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Népal

Les maoïstes à la conquête du pouvoir

Article publié le 09/04/2008 Dernière mise à jour le 09/04/2008 à 20:04 TU

Les Népalais votent jeudi 10 avril pour un scrutin historique. Après dix ans de guerre civile, neuf ans sans la moindre élection, le pays va élire une assemblée qui devra rédiger une nouvelle Constitution et décider du sort de la monarchie. Parmi les 54 partis en lice, les maoïstes sont parmi les favoris de cette élection. Le chef maoïste, Pushpa Kamal Dahal, alias Prachanda, n’a pas gagné la guerre contre l’armée royale du Népal, mais l’ancien guérillero s’est imposé sur le terrain politique. Il a forcé la main aux principaux partis du pays pour suspendre la monarchie et préparer les esprits à une République. Rien n’est encore fait. Mais ses convictions et son objectif restent intacts: devenir le président de la première République fédérale du Népal.
Prachanda, chef maoïste, est couvert de Tika en signe de bienvenue.(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Prachanda, chef maoïste, est couvert de Tika en signe de bienvenue.
(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

De notre envoyé spécial au Népal, Nicolas Vescovacci

Lorsque que Prachanda, dit le « féroce », lance sa guerre ouverte contre le gouvernement central le 13 février 1996, imaginait-il vraiment remporter la victoire par les armes ? Se voyait-t-il douze ans plus tard, suivre le chemin tortueux d’un processus politique déterminant pour l’avenir du pays ? « C’est fantastique », nous dit-le leader maoïste, « ce que je vis bouleverse mon quotidien ».

Assis confortablement dans un fauteuil, Prachanda donne désormais des conférences de presse. Il parle aux médias nationaux et internationaux, surtout pour dissiper les malentendus : « quoi qu’il arrive nous respecterons le verdit des masses. Que nous gagnions ou que nous perdions ! Nous respecterons le résultat des élections. » 

Cet engagement encore très théorique dans le processus électoral fait toute la force du discours des maoïstes. Depuis l’accord de paix de novembre 2006, ils ont réussi à imposer leur calendrier politique. Aujourd’hui, ils ne souhaitent plus de chasser les élites par la force pour les remplacer par les structures du parti ; mais conquérir le pouvoir par les urnes. Peu de guérilleros y sont arrivés. Prachanda, 54 ans, y songe depuis longtemps. Pour cela, il lui faut maintenant passer par l’étape de l’Assemblée constituante. Le parti maoïste affiche de très grandes ambitions : remporter au moins 150 sièges sur les 240 directement élus (voir encadré). « J’ai vu une vague de soutiens monter, dit Prachanda confiant. Nous serons, le premier parti politique du pays. »

Prachanda en campagne

Mais la partie n’est pas gagnée d’avance. Voilà pourquoi, l’ancien instituteur, diplômé en agronomie, est parti pendant des semaines à l’assaut de la vallée de Katmandou, celle qu’il rêvait de prendre à la baïonnette et au fusil. L’homme n’est pas un tribun charismatique. Il demeure néanmoins un candidat assidu des réunions électorales.

Ce matin là, du côté de Tchaïmalé, un petit village situé à 30km à l’ouest de Katmandou, le 4x4 japonais flambant neuf conduit par son fils progresse avec difficultés sur la petite route qui serpente à flanc de collines. Pour les Népalais, ce sont des montagnes de moins de 4 000 mètres d’altitude ! Prachanda choisit ses cibles comme un maître en marketing politique. « Il ne vient jamais en territoire conquis », nous confie un membre de son équipe. « Cela ne servirait à rien ! Maoïstes ou pas, il faut convaincre par la parole, poursuit-il. Les armes, c’est fini.»

Un peu gêné par l’accueil que lui réservent les paysans locaux venus en nombre, Prachanda se prête volontiers aux cérémonies. Au son de la fanfare locale, des femmes lui passent des colliers de fleurs autour du coup. D’autres lui rougissent le front avec de la Tika, une poudre rouge qu’utilisent les hindous. Chaque arrêt le long de la route ne dure que quelques minutes.

Protégé par des anciens soldats de la PLA, la People’s Liberation Army (l’Armée de libération nationale), et une vingtaine de policiers, le leader mao poursuit ensuite sa route vers Sétidevi.

Un tuk tuk maoïste.(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Un tuk tuk maoïste.
(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Le village s’est mis aux couleurs mao, le rouge et le blanc. Les drapeaux du parti flottent au vent. Sur le sol, les partisans du camarade n°1 ont dessiné une faucille et un marteau.

Prachanda se saisit du micro. Il dénonce, comme à son habitude, les « féodaux ». Tous ceux qui veulent que le Népal reste une monarchie dirigée par quelques privilégiés.

« Ces forces du passé ne gagneront pas », lance-t-il. Est-ce le soleil de midi qui tape trop fort ? Prachanda promet aux villageois de transformer ce petit coin d’Himalaya en une ville prospère. « La révolution sera d’abord économique et, avec mon aide, je vous promets que les Népalais prendront en main leur développement. C’est tout le pays qui va changer !» Prachanda promet, Prachanda séduit.

