par Solenn Honorine
Article publié le 09/03/2008 Dernière mise à jour le 09/03/2008 à 06:04 TU
Les médias classiques étant contrôlés par le gouvernement, Internet est devenu la seule source d'information à laquelle les opposants font confiance.
(Photo : Solenn Honorine/ RFI )
Mei Ling n'arrive pas à contrôler son excitation. « Je suis aux anges ! On est en train d'écrire l'histoire ! ». Il est 22 heures, cela fait 5 heures que les bureaux de vote ont fermé et les premiers résultats tombent peu à peu. Harris Ibrahim est rivé sur son ordinateur ; il a préparé un petit tableau où il écrit le nom des députés de l'opposition au fur et à mesure que leur victoire est annoncée. « Zainuddin a perdu ! ». Ses amis applaudissent, sifflent et trinquent : un ministre du gouvernement sortant ne siègera pas au nouveau Parlement. Celui-ci s'annonce radicalement différent du sortant, où la coalition Barisan Nasional avait raflé 91% des sièges. « Vu la situation, on pourra peut être même former le gouvernement », s'enthousiasme Harris.
Son pronostic s'avèrera trop optimiste, mais pas sans fondement. Ses amis arrivent peu à peu à la Maison des Blogs, un club house loué par un groupe de bloggeurs qui se sont rencontrés l'année dernière, via internet et via leur commun rejet de la coalition au pouvoir. Ici, si la télévision reste allumée, ce n'est pas vraiment pour les informations qu'elle diffuse. « On ne peut pas leur faire confiance, ils sont contrôlés par le gouvernement », persifle Helen Ang. « Regarde ! Ils retardent au maximum le moment où ils devront annoncer les défaites des membres du BN ». A l'autre bout de la salle, Tony jongle entre deux ordinateurs, et les autres ont presque tous un portable sur les genoux, connecté au site d'information Malaysiakini, le seul organe indépendant du pays – le site est particulièrement lent ce soir, à cause du fort trafic.
« Moi j'ai toujours voté pour le BN. C'est la première fois que toute ma famille choisi l'opposition », ricane Yusof Ahmad, 60 ans, l'aîné du groupe. « Ils ont fait une erreur au gouvernement, ils ont oublié de compter sur les jeunes. J'ai quatre enfants, et aucun d'entre eux ne lit les journaux. Ils ne s'informent que sur internet ! ». La télévision annonce le résultat d'un sondage : 98% des politiciens estiment que la campagne se jouera de plus en plus sur Internet ; la salle explose en applaudissements. Car c'est évident que la Toile a pris une importance considérable lors de cette élection, qui a permis de court-circuiter les médias traditionnels et mettre à jour le mécontentement des électeurs.
Au quartier général de l'opposition, lors du dernier soir de campagne.
(Photo : Solenn Honorine/ RFI )
Cette grogne transparaît de plus en plus clairement alors que la soirée s'avance. Samy Vellu, le leader du parti indien du Barisan Nasional et seul ministre indien du gouvernement sortant, doit annuler en catastrophe les célébrations prévues pour son anniversaire et sa réélection : pour la première fois depuis trois décennies, il a perdu son siège de député. Son parti, un pilier de cette coalition qui se targue de représenter toutes les composantes ethniques de la société à travers les partis malais, chinois et indien qui la forment, est sur les genoux ; aucun de ses ténors n'est réélu. Par contre, M. Manoharan, le leader du mouvement de protestation indien Hindraf qui avait organisé de grandes manifestations l'année dernière, a, lui, été élu avec une marge confortable… alors même qu'il est en prison, en vertu de la loi de Sécurité nationale qui autorise la détention, indéfiniment et sans procès, d'individus considérés comme une menace pour la stabilité du pays.
Pour Mei Ling, la grosse nouvelle de la soirée est le basculement de sa région d'origine, Penang. Cette zone était l'un des champs de bataille les plus chaudement disputés, car, tout comme chez les Indiens, le mécontentement était palpable chez les Chinois, qui forment la majorité de cet Etat. Mais si le fort recul des deux partis chinois et indien du BN était prévisible, il est plus surprenant de constater que les électeurs malais, eux aussi, ont choisi d'exprimer leur mécontentement dans les urnes en élisant 23 députés du parti islamiste, qui, dans le contexte malaisien, est l'exutoire naturel des Malais qui veulent voter pour l'opposition.
Mais cette habitude des électeurs de voter en fonction de leur ethnie pourrait changer peu à peu, car le message des principaux partis de l'opposition était justement le rejet de ces politiques ethniques dans le pays. D'ailleurs, il y a quarante ans, la dernière fois que le Barisan Nasional avait remporté moins des deux tiers des sièges au Parlement, les manifestations de joie des opposants chinois avaient été le déclencheur d'émeutes raciales sanglantes – c'est pourquoi tous les leaders d'opposition ont enjoint leurs partisans de garder un profil bas. « Mais les jeunes n'étaient pas là en 69 ! », s'exclame Yusof Ahmad, le retraité. « Le pays a changé, et il est temps que la politique reflète ce changement ».
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09/03/2008 à 00:36 TU