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Pakistan

Le premier défi de Yousouf Raza Gilani, Premier ministre de compromis

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 24/03/2008 Dernière mise à jour le 25/03/2008 à 02:49 TU

Après une large victoire aux élections générales du 18 février 2008, les partis de la coalition gouvernementale ont choisi Yousouf Raza Gilani, le candidat du Parti du peuple pakistanais au poste de Premier ministre. Ce fidèle lieutenant de Benazir Bhutto a derrière lui une longue carrière politique. Il est un opposant farouche au président Musharraf. Cela lui a d’ailleurs valu cinq ans de prison. Yousouf Raza Gilani est désormais le patron d’une coalition inédite réunissant les ennemis d’hier : les partisans de feu Benazir Bhutto et ceux de Nawaz Sharif. Son histoire et sa personnalité font de lui un candidat idéal pour mener le combat politique qui s’annonce contre le président de la République.

Yousouf Raza Gilani en compagnie de Benazir Bhutto, le 18 octobre 2007.(Photo : Reuters)

Yousouf Raza Gilani en compagnie de Benazir Bhutto, le 18 octobre 2007.
(Photo : Reuters)

Autour de sa personne et de son nom, Yousouf Raza Gilani réussit l'exploit de transcender – au moins en apparence – les vieilles inimitiés politiques. Si le Premier ministre est un fidèle du clan Bhutto, un cadre influent du Parti du peuple pakistanais (PPP), il est surtout originaire de la province du Punjab, dominée historiquement et politiquement par la PML-N, le parti de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, l’autre grande formation de la coalition gouvernementale.

Jean-Luc Racine

Directeur de recherche au CNRS

«Un certain nombre de militants s'étaient inquiétés de voir le temps passer sans que la question du Premier ministre ne soit réglée.»

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24/03/2008 par Georges Abou

Avec leurs alliés, le PPP et la PML-N- contrôlent presque les deux tiers de l’Assemblée nationale. Pour souder un ensemble politique aussi vaste et aussi inédit, il fallait un leader de consensus capable de faire face à Pervez Musharraf, le président de la République. Un homme capable d’incarner l’intérêt suprême de la nation pour dominer l’arène politique sans apparaître comme le candidat d’un clan ou d’un parti. Sur le papier, Yousouf Raza Gilani réunit ces qualités. Il est assurément l’homme d’un compromis, susceptible de faire le lien entre le Sindh et le Punjab, entre le Parti du peuple pakistanais et la Ligue musulmane pakistanaise Nawaz. A peine nommé à la candidature pour le poste de Premier ministre, Yousouf Raza Gilani affirmait d’ailleurs : « Je veux travailler avec toutes les forces démocratiques ».

De la prison au poste de Premier ministre

Yousouf Raza Gilani est né le 9 juin 1952 à Karachi dans la province du Sindh. Mais sa famille est originaire de Multan, une ville située dans le sud de la province du Punjab. Comme dans beaucoup d’autres clans pakistanais, chez les « Gilani », la fibre politique se transmet de père en fils. Au Punjab, les Gilani sont de très influents propriétaires terriens qui ont aussi exercé la charge de gardiens des sanctuaires religieux de Multan.

C’est dans cette « ville des saints » que sont enterrés des dizaines de dignitaires religieux sunnites qui ont propagé les paroles du prophète dans le sous-continent indien. Le parcours de Yousouf Raza Gilani s’inscrit ainsi dans une très longue histoire politique et familiale. 

Après des études en journalisme à l’université du Punjab, mais aussi en Grande-Bretagne, il embrasse la carrière de ses aînés en 1978, sous le régime militaire de Zia-ul-Haq. Il appartient alors à la Ligue musulmane pakistanaise. Après avoir été une première fois ministre au début des années 80, il rejoint le Parti du peuple pakistanais et devient ministre de la Santé, puis du Logement dans le premier gouvernement de Benazir Bhutto entre 1988 et 1990.

