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Liban

Le 14 mars 2005, une date célébrée dans la division

Article publié le 15/03/2008 Dernière mise à jour le 16/03/2008 à 06:37 TU

Trois ans après l’Intifada de l’indépendance, le 14 mars 2005, les courants politiques qui ont animé ce soulèvement populaire qui a poussé l’armée syrienne à se retirer du Liban sont plus divisés que jamais. Les renversements d’alliances ont radicalement modifié la carte politique libanaise et plongé le pays dans une crise multiforme, qui menace de se transformer en guerre civile.

Les cadres et sympathisants du 14-Mars, à l'occasion du troisième anniversaire de l’«Intifada de l’indépendance», dans une salle couverte de Beyrouth.(Photo : AFP)

Les cadres et sympathisants du 14-Mars, à l'occasion du troisième anniversaire de l’«Intifada de l’indépendance», dans une salle couverte de Beyrouth.
(Photo : AFP)

De notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh 

Le 14 mars 2005, plusieurs centaines de milliers de Libanais, toutes communautés confondues, descendent dans la rue pour réclamer le départ de l’armée syrienne. Cote à cote, on retrouve des chrétiens partisans du général Michel Aoun, qui luttent depuis 1989 pour la fin de la tutelle syrienne, des sunnites partisans de la famille Hariri, et des druzes menés par Walid Joumblatt. L’écrasante majorité des chiites, regroupés autour du Hezbollah et du Mouvement Amal du président du Parlement, Nabih Berry, s’abstiennent de participer à cette manifestation. La dynamique créée par «l’Intifada de l’indépendance», appuyée par les Etats-Unis et les pays européens, contraindra Damas à retirer son armée du Liban. Le dernier soldat syrien quittera le Liban le 26 avril. Le formidable espoir suscité par le mouvement du 14 Mars ne durera cependant que quelques semaines.

Lors des élections législatives du printemps 2005, les partis sunnites, chiites et druzes concluent une alliance électorale à laquelle sont associés de petits partis chrétiens. Les négociations avec le général Michel Aoun sur la répartition des sièges au sein des listes échouent et le Courant patriotique libre sera exclu de cette alliance. Il fera cavalier seul et raflera la totalité des sièges dans les régions à majorité chrétienne du Mont-Liban et de Zahlé (21 sièges). La coalition sunnite-chiite-druze, appelée «alliance quadripartite», remportera 107 sièges -35 pour le tandem chiite (Hezbolla-Amal) et 72 pour les sunnites, les druzes et leurs alliés chrétiens. Ces élections marquent le début de la séparation entre les artisans de l’« Intifada de l’indépendance ». Dans le gouvernement formé par Fouad Siniora, le Courant du futur de la famille Hariri, le Parti socialiste progressiste (PSP) de Walid Joumblatt et les chrétiens des Forces libanaises de Samir Geagea siègeront avec des ministres du Hezbollah et d’Amal. Michel Aoun choisira l’opposition.

Au fil des mois, le paysage politique continue de se modifier. La majorité parlementaire (72 députés au Parlement) prendra le nom de Mouvement du 14-mars et Michel Aoun dirigera le Bloc de la Réforme et du changement. Le 5 février 2006, à la surprise général, Michel signe un « document d’entente » avec le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans une église, située sur l’ancienne ligne de démarcation qui coupait Beyrouth en deux, du temps de la guerre civile. L’alliance entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah vient d’être scellée. Elle résistera à toute les épreuves, y compris à la guerre de juillet-août 2006, entre Israël contre le Liban.

Les dangers syrien et iranien

Trois ans après le 14 Mars 2005, les principaux acteurs de ce mouvement célèbrent ce soulèvement populaire en rangs dispersés. Profondément divisés, ils appartiennent maintenant à deux camps opposés qui se livrent un dangereux bras de fer qui a failli, à plusieurs reprises, dégénérer en guerre civile. Michel Aoun, Amal, le Hezbollah et de petites formations sunnites et druzes, forment l’opposition nationale. Le Courant du futur, le PSP de M. Joumblatt, les Forces libanaises de Samir Geagea et d’autres petites formations chrétiennes sont regroupés dans le cadre du Mouvement du 14-Mars.

A l’occasion du troisième anniversaire de l’« Intifada de l’indépendance », le 14-Mars a organisé, vendredi, son premier congrès, au cours duquel il a rendu public un document exposant sa vision du Liban. Des centaines de cadres et de sympathisants étaient présents dans une salle couverte, près du port de Beyrouth, pour le coup d’envoi du processus de transformation de ce mouvement en front politique élargi. Le document souligne que Liban « n’a jamais été à ce point divisé ». « Cette division n’est pas de nature communautaire, car dans les deux camps qui s’affrontent se trouvent des chrétiens, des musulmans et des laïcs. Elle n’est pas non plus politique au sens étroit du terme, car elle dépasse le conflit sur la gestion de l’État entre une majorité et une opposition. Cette division porte sur la nature même de l’État et son rôle. Elle relève surtout de la culture et met face à face deux visions du monde diamétralement opposées : une vision fondée sur la culture de la paix, du vouloir-vivre en commun et du lien avec l’autre, et une vision fondée sur la violence et l’exclusion, qui ne se consolide que par le biais de l’exclusion de l’autre jusqu’à son annihilation ou son aliénation », ajoute le texte en allusion à l’opposition.

