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Bolivie

Morales au pied du mur après la victoire des autonomistes à Santa Cruz

Article publié le 05/05/2008 Dernière mise à jour le 05/05/2008 à 20:12 TU

 Evo Morales, premier président indigène de Bolivie.(Photo : AFP)

Evo Morales, premier président indigène de Bolivie.
(Photo : AFP)

Les Etats-Unis appellent à l'unité de la Bolivie après la victoire des autonomistes au referendum de Santa Cruz. Ils demandent au gouvernement et à l'opposition locale de reprendre le dialogue. Le conflit politique entre le pouvoir central et les régions autonomistes ne fait en effet que commencer. Pour le président bolivien Evo Morales, qui retient l'abstention de plus de 30%, le referendum de dimanche est un échec total, alors que le préfet de Santa Cruz y voit la réforme structurelle la plus importante du pays.

Avec notre envoyé spécial à Santa Cruz, Reza Nourmamode

Une chose est sûre tout de même, c’est que, malgré les dénégations du gouvernement, les dirigeants autonomistes de Santa Cruz sortent renforcés de ce scrutin.

En revanche, la réaction du président Morales, et la « résistance » au scrutin, organisée par les partisans du gouvernement avec de nombreux actes de violence, démontrent que la décentralisation telle que la rêve Santa Cruz est loin d’être un fait acquis. « Le chemin vers l’autonomie est encore long » reconnaissait d’ailleurs le préfet Ruben Costas une fois les résultats annoncés.

Si le dialogue ne reprend pas très vite, on pourrait assister à un véritable blocage des institutions du pays, voire à l’émergence de tentations séparatistes qui seraient sans doute accompagnées de violences entre les partisans des deux camps…

Le terrain est d’ailleurs propice à l’exacerbation des tensions puisque trois autres régions du pays -sur les neuf que compte la Bolivie-, ont convoqué des referendums sur l’autonomie à partir du mois prochain.

Or ces quatre régions à velléité autonomiste représentent l’essentiel des richesses de la Bolivie, pays le plus pauvre d’Amérique du Sud.

Surtout deux d’entre elles : Santa Cruz et Tarija. La région de Santa Cruz, c’est déjà un quart des 10 millions d’habitants du pays. Portée essentiellement par l’agro-industrie, elle fournit à elle seule 30% du PIB national de la Bolivie. Elle détient également autour de 15% des réserves de gaz naturel du pays.

Tarija, quant à elle, abrite près de 80% de ces réserves. Sachant que le marché des exportations d’hydrocarbures rapporte chaque année environ un milliard d’euros à l’Etat bolivien, l’enjeu est énorme pour ce dernier.

Les statuts d’autonomie de ces régions prévoient en effet l’administration, au niveau local, des bénéfices tirés de l’exploitation des richesses naturelles.

Cela fait dire au gouvernement que le mouvement autonomiste n’est que le cache-nez des oligarchies régionales qui ne lutteraient que pour des intérêts strictement privés.

 

L'opinion d'Yvon Le Bot, Directeur au CNRS, invité de RFI

RFI: La région de Santa Cruz s’est donc très largement prononcée – 82%- pour son autonomie lors d’un référendum qui a eu lieu dimanche. Faut-il y voir un danger pour l’unité de la Bolivie ?

Yvon Le Bot : c’est un référendum qui a été organisé, voulu par l’élite locale de Santa Cruz, dans les basses-terres de la Bolivie. La Bolivie est un pays andin qui a d’énormes basses-terres entre les Andes et le Brésil. Et ce sont des élites qui, depuis déjà de longues années, essaient de promouvoir, une indépendance - une autonomie plutôt-, par rapport au gouvernement de la Bolivie, et qui aujourd’hui se trouve en franche opposition avec le gouvernement d’Evo Morales, qui contrairement à ce qui se dit n’est pas un gouvernement socialiste, mais bien un gouvernement de type qu’on appelle là-bas «national populaire», de type populiste de gauche qui veut redistribuer la rente que les élites riches de Santa Cruz ne veulent pas du tout redistribuer.

RFI : Quand le président Morales objecte que ce scrutin est illégal, est-ce qu’il a raison ?

Yvon Le Bot : C’est un scrutin qui n’a aucune valeur nationale, qui n’est pas reconnu par le gouvernement et qui est organisé par une région. C’est un peu comme si une région, en France, décidait de faire un référendum sans l’accord du gouvernement. C’est exactement la même situation que celle de la Ligue du Nord en Italie. C’est une élite riche, mue par une logique, disons, d’égoïsme, une volonté de ne pas redistribuer doublée, en plus, d’un racisme très fort à l’égard des Indiens. Evo Morales est le premier président indien de l’histoire de l’Amérique latine et ça joue beaucoup parce que dans les basses-terres, les Indiens sont très minoritaires. Ce sont les élites blanches, extrêmement anti-indiennes, qui ont organisé ce référendum et qui l’ont gagné, parce que la région de Santa Cruz est entre leurs mains et n’est pas très indienne.

RFI : cette élite se retrouve de fait renforcée par ce référendum même s’il n’a pas de valeur au plan national. Est-ce un danger pour l’unité du pays ?

Yvon Le Bot : Oui, tout à fait. C’est vraiment un danger, très rare en Amérique latine, un grand danger de division du pays. Et cela pourrait faire jurisprudence, créer un précédent parce que dans d’autres régions se développent également des sentiments anti-indiens. Ce qu’il faut souligner, c’est que les Indiens ne sont pas un danger pour l’unité nationale. C’est exactement le contraire. Aujourd’hui, dans à peu près tous les pays d’Amérique latine, les Indiens sont un pilier de la défense de l’unité nationale contre des élites blanches et riches qui mettent en question cette unité. C’est d’ailleurs le cas de la Bolivie. Mais je pense personnellement qu’il y aura des négociations, des compromis, comme c’est souvent le cas en Bolivie et que cela ne va pas nécessairement dégénérer en une rupture totale.

RFI : Ce comportement de l’élite blanche peut-il freiner les velléités de redistribution des richesses du président Morales ?

Yvon Le Bot : c’est tout à fait le but. Ces régions sont riches en pétrole et en gaz, surtout en gaz. La Bolivie est bien dotée de ce côté-là. Et c’est également une volonté de s’opposer à la réforme agraire et à la redistribution des terres. C’est une région de grands élevages, où les quelques dizaines de grands propriétaires ne veulent absolument pas de la réforme agraire promue par Evo Morales.

RFI : Tout cela peut mener à éventuellement des troubles ?

Yvon Le Bot : Oui, il y en a eu auparavant. Il n’y en a pas eu d’importants au moment des élections, mais il y en a eu quelques uns dans les semaines qui ont précédé : des affrontements parfois violents avec des paysans indiens qui s’étaient vu accorder des terres par le gouvernement et à qui les grands éleveurs ont refusé le droit d’accès à ces terres. Il peut y avoir d’autres incidents de ce type, ça c’est sûr. J’espère que cela ne dégénérera pas en quelque chose de plus grave, des d’affrontements ou une guerre civile au niveau de la nation. Pour le moment, on n’en est pas là.

RFI : Pour l’instant le président Morales s’est bien gardé de faire appel à l’armée ..

Yvon Le Bot : Oui, je pense qu’il joue la carte de la négociation. Les radicaux et les durs sont du côté de ceux qui ont organisé ce référendum, pas du côté du gouvernement qui a toujours laissé la porte ouverte à la négociation.