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Liban

Les loyalistes ne cèdent pas

Article publié le 10/05/2008 Dernière mise à jour le 12/05/2008 à 07:40 TU

Le Hezbollah a pris vendredi le contrôle de Beyrouth-ouest, mais malgré la débâcle de leurs partisans, les loyalistes de la coalition du 14 mars refusent de céder sur le plan politique. La situation reste bloquée, alors que les affrontements menacent de s'étendre à d'autres régions. En 3 jours, on compterait 18 morts et des dizaines de blessés. La communauté internationale est très inquiète, la Ligue arabe convoque une réunion d'urgence ce dimanche.
Un portrait du président syrien, Bachar al-Assad, recouvrant les affiches de l'ex-Premier ministre libanais assassiné, Rafiq Hariri, et de son fils, Saad sur un mur à Beyrouth.(Photo : AFP)

Un portrait du président syrien, Bachar al-Assad, recouvrant les affiches de l'ex-Premier ministre libanais assassiné, Rafiq Hariri, et de son fils, Saad sur un mur à Beyrouth.
(Photo : AFP)

De notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh

Surpris par la rapide victoire de l’opposition à Beyrouth et désarçonnés par la débâcle de leurs partisans, les loyalistes ont mis plusieurs heures avant de réagir. Mais la perte du contrôle de la capitale n’a pas poussé la coalition du 14 mars au pouvoir à se plier aux conditions posées par le Hezbollah. A savoir, l’annulation de la décision du gouvernement de démanteler le réseau de télécommunications sécurisé du parti ; le limogeage du chef du service de sécurité de l’aéroport de Beyrouth ; ainsi que l’acceptation de l’appel au dialogue, lancé par le président du Parlement Nabih Berry, pour s’entendre sur la formation d’un gouvernement d’union nationale et sur l’élaboration d’une nouvelle loi électorale.

Les mesures du gouvernement avaient été qualifiées de « déclaration de guerre au profit des Etats-Unis et d’Israël » par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Après une réunion à la résidence de l’un de ses chefs, Samir Geagea, le 14 mars, a accusé le Hezbollah d'avoir retourné ses armes contre le peuple libanais pour réaliser un coup d'Etat. « Cette tentative de coup d'Etat a définitivement mis fin à la légitimité du Hezbollah en tant que mouvement de résistance. L’utilisation de ces armes contre le peuple libanais les a rendues illégitimes », indique un communiqué lu par M. Geagea. Selon lui, « ce coup de force vise à ramener la Syrie au Liban et à ouvrir une voie pour l’Iran vers la Méditerranée ».

L’ancien président de la République Amine Gemayel a tenu le même discours. « Le Hezbollah a utilisé ses armes pour mener un coup d'Etat. Il a dit que ses armes étaient pour la résistance, mais il a clairement montré que c'était pour mener un coup d'Etat », a-t-il dit depuis Paris.

L’opposition s’est défendue, cependant, de vouloir prendre le pouvoir par la force. « Nous ne menons pas un coup d'Etat », a déclaré un de ses responsables. « Cette crise a été provoquée par les décisions du gouvernement. Nous sommes en train de proposer un partenariat et eux veulent monopoliser le pouvoir et limiter notre participation », a-t-il ajouté.

Le chef druze Walid Joumblatt, retranché dans sa résidence de Beyrouth sous la protection de l’armée, a accusé le Hezbollah d’avoir « envahi » Beyrouth. Il a rejeté les conditions de Hassan Nasrallah et exclu la démission du Premier ministre Fouad Siniora. Toutefois, des informations circulent à Beyrouth sur un possible départ du gouvernement, qui remettrait alors le pouvoir à l’armée libanaise. Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Ahmad Fatfat, un proche du chef de la majorité parlementaire Saad Hariri, a affirmé que cette éventualité était envisagée. « Il est encore plus facile pour le gouvernement de démissionner que de revenir sur ses décisions »,  a-t-il dit dans une déclaration à une télévision locale.

Soutien… verbal

L’Arabie saoudite et l’Egypte, principaux soutiens du gouvernement Siniora, ont convoqué une réunion des ministres arabes des Affaires étrangères pour débattre de la situation au Liban. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a interrompu une visite à Washington pour revenir au Caire afin de préparer ce conseil ministériel. Il est entré en contact avec le président du Parlement, Nabih Berry, qui lui a répété que la seule solution à la crise résidait dans l’annulation des décisions du gouvernement, et le retour à la table du dialogue. Selon la télévision al-Manar du Hezbollah, M. Moussa a brandi la menace de l’internationalisation de la crise libanaise. « Cela ne nous importe pas. Le Liban est internationalisé depuis 30 ans », lui a répondu M. Berry.

La communauté internationale, qui fournit un appui sans faille depuis près de trois ans au gouvernement Siniora, lui a réitéré son soutien. La Maison Blanche s'est dite « très inquiète » des agissements du Hezbollah, et a appelé l'Iran et la Syrie à cesser de soutenir ce parti et de « déstabiliser » le pays. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a promis au gouvernement libanais le soutien des Etats-Unis. Mais cet appui est uniquement d’ordre politique et diplomatique, a précisé le porte-parole Sean McCormack. « Il devient plus apparent désormais que les liens dont nous savons qu'ils existent et continuent entre le Hezbollah et la Syrie commencent à se manifester dans la crise actuelle. Au début, on ne le voyait pas, mais maintenant si », a-t-il dit. Quelques heures plus tôt, le président syrien, Bachar al-Assad, avait jugé la crise libanaise comme « une affaire intérieure libanaise ».

