par Michèle Gayral
Article publié le 02/05/2008 Dernière mise à jour le 03/05/2008 à 07:03 TU
A Guarayos, à quelque 300 km au sud de Santa Cruz, on peut lire le 1er mai 2008 sur ce mur : « Votons pour le oui », « Votons pour l'autonomie ».
(Photo : Reuters)
A Santa Cruz, dans cette riche province de l'est du pays, on tient à préserver les apparences d'une consultation en bonne et due forme. Ainsi l'organisme électoral de la région se dit fin prêt pour recueillir et décompter les suffrages et pour publier les résultats dimanche prochain, et la campagne a officiellement été clôturée mercredi soir par les autorités provinciales, qui ont rassemblé dans les rues de leur « capitale », Santa Cruz, des milliers de personnes portant des tee-shirts favorables à l'autonomie et agitant des drapeaux. Les partisans du « non » ne s'étaient pourtant guère montrés durant cette campagne, car ils contestent la légalité même du scrutin.
Le président Evo Morales et son gouvernement voient en effet d'un très mauvais oeil cette initiative régionale qui, de leur point de vue, recèle les arrière-pensées sécessionnistes de ses promoteurs – des « oligarques » qui n'ont que faire de la justice sociale – et porte en elle le danger d'une désintégration de la nation bolivienne. Les dirigeants de Santa Cruz rejettent ces accusations. D'après eux, leur aspiration à l'autonomie n'est en rien une menace à l'unité nationale. Elle vise seulement à les rendre davantage maîtres de leurs ressources et à gérer de façon plus efficace, parce que plus proche des réalités locales, une région qui a déjà fait ses preuves. De fait, la ville de Santa Cruz présente un visage inhabituellement prospère dans un pays qui passe pour l'un des plus pauvres de l'Amérique latine. Quant à la province du même nom, elle produit à elle seule 30% du PIB bolivien, et compte quelque 2,5 millions d'habitants, soit le quart de la population du pays.
La controverse est à replacer dans un contexte plus large et plus ancien. Des tendances fédéralistes existent en fait depuis le XIXe siècle dans ce pays qui a toujours été administré de façon centralisée, bien que constitué de deux zones très dissemblables : d'une part, l'ouest andin, peuplé majoritairement d'Indiens aymaras et quechuas très pauvres, et d'autre part l'est amazonien, où la population d'origine européenne domine. La crise des ressources minières (notamment de l'étain) concentrées dans la partie occidentale, qui structuraient autrefois l'économie, n'a fait qu'accentuer ce fossé. Et ce d'autant plus que les grands propriétaires de la partie orientale du pays ont développé le modèle productiviste qui fait la richesse de cette zone agricole.
D'énormes ressources en hydrocarbures
Plus récemment, deux facteurs ont aggravé la fracture et exacerbé les tensions. D'une part, d'énormes ressources en hydrocarbures ont été décelées par les grandes sociétés pétrolières dans le sous-sol bolivien. Une bonne part de ces gisements de gaz sont concentrés dans la région de Santa Cruz, qui n'en a que plus vivement souhaité gérer ses propres ressources. C'est donc à titre préventif qu'Evo Morales, partisan au contraire d'une large redistribution nationale de la manne gazière, en particulier en faveur des Indiens des Andes, a décrété la nationalisation des hydrocarbures. Ce jeudi, le président a annoncé la prise de contrôle par l'Etat de plusieurs filiales des compagnies pétrolières internationales. Ajoutée à la réforme agraire qu'il prépare et qui menace directement les « latifundistes », cette décision apparaît comme une réplique aux autonomistes. Car, d'autre part, l'arrivée au pouvoir en 2006, pour la première fois de toute l'histoire bolivienne, d'un président élu indigène professant le socialisme n'a fait que renforcer cette province, qui se sent si différente des plateaux andins, dans sa détermination à faire bande à part.
Les autorités de Santa Cruz ont pour objectif de rassembler le plus de monde possible autour de leur programme autonomiste, qu'elles assurent pouvoir mettre en oeuvre dès lundi si les urnes les y autorisent. Encore faut-il, puisque La Paz conteste la constitutionnalité du scrutin, que la participation et le vote favorable à l'autonomie soient assez massifs pour revêtir la démarche régionale de cette légitimité qu'on lui conteste, et pour placer le gouverneur « rebelle » en position de force avant d'éventuelles négociations avec le gouvernement. Une victoire étroite ne lui donnerait vraisemblablement pas, en revanche, la marge de manoeuvre suffisante.
Des risques de contagion
Autre enjeu important de la consultation de dimanche : d'autres provinces boliviennes sont sur les rangs pour lancer à leur tour un semblable référendum. Les régions relativement riches, là encore, de Beni, Pando et Tarija, ont prévu de consulter leurs habitants avant le 22 juin, et le résultat obtenu par Santa Cruz jouera évidemment un rôle dans leur ardeur à défier Evo Morales. Ces risques de contagion préoccupent au plus haut point le gouvernement de La Paz.
Les tensions sont en tout cas telles que tant le pouvoir central que les organisateurs du référendum disent redouter des manifestations de violence... Le gouvernement de La Paz a interdit le port d'armes à feu, alors que les « Ponchos Rouges », organisation indigène de choc, ont promis que le référendum sonnerait « le début de la grande révolution des pauvres ». Le président Morales n'a en tout cas que très partiellement fait appel à l'armée : les militaires ont été mis à contribution, non pour empêcher une consultation jugée illégale, mais seulement pour occuper les installations tout récemment nationalisées. Dans un pays qui a pu détenir il n'y a pas si longtemps le record des coups d'Etat militaires, le recours aux forces armées, quelles que soient leurs protestations de loyauté, est à manier avec précaution...
A écouter
« Après la fête populaire qui a cloturé la campagne électorale, le climat est serein, les sondages annoncent un oui à 70%...»
03/05/2008 par Reza Nourmamode
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