par Nicolas Vescovacci
Article publié le 11/03/2008 Dernière mise à jour le 12/03/2008 à 00:15 TU
Après un retour très médiatique en Thaïlande le 28 février 2008, Thaksin Shinawatra, doit comparaître ce mercredi 12 mars pour la première fois devant des juges. L’ancien Premier ministre renversé par un coup d’état militaire il y a dix-sept mois est accusé de corruption dans plusieurs affaires. Thaksin risque 15 ans de prison, mais ne semble pas redouter la justice. Et certains observateurs affirment déjà que l’homme d’affaires sera protégé, quoi qu’il arrive, par l’actuel Premier ministre. Samak Sundaravej a en effet toujours revendiqué son amitié et son attachement politique à Thaksin Shinawatra et son clan.
Un retour médiatique
28 février 2008, aéroport international de Bangkok. Thaksin Shinawatra, costume sombre, sort du salon VIP réservé aux personnalités. Dix mille de ses partisans l’attendent avec des drapeaux et des fleurs. « We love you », « Welcome home », peut-on lire sur certains T-shirts colorés arborés en guise de bienvenue. Des chansons pro Thaksin résonnent dans le terminal, puis des cris d’amour : « Thaksin n’est pas un dictateur. Je l’aime ! », lance un homme. « C’est le meilleur Premier ministre que la Thaïlande ait jamais connu », explique un autre.
Devant les caméras de télévision, Thaksin apparaît enfin : applaudissements, délire, hystérie ! Avec un sens inné de la mise en scène, l’ancien Premier ministre met un genou à terre et embrasse le sol du royaume à la façon d’une ex-star catholique et cathodique, le pape Jean-Paul II.
Pour la justice, Thaksin est présumé hors la loi, accusé de corruption, d’abus de bien social, et ce dans plusieurs affaires. Une commission d’enquête a été spécialement mandatée par les généraux putschistes pour s’occuper du « cas Thaksin ». Et pourtant ce jour-là, l’ancien Premier ministre, surnommé « square face », pour sa mâchoire carrée ou bien « Thaksinator », pour son attitude autoritaire, redevient « Thaksin superstar ».
Dès son arrivée à l’aéroport, l’homme est pris en charge par les forces spéciales de la police. Des tireurs d’élite sont postés sur les toits. Il est vrai que le gouvernement a décidé de protéger un citoyen qui vient de recevoir du ministère des Affaires étrangères un tout nouveau passeport diplomatique. Détail intéressant : Noppadon Pattama, le chef de la diplomatie thaïlandaise a été, par le passé, l’avocat personnel de Thaksin Shinawatra.
L’ancien Premier ministre rentre en Thaïlande pour, dit-il, « laver son honneur ». L’homme d’affaires rejette toutes les accusations de corruption qui pèsent contre lui. Il veut montrer sa bonne foi.
Quelques heures après son retour à Bangkok, Thaksin entre dans le bureau du procureur général de la Cour suprême qui lui lit l’acte d’accusation. « L’accusé Thaksin » est ensuite libéré sous caution mais a interdiction de quitter le royaume sans permission. Pour éviter la prison, Thaksin signe un chèque de neuf millions de baths (281 000 dollars) et emménage à l’hôtel Peninsula, le plus cher de Bangkok. Pas de chance, sa résidence dans la capitale thaïlandaise est en travaux !
Thaksin, un clan indestructible
Le retour de Thaksin, c’est avant tout la victoire d’un clan. Celui qui a dominé la vie politique thaïlandaise entre 2001 et 2006.
Lorsque l’armée s’invite au pouvoir en septembre 2006, elle le fait au nom d’une certaine idée de la démocratie et de l’éthique politique. En tant que chef du gouvernement, Thaksin aurait foulé aux pieds ces principes, exacerbant les divisions au sein de la société thaïe. Pro et anti Thaksin s’affrontent dans la rue. Les militaires ne le supportent pas et s’autoproclament une nouvelle fois comme l’unique rempart au chaos. C’est le coup d’Etat du 19 septembre 2006, le dix-septième de l’histoire contemporaine du royaume.
Pendant dix-sept mois, les généraux vont tenter de casser le système Thaksin : casser son image et ses réseaux de clientèle. La campagne anti-Thaksin atteint des sommets en mai 2007. La Cour constitutionnelle décide alors de dissoudre le Thaï Rak Thaï (les Thaï aiment les Thaï), la machine électorale créée par Thaksin en 1998 pour gagner les élections. Le tribunal interdit à l’ancien Premier ministre ainsi qu’à ses plus fidèles lieutenants de se présenter aux élections pendant cinq ans. Le Thaï Rak Thaï (TRT) est reconnu coupable de fraudes électorales. Le TRT aurait payé de petits partis politiques pour qu’ils participent au scrutin législatif anticipé du 2 avril 2006, boycotté par l’opposition, afin de le rendre crédible.
