fait l’honneur de m’accueillir et également de me protéger ainsi que le président Sarkozy qui est intervenu et en plus de cela, qui m’a offert un billet, un visa.

RFI : Le président Déby affirme qu’Ibni (Mahamet Saleh) et vous-même n’avaient jamais été arrêtés, ni par l’armée, ni par la garde présidentielle.

Ngarlejy Yorongar : Idriss Deby a « roulé tout le monde dans la farine ». Il ment. Je connais le chef d’équipe qui est venu m’arrêter. Je le connais de visage, mais pas de nom. Mais je retrouverai un jour son nom. Le dimanche, c’est vers 17heures qu’une équipe de militaires est venue à bord d’une Toyota, portant des brassards jaunes de l’armée nationale tchadienne. Ils sont venus, ils m’ont arrêté, ils m’ont tabassé devant ma femme et mes enfants. Leur chef a tiré sur mon chauffeur, il lui a blessé la main. C’est ainsi qu’on m’a enlevé. Donc, on m’a emmené à Farcha, à l’ouest de Ndjamena. On m’a conduit derrière cette bâtisse-là, où se trouvait monsieur Lol (Mahamat Choua) en train de prier. Il était vers les 18 heures, je crois. Après moi, c’est Ibni qu’on a emmené. Ibni, on ne l’a pas conduit directement dans notre direction, mais on l’a amené directement devant les portes des cellules ; parce que lui, on l’a conduit directement sur le fleuve des coups de crosse, de coups de poing et de coups de pied. 

RFI : Cela, vous l’avez vu ?

Ngarlejy Yorongar : Je l’ai vu distinctement.

RFI : Il était loin de vous à ce moment-là ?


Ngarlejy Yorongar : Il était à environ 5 ou 6 mètres.

RFI : Il vous a vu ?

Ngarlejy Yorongar : Non, je ne crois pas, parce qu’on l’a tellement tabassé qu’il ne pouvait pas me voir ; mais moi, je l’ai vu.

RFI : Il avait ses lunettes ?

Ngarlejy Yorongar : Non, il n’avait pas ses lunettes. Et même si vous avez des lunettes, on les écrase ! Donc, on l’a conduit devant les cellules, et c’est là où on l’a enfermé. Donc Lol est à ma gauche, dans une cellule et Ibni à ma droite. Je suis au milieu, séparé par des murs. Donc, je suis au courant de tout ce qui se passe chez les voisins. L’indication que quelqu’un vit dans une cellule, ce sont les portes qui s’ouvrent, à 14 heures, 15 heures, pour le repas. Le jour où il n’y a pas d’ouverture de cellule, cela veut dire que vous n’êtes plus là. Monsieur Ibni, quand il a été tabassé, je crois qu’entre le 4 et le 6 février, il est mort. Ou il est mort, ou il a sombré dans le coma, ou on l’a enlevé et on l’a emmené à l’hôpital. Mais pour moi, il est mort ; parce que compte tenu de la panique qui s’est emparée des gardiens dans la cour, il ne s’agissait pas d’un simple coma ou quelqu’un qui est extrait pour être emmené à l’hôpital. Moi, j’ai vu à travers les persiennes quelqu’un qu’on a « trimballé », comme s’il était mort.

RFI : Et quand vous avez vu ce corps devant vous, c’était quel jour ?

Ngarlejy Yorongar : Je ne me rappelle pas exactement de la date. Cela doit être entre le 4 et le 6 (février). C’est confirmé par la présence de celui qui nous a arrêtés, que l’on appelle directeur général. Il est venu, il a passé un certain temps avec l’homme, avant de venir chez moi. Il m’a remis des médicaments et il est parti.

RFI : Est-ce que vous avez entendu la voix d’Ibni avant sa disparition ?


Ngarlejy Yorongar : Non, tout était calme chez monsieur Ibni. Je crois qu’il était trop mal en point pour parler. Mais vu l’état dans lequel on l’a mis, je crois que dès les premiers jours, il était mal en point.