Cette culture de la violence et d’exclusion « exploite les facteurs de peur et d’oppression afin de pousser les communautés à rechercher des protections extérieures, dans une tentative de modifier les équilibres de forces internes, avec l’appui de l’étranger ». Par « étranger », le 14-Mars entend la Syrie et l’Iran. Le document propose de « donner à l’État la compétence exclusive de l’usage de la force, pour ne pas qu’il y ait au Liban deux armées affiliées à deux pouvoirs différents : le pouvoir de l’État libanais et le pouvoir d’un pays étranger (en allusion au Hezbollah) ». Le parti de Hassan Nasrallah est violemment critiqué : « Une résistance qui classifie les gens entre une majorité traître et une minorité nationaliste n’en est pas une. Une résistance qui lie le destin des gens par les aides et le soutien social n’en est pas une. Une résistance qui œuvre à annuler la décision nationale pour servir les intérêts de l’extérieur n’en est pas une ».

Le 14-Mars expose aussi sa vision régionale, mettant Israël et l’Iran sur un pied d’égalité. « Le monde arabe est confronté à des forces régionales, l’Iran et Israël, qui tentent de le maintenir dans la situation dans laquelle il se trouvait, en se substituant aux grandes nations dans la tentative de prendre le contrôle de son destin. Ces deux pays entretiennent entre eux une relation à la fois de complicité et d’animosité : complicité dans la confrontation avec les Arabes et animosité dans la détermination de leurs régions d’influence (…) L’un des aspects les plus significatifs de cette complicité réside dans la protection internationale qu’Israël s’emploie à assurer au régime syrien dans sa guerre contre le Liban ». Damas n’est évidemment pas épargnée. « La Syrie doit cesser de traiter le Liban comme si celui-ci était une province syrienne qui lui a été arrachée du temps de la colonisation », conclut le document du 14-Mars.

Remplacer une tutelle par une autre

Le Courant patriotique libre, qui se considère comme le principal artisan de l’« Intifada de l’indépendance », accuse ses adversaires d’« usurpation ». Le 14-Mars, c’est lui. Les autres sont des « nouveaux venus, des imposteurs, qui ont collaboré pendant 15 ans avec l’occupation syrienne ».  

Les partisans du général Michel Aoun se sont donc rassemblés par milliers, ce samedi, dans un palais des congrès, à cinq kilomètres au nord de Beyrouth, pour commémorer le troisième anniversaire du soulèvement de 2005.

Après la diffusion de documentaires retraçant les « 20 ans de lutte contre l’occupation syrienne » et d’anciens discours de Michel Aoun, le général a prononcé une allocution retransmise sur écran géant. L’idée maîtresse du discours est que la classe politique qui « a dirigé le Liban pendant les années d’occupation syrienne est la même que celle qui tient aujourd’hui les rênes du pouvoir ». « La répression continue, elle a seulement changé de forme. Le pain a remplacé le fusil, a affirmé Michel Aoun. La marginalisation, de l’opposition en général et des chrétiens en particulier, se poursuit ». Selon lui, la coalition au pouvoir n’a pas réalisé la liberté, l’indépendance et la souveraineté.« Ceux qui sont au pouvoir, refusent le partenariat avec les autres, a-t-dit. Ils ont remplacé la tutelle de Anjar (ancien QG des services de renseignements syriens dans la plaine de la Bekaa) par celle des ambassades », en allusion aux Etats-Unis.

Il a rappelé que l’accord de Taëf (1989), qui avait mis fin à la guerre civile et permis à la Syrie de contrôler le Liban, avait été imposé par des puissances régionales. Il s’est demandé si la classe dirigeante ne cherchait pas à imposer un « nouvel accord de Taëf, avec une couverture internationale cette fois-ci, sous la menace d’une guerre civile ou d’un conflit régional (Une offensive israélienne) ». « Le pouvoir actuel n’est que le clone de celui d’hier, les deux sont appuyés par des forces extérieures », a-t-il ajouté.

Michel Aoun a réaffirmé son attachement à son alliance avec le Hezbollah. « Le document d’entente, signé entre deux grands partis patriotiques, a permis d’éviter que le pays ne sombre dans les affres de la guerre civile », a-t-il dit. S’adressant à ses partisans survoltés, le général Aoun a conclu par des propos tournés vers l’avenir: « L’aube de la liberté viendra et l’obscurité se dissipera. Le pouvoir autoritaire et vendu tombera et sera remplacé par un pouvoir national, transparent et authentique ».     

Trois ans après, le 14 Mars, date-symbole de l’unité des Libanais, est devenue une nouvelle source de division. Une image qui illustre parfaitement à quel point le paysage politique libanais est morcelé.

A écouter

Marc Sassine

Porte-parole des jeunes universitaires partisans du Général Aoun

« Nous sommes le fer de lance de l'indépendance du Liban... Nous, les jeunes du CPL, sommes favorables à l'élection du général Aoun à la présidence... Et ce n'est pas sérieux de nous traiter de pro-Syriens...»

16/03/2008 par Diane Galliot