Au début du second mandat de madame Bhutto (1993-1996), il est nommé président de l'Assemblée nationale. Mais lorsque le général Pervez Musharraf s'empare du pouvoir par un coup d'Etat en 1999, le nouveau président déclenche une vaste opération anti-corruption visant les principales personnalités politiques. Yousouf Raza Gilani est notamment accusé d'avoir recruté plusieurs centaines de personnes de sa région pour occuper des emplois publics sans avoir respecté les procédures légales. Arrêté en février 2001, Gilani passe cinq ans en prison, où il se lie d’amitié avec le mari de Benazir Bhutto, Asif Ali Zardari, lui aussi condamné pour corruption.

Yousouf Raza Gilani est libéré le 7 octobre 2006 à la faveur d’une amnistie présentée comme les prémices d’un accord politique entre le PPP et Pervez Musharraf. Ironie du sort, c’est devant ce même Pervez Musharraf que Yousouf Raza Gilani doit prêter serment mardi 25 mars 2008, avant d’être officiellement investi dans ses fonctions.

Pour ses proches, le nouveau Premier ministre « n’est pas un revanchard. C’est un Pakistanais passionné qui a souffert pour le rétablissement de la démocratie. »

Gilani, une marionnette du PPP ?

Voilà pourquoi la presse pakistanaise anti-Musharraf salue la nomination de Yousouf Raza Gilani. Dans un éditorial, Dawn espère toutefois que le Premier ministre « ne sera pas une marionnette du PPP. » The News reconnaît que le choix Gilani démontre une certaine maturité politique. Le journal explique que c’est la première fois qu’un Premier ministre du PPP n’est pas issu de la dynastie Bhutto. Est-ce le signe d’un renouveau ? Certains veulent y croire. D’autres estiment que Yousouf Raza Gilani ne sera qu’un Premier ministre de transition, dans l’attente de l’arrivée au pouvoir de son ami de cellule, Asif Ali Zardari.

Les très nombreuses accusations de corruption et de meurtres contre le veuf de madame Bhutto tombent les unes après les autres. Et l’ancien « monsieur 10% », baptisé ainsi pour sa vénalité, aurait l’intention de se présenter dans la circonscription de son épouse en mai 2008. Une élection partielle doit y être organisée. Une fois élu, Zardari le député pourrait accéder au poste de Premier ministre.

Pour les analystes, ce scénario est le plus probable. Pourtant, ces derniers mois, les rivalités de clan ont été étouffées au profit de la conquête du pouvoir. Tant que la coalition restera soudée autour d’un objectif – se débarrasser de Pervez Musharraf –, Yousouf Raza Gilani demeurera l’homme de la situation.

Le nouveau Premier ministre veut rapidement se mettre au travail. « Aujourd'hui, la démocratie a été restaurée, grâce au sacrifice suprême de Benazir Bhutto », a déclaré M. Gilani, après son élection. « J'invite toutes les forces politiques à nous rejoindre car le pays est confronté à une telle crise qu'un seul homme ne peut la résoudre », a-t-il ajouté.

La lutte contre le terrorisme constitue l’un de ses défis. Mais à peine élu, Yousouf Raza Gilani a engagé les hostilités avec le président Musharraf : « J'ordonne que tous les juges détenus soient aussitôt libérés », a-t-il annoncé. Si ces juges, parmi lesquels Iftikhar Muhammad Chaudry, le président de la Cour suprême, venaient à retrouver leurs fonctions, ils pourraient se prononcer sur la légalité de la réélection du chef de l’Etat. C’est parce qu’ils allaient le faire qu’ils ont été évincés en novembre 2007. Le Premier ministre vient sans surprise d’engager un bras de fer sans concession avec celui qui l’a mis en prison. 

Pakistan : juges libérés

« Il n’y a pas de raison pour que les juges ne reprennent pas leurs travaux, là où ils avaient été contraints de les laisser, le 3 novembre dernier, quand le président pakistanais a instauré l’état d’urgence » .

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24/03/2008 par Eric de Lavarene