RFI : En fait, la seule fois où vous l’avez vu

Ngarlejy Yorongar : C’est le soir de notre arrivée, quand on l’a tabassé, cogné de coups de pied, de coups de poing, de coups de crosse, cela je l’ai vu ; mais les autres jours, je ne l’ai pas vu. Je ne l’ai même pas vu sortir comme Lol, quand on sort le matin pour aller faire ses besoins.

RFI : Et ce moment de panique où vous pensez que les geôliers ont découvert que peut-être Ibni n’était plus des nôtres ; ce moment de panique, vous ne savez pas si c’est le lendemain matin, le lundi 4, ou le mardi 5, ou le mercredi 6 (février) ?

Ngarlejy Yorongar : Non, pour moi, c’est entre le 4 et le 6 ; parce que le 6, quand le directeur général est venu, c’est lui (pour mémoire) qui m’avait cogné sur la tête et qui a tiré sur mon chauffeur. Le 6, il était devenu très gentil. Donc, je crois qu’il y a quelque chose qui s’est passé quand les gens paniquaient dans la cour. Il y en a qui téléphonait - je ne sais pas si c’est le chef – paniquant en disant : « Passez par Bap, passez par Bap, c’est urgent, il faut venir ». Et il y a plusieurs voitures qui sont entrées dans la cour. Donc, c’est ce jour-là que monsieur Ibni n’a plus jamais ouvert sa porte...

RFI : On arrive au jeudi 21 février, c’est le jour où vous sortez de votre cellule.

Ngarlejy Yorongar : Entre 2 heures et 3 heures du matin, deux personnes, deux geôliers entrent dans ma cellule, torches en main. Ils m’ont bandé les yeux avec un morceau de tissu rouge et on me fait lever, on me dit d’avancer, la chaîne aux pieds.

La chaîne m’empêchant d’avancer, je dis : « je vais prendre le bout de la chaîne, sinon je risque de ne pas marcher ». Donc on m’a permis de prendre le bout de la chaîne, c’est comme cela que l’on m’a conduit à la voiture où on m'a jeté. On a tourné, tourné, tourné et arrivés quelque part, on m’a fait descendre. On m’a enlevé le bandeau, on m’a enlevé la chaîne, on m’a fait coucher entre deux tombes et je leur ai dit que je voulais prier. Je voulais faire ma dernière prière, parce que je savais de quoi il s’agissait.

On m’a giflé d’abord, et puis on m’a dit : « Vas-y ». Je me suis mis à genoux, j’ai prié Dieu, j’ai demandé à Dieu de leur pardonner ce qu’ils étaient en train de faire, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Quand j’ai dit cela, on m’a giflé encore. J’ai continué ma prière et j’ai terminé.

Après, ils ont réfléchi et ont dit : « Nous sommes venus pour te tuer et tu demandes à Dieu d’être clément, de nous pardonner ». Cela veut dire quoi en arabe ? Dans ma cellule, ils parlaient parfaitement français, mais au cimetière, ils ne parlaient que l'arabe. Ils se sont retirés juste à 1mètre ou 1mètre 50, ils se sont chuchotés quelque chose à l’oreille et ils ont tiré une balle dans ma direction. La balle a soulevé la terre de la tombe sur laquelle j'étais puis, ils sont entrés dans la voiture, sans chercher à savoir si j’étais à terre ou pas. Ils ont démarré la voiture.

Quand je les ais vus démarrer la voiture, que j'ai vu qu’ils ne s’arrêtaient pas ou qu’ils ne revenaient pas, je me suis levé. Comme cela faisait 19 jours que je portais des chaînes aux pieds, je n'ai pas pu marcher immédiatement, je titubais, je tombais. Arrivé quelque part, j’ai vu une hutte dans le reboisement à gauche. Quand vous allez au cimetière de Ngonmba, il y a une hutte faite par deux gardiens. D’ailleurs, les gardiens en question croyaient que j’étais un revenant, parce qu’ils sont au cimetière. Les Africains croient encore aux revenants