Le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, a quant à lui dénoncé un « coup de force » du Hezbollah. M. Kouchner a ajouté que la France n'avait pas encore décidé d'évacuer ses ressortissants au Liban, mais qu'elle l'envisageait. Le chef de la diplomatie française a indiqué que Paris tenterait avec l'Espagne et l'Italie une initiative tripartite pour ramener le calme au Liban.

Tensions dans la montagne druze

Sur le terrain, la vie a repris timidement son cours normal à Beyrouth, après la fin des combats. La télévision du Futur, Radio-Orient et le quotidien al-Mustaqbal, des médias appartenant à la famille Hariri, ne fonctionnaient toujours pas pour la deuxième journée consécutive. Bien qu’ils aient été placés sous le contrôle de l’armée, employés et journalistes n’ont pas rejoint leur lieu de travail.

Les partisans de l’opposition ont remis à l’armée libanaise les permanences du Courant du futur de Saad Hariri qu’ils ont occupées, ainsi que les combattants capturés. Dans le principal quartier sunnite de la capitale, Tarik Jédidé, une reddition en masse de partisans de Hariri a été supervisée par l’armée. Des dizaines de miliciens venus d’autres régions du Liban ont été embarqués à bord de camions militaires et renvoyés chez eux. Dans de nombreuses autres régions du pays, le Courant du futur a remis ses permanences à l’armée pour éviter le combat. C’est notamment le cas dans la ville de Saïda, chef-lieu du Liban-Sud, où des accrochages avec des partisans de l’Organisation populaire nassérienne, une formation sunnite de l’opposition, ont fait deux morts.

A Tripoli, deuxième ville du pays au Liban-Nord, des escarmouches ont fait plusieurs blessés. Mais les affrontements les plus violents ont eu lieu dans les localités de Bchamoun, Aramoun et Deir Koubel, à l’entrée sud de Beyrouth. Deux partisans de l’émir Talal Arslan, un leader druze de l’opposition, ont été tués, et deux autres blessés. Des combats ont également eu lieu dans la ville d’Aley, à 25 kilomètres au sud-est de Beyrouth. De peur que les accrochages s’étendent à l’ensemble de la montagne druze, Walid Joumblatt a ordonné à ses partisans d’évacuer certaines de leurs permanences et de les remettre à l’armée. Un bilan provisoire des trois derniers jours de combats fait état de 16 morts et une quarantaine de blessés.

Pendant ce temps, la frontière entre le Liban et la Syrie reste fermée par des remblais de terre placés par des partisans du gouvernement, de même que l’aéroport de Beyrouth, qui restera fermé tant que le gouvernement n’aura pas annulé ses décisions, a annoncé l’opposition.

Fatigués, les Libanais espèrent que cette nouvelle phase de la crise qui secoue le pays ne sera pas aussi longue que la première, qui a duré…17 mois.

A écouter

Le coup de force du Hezbollah

« La démonstration armée très violente du Hezbollah est restée juste en deçà d’une certaine frontière, les miliciens se sont abstenus d’aller jusqu’à attaquer le siège du gouvernement où se trouve Fouad Siniora ».

10/05/2008 par Diane Galliot

L'Egypte et l'Arabie Saoudite demandent une réunion d'urgence des ministres arabes des Affaires étrangères

« Ryad et Le Caire ne veulent pas rester les bras croisés devant le coup de force... Mais c'est la Syrie qui préside actuellement la Ligue arabe, une condamnation de la politique du Hezbollah est donc peu probable... »

10/05/2008 par Alexandre Buccianti

L'inquiétude impuissante des Etats-Unis

« Les violences sont attribuées par les Etats-Unis à des « groupes armés illégitimes ». Condoleeza Rice promet d’apporter au Premier ministre Fouad Siniora tout le soutien, politique et diplomatique, dont il a besoin... »

10/05/2008 par Donaig Le Du

François Fillon

Premier ministre français

« Nous sommes extrêmement préoccupés... Il n'y a pas d'autre solution que politique, les éléments de solution sont ceux du plan de la Ligue arabe...»

10/05/2008 par Valérie Gas

Jospeh Maïla : Le Hezbollah impose son agenda politique

Directeur du Centre de recherches pour la paix

« Il y a inversion du rapport de forces : au terme de ce bras de fer, l'opposition chiite et son allié chrétien Michel Aoun sont désormais capables d'imposer au gouvernement leur agenda... »

10/05/2008 par Frédérique Misslin

Omar Amdour

Notable sunnite, de l’association l’Union beyrouthine.

«Je suis sûr que tout le monde est perdant, ce n'est pas que les chiites ou les sunnites aient raison ou tort : avant de prendre des décisions, le gouvernement doit être sûr qu'il pourra les exécuter.»

10/05/2008 par Diane Galliot