Si les faits sont effectivement avérés, l’acharnement des généraux va se retourner contre eux. Fort d’un énorme soutien populaire, surtout dans les campagnes, Thaksin se transforme de nouveau en « Thaksinator ». Son parti change de peau. Le TRT devient le PPP, (le Parti du Pouvoir du Peuple) avec à sa tête un ancien leader d’extrême droite, le très controversé Samak Sundaravej.
Samak a fait campagne dans l’ombre de Thaksin. Il ne s’en cache pas. C’est pour le clan Thaksin que Samak travaille, c’est à Thaksin exilé entre Londres et Hong Kong que Samak dédie sa victoire aux élections générales de décembre 2007.
Au lendemain du scrutin, Samak affirme que son mentor rentrera bientôt au pays. Sa victoire électorale rend évidemment la chose possible. Thaksin affirme ne plus vouloir faire de politique. De toutes les façons, une décision de justice le lui interdit.
Mais à Bangkok, la présence de l’industriel fait courir la rumeur. Samak serait une marionnette, Thaksin le véritable Premier ministre de Thaïlande ; celui qui tire les ficelles en coulisses.
Empêtré dans une obscure affaire de contrôle de changes, Surapong Suebwonglee, le ministre des Finances, ne laisse-t-il pas entendre que Thaksin ferait un très bon conseiller économique ? Que son expérience des milieux d’affaires est inégalée ?
Samak Sundaravej est obligé de s’expliquer publiquement : « Non, Thaksin n’est pas le Premier ministre de Thaïlande ! ». « Mais qui alors ? », s’interroge ironiquement la presse anglophone de Bangkok.
Deux semaines après son retour, Thaksin Shinawatra n’a toujours aucune responsabilité officielle dans le royaume, à part celle de président de l’association thaïlandaise de golf. Il en est fier !
Thaksin Shinawatra, ses «affaires» et la justice
Thaksin Shinawatra devra d’abord faire la preuve de son innocence dans deux affaires de corruption qui remontent à 2003.
A l’époque, le Premier ministre aurait usé de son influence pour que sa femme puisse acheter des terres appartenant à la Banque de Thaïlande. Les limiers de la commission spéciale chargée d’étudier le « cas Thaksin » l’accusent aussi d’avoir introduit frauduleusement une société en bourse. Thaksin comparaît devant la justice ce mercredi 12 mars 2008 pour s’expliquer dans chacun de ces dossiers. Il risque 15 ans de prison.
Les autorités thaïlandaises continuent évidemment d’enquêter sur la vente en janvier 2006 de Shin Corp, l’ancien groupe de télécoms contrôlé par la famille Thaksin, au Singapourien Temasek. Thaksin et les siens avaient empoché quelque deux milliards de dollars nets d’impôts. Cet argent est pour le moment bloqué en attendant la fin de l’enquête.
Les enquêteurs instruisent par ailleurs une douzaine d’autres plaintes pour corruption qui concernent directement Thaksin Shinawatra.
La dernière en date : l’ancien Premier ministre ainsi que quarante-six anciens ministres et autres responsables auraient détourné entre 2003 et 2006 de l’argent qui appartenait à la loterie nationale.
Ces accusations ont été transmises à la Cour suprême. Les juges diront, avant la fin du mois d’avril 2008, s’ils engagent ou non des poursuites. Dans cette affaire, le préjudice est estimé à 15 milliards de baths, soit 500 millions de dollars.
Thaksin Shinawatra peut-il être condamné alors que la Thaïlande est gouvernée par ses partisans ? Samak, le Premier ministre a déjà dit qu’il n’interviendrait pas, qu’il laisserait la justice faire son travail. Or, cette justice thaïlandaise a une fâcheuse tendance à suivre les recommandations du pouvoir. Pour certains experts, il n’est pourtant pas impossible que Thaksin soit un jour condamné. Derrière des barreaux, c’est une autre histoire !
Quelques jours avant l’audience du mercredi 12 mars 2008, la Cour suprême a autorisé l’homme d’affaires à quitter la Thaïlande pour quatre semaines. Selon ses proches, Thaksin doit se rendre en Angleterre dès le 14 mars pour s’occuper de son club de football Manchester City, racheté à grands frais en juin 2007 pour 120 millions d’euros. Thaksin l’a promis. Il ne se soustraira pas à la justice !
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