Je me suis présenté, et il s’est trouvé que c’étaient des parents. Ils se sont mis à pleurer. J’ai dit : « Non, arrêtez vos conneries de pleurer, donnez-moi des sandales ». Ils m’ont conduit au rond-point. J’ai reconnu la maison d’un ami qui s’appelle Bourmasou ; c’est un militant aussi. Je me suis dit : « Je vais aller chez lui ». Dès qu'il me voit, il s’est mis à pleurer. Je lui ai dit : « Fais-moi du thé ». Il était 4 heures 30 du matin. Et un de ces deux gars-là, sans me demander, est allé appeler ma cousine, dont nos pères sont des frères. Il l’amène, elle se met à pleurer. Je me dis : il y a beaucoup de gens qui commencent à savoir que je suis là, il faudrait que je « me dégage ». Je leur ais donc dit : « Je vous aime bien, moi je m’en vais ».

J’ai marché jusqu’à Ngueli. Je suis allé voir quelqu’un que je connais. Je suis resté dans la nuit du 21 au 22 février à Ngueli et vers 5 heures, 6 heures du matin, il m’a donné 150 000 francs CFA. Il m’a dit : « débrouille-toi avec, si Dieu te protège, tu me « les redonnes », si Dieu ne te protège pas et que tu péris, j’irai au ciel ». Il est allé prendre sa pirogue et il m’a fait traverser. C’est comme cela que je suis arrivé à Kousséri. Ensuite, j’ai loué un véhicule qui m’a emmené à Maroua, au Cameroun.

RFI : Alors pourquoi avez-vous attendu 9 jours entre le 21 février et le 1er mars pour donner signe de vie ?

Ngarlejy Yorongar : La raison principale est que j’ai téléphoné à Afrique Education. Ils m’ont dit : « Il faut absolument qu’on réalise une interview » et c’est à Maroua que j’ai répondu à leurs questions. Je me suis dit, tant que je n’apporte pas mon témoignage à ce journal, c’est dangereux de me présenter à une autorité. Soit, on m’empêche d’envoyer mon interview, soit Idriss Déby, avec tous ces renseignements, dit : « Ramenez-moi Yorongar, mort ou vif », c’est cela l’ordre qu’il a donné. Je voulais donc apporter mon témoignage avant de me présenter. Voilà les raisons.

RFI : On se souvient que le lendemain de votre libération, le vendredi 22 février, les autorités tchadiennes ont affirmé que vous étiez vivant, que vous étiez rentré chez vous. En fait, est-ce que vous n’êtes pas resté caché également pour jouer un mauvais tour à Idriss Déby ?

Ngarlejy Yorongar : Non, pas du tout. J’ai voulu donner le témoignage ; quitte à ce que l’on m’abatte dans la rue ou bien dans ma cachette, mon témoignage ferait l’affaire. Ce n’est pas pour jouer un sale tour à Idriss Déby. Je n’ai téléphoné à personne d'autre qu’au directeur d’Afrique Education, à personne d’autre. Et on apprend …. ?  que le jour où le journal paraîtra, ce jour-là je me présenterai aux autorités camerounaises, et c’est ce que j’ai fait.

RFI : Mais vous savez que pendant les 9 jours où vous êtes resté caché, on a parlé de plus en plus de vous, et du coup, cela a compliqué la visite de Nicolas Sarkozy à Ndjamena. Est-ce que vous n’aviez pas cela également dans vos intentions ?

Ngarlejy Yorongar : Moi, je ne m’occupe pas de tout cela. 

RFI : Oui, mais vous êtes aussi un homme politique, Ngarlejy Yorongar. Donc peut-être, avez-vous joué la stratégie de la tension aussi, non ?

Ngarlejy Yorongar : Non, non, non, je n’ai pas cela en tête. Moi, ma préoccupation, c’est de donner mon témoignage, un point, un trait.

RFI : Aujourd’hui, vous êtes en France, est-ce que vous allez rentrer à Ndjamena ?

Ngarlejy Yorongar : Vous croyez que je vais laisser ce pays-là à Idriss Déby ? Non, mais quand même, le pays m’appartient... moi aussi, « je vais le marquer pour toujours à la culotte », qu’il sache qu’il a toujours voulu me pousser à l’exil, mais il se trompe.

Un entretien réalisé par Christophe Boisbouvier

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