Nous sommes bien sûr loin de la révolution paysanne promise il y a douze ans. Il n’est plus question de passer d’une société de dépendance ethnique et domestique à une société de dépendance étatique et bureaucratique par le biais de la soumission au parti. La révolution sera bourgeoise et capitaliste !

Le village s'est mis aux couleurs mao, le rouge et le blanc. Sur le sol sont dessinés une faucille et un marteau.(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Le village s'est mis aux couleurs mao, le rouge et le blanc. Sur le sol sont dessinés une faucille et un marteau.
(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Quand il parle Prachanda abuse d’un langage marxiste qui fait son charme. Mais parmi « les masses populaires » qu’il appelle de ses vœux, il y a des gens qui ne sont pas d’accord. « Prachanda a dit des choses justes mais je ne comprends pas son idéologie et je rejette ses méthodes », nous explique un paysan.

De la guerre du peuple à la République

Ses méthodes, justement. Comment passer de la guerre du peuple à une République fédérale ? Le parti a vite compris qu’il fallait un maillage serré d’organisations maoïstes dans les soixante quinze districts du pays.  La plus importante s’appelle YCL : la  Young Communist League (la Ligue de la jeunesse communiste) créée en décembre 2006, juste après l’accord de paix.

Un militant de la ligue de la Jeunesse communiste.(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Un militant de la ligue de la Jeunesse communiste.
(Photo : Nicolas Vescovacci/RFI)

Son président, le commandant Rashmi dit « la lumière », c’est un nom de guerre, nous reçoit dans son bureau du centre de Katmandou. Un regard sur le mur suffirait à convaincre le passionné des reliques révolutionnaires qu’il est au bon endroit. Les portraits de Marx, Engels, Staline, Lénine et Mao y sont accrochés.

Cet ancien officier de la PLA revendique d’emblée 700 000 membres pour son organisation, dont 175 000 membres actifs. Tout cela en à peine quinze mois d’existence ! Impossible évidemment de vérifier les chiffres. « Le but de YCL est d’encadrer les jeunes pour qu’ils protègent les masses », explique l’officier. C’est la version officielle que le commandant tente de faire admettre.

YCL est en fait construite sur le modèle d’une organisation paramilitaire avec des cadres et des grades. Les jeunes portent volontiers le treillis et suivent un entraînement physique avant d’être enrôlés. S’il n s’agissait que de faire que des arts martiaux ? La face visible de YCL tranche avec la réalité.

L’organisation ressemble à une milice privée, divisée à l’échelon locale en sections. Ses membres les plus entraînés sont chargés des sales besognes du parti : menaces, intimidations, rançons, extorsions sont les méthodes les plus fréquemment employées pour impressionner les adversaires du parti. Les incidents les plus graves ont toujours lieu loin de Katmandou. Il est donc très difficile d’en avoir un rapport très clair. Dans un document des Nations unies, YCL apparaît comme l’organisation la plus impliquée dans les violences qui ont troublé la campagne électorale. « Nous ne sommes responsables d’aucune de ces violences, déclare le commandant Rashmi. Les Nations unies sont influencées par les médias inféodés au palais royal. »

« Comment faire confiance a ces criminels ? » La question est posée par Navine Raj Joshi un candidat du Congrès népalais. Lui et les siens sont les principales cibles de YCL car ce parti socialiste et laïc pourrait bien redevenir, après l’élection de l’Assemblée constituante du 10 avril 2008, la première force politique du Népal.

L’histoire politique du pays est faite de scissions, de paranoïa et de narcissisme. D’un côté, on trouve les maoïstes, et de l’autre des formations qui se disputent depuis 1991 les responsabilités ministérielles et les privilèges.

Après deux ans d’un processus de transition, le maoïsme népalais semble aujourd’hui symboliser la faillite de la monarchie constitutionnelle. Il n’est cependant pas encore entré au panthéon de la démocratie.

Beaucoup d’observateurs estiment d’ailleurs que si le parti du camarade Prachanda arrive à ses fins, le Népal sera, à coup sûr une dictature. Pour faire mentir leurs détracteurs, les maoïstes vont donc devoir passer d’une logique opportuniste, souvent prédatrice, sous des formes personnelles et collectives, à une logique constructive de pouvoir. L’élection de l’Assemblée constituante n’est pas un aboutissement mais un début. C’est la première étape concrète d’un long processus politique. Pour Prachanda comme pour les autres, tout commence le 10 avril 2008.

L'élection en chiffres
-54 partis politiques en lice :

-9675 candidats dont moins de 400 femmes

-17,6 millions d’électeurs :
-1,3 million dans la montagne
-7,8 millions dans les collines
-8,4 millions dans les plaines

L’Assemblée constituante comptera 601 sièges. Elle est élue pour deux ans. Ses membres doivent rédiger une nouvelle constitution pour le Népal. Une période de six mois supplémentaires est prévue en cas de retard. Les questions les plus épineuses, comme l’avenir de la monarchie pourront être soumises à référendum si l’Assemblée le décide.

-240 sièges élus directement au scrutin majoritaire à un tour
-335 sièges élus au scrutin proportionnel de listes
-26 sièges nommés par le gouvernement intérimaire.

Les résultats de l’élection de l’Assemblée constituante ne seront connus qu’à la fin du mois d’avril, ce qui est une source de tensions supplémentaires.

A écouter

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