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Géorgie / Russie

L’Union européenne en émissaire de paix

par  Maud Czaja et Marina Mielczarek

Article publié le 12/05/2008 Dernière mise à jour le 13/05/2008 à 05:12 TU

Cinq ministres européens des Affaires étrangères se sont rendus lundi à Tbilissi en Géorgie. Leur mission : empêcher l'escalade de la tension avec le Kremlin au sujet de l’Abkhazie, une région pro-russe au nord de la Géorgie autoproclamée indépendante. Le point culminant de ce bras de fer entre Moscou et Tbilissi est survenu il y a quinze jours avec l’arrivée en Abkhazie de renforts du contingent militaire russe. Jeudi dernier, le président géorgien Mikheïl Saakachvili déclarait être « proche d’une guerre de grande ampleur » avec Moscou.
Le président géorgien Mikheïl Saakachvili (d) lors d'une conférence de presse en présence des ministres des Affaires étrangères en mission à Tbilissi.(Photo : Reuters)

Le président géorgien Mikheïl Saakachvili (d) lors d'une conférence de presse en présence des ministres des Affaires étrangères en mission à Tbilissi.
(Photo : Reuters)


C’est la première fois que l’Union européenne prend une telle initiative dans le dossier abkhaze. « Nous voulons vérifier quelle est la véritable situation et éviter une escalade des tensions », a indiqué le ministre des Affaires étrangères slovène, dont le pays assure jusqu’en juillet prochain la présidence de l’Union européenne. Dimitrij Rupel conduira la délégation accompagné de quatre autres ministres, ses homologues suédois, polonais, lituanien et letton constitués en groupe des pays les plus « amis» de la Géorgie.

Le Kremlin renforce ses troupes en Abkhazie

Les relations entre Tbilissi et Moscou se sont détériorées depuis que Moscou a annoncé, le mois dernier, un renforcement de ses relations avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, deux régions pro-russes en Géorgie. Autre facteur de tension, l’envoi de 500 militaires supplémentaires envoyés par les Russes en Abkhazie, située au nord du pays. Moscou affirme être dans son bon droit puisque, en vertu d’un accord signé avec la Géorgie après la chute du communisme, le Kremlin a la possibilité de maintenir un bataillon de soldats de la paix à la condition que le contingent ne dépasse pas 3 000 hommes.

Or, depuis 1994 et jusqu’à il y a quinze jours, Moscou en possédait 2 000 dans cette région au bord de la mer Noire. L’Abkhazie a proclamé son indépendance unilatéralement dans les années 1990 et s’oppose par les armes aux troupes géorgiennes. Elle bénéficie du soutien de la Russie même si Moscou reconnaît officiellement l’intégrité territoriale de la Géorgie. Le président géorgien a décrit les agissements russes des dernières semaines comme « le début d’une agression militaire ». Mikheïl Saakachvili dénonce une violation des accords de 1994. Selon lui, le texte impose l’autorisation de Tbilissi pour de tels déploiements.

Dans les bagages de l’UE, une proposition concrète 

L’Union européenne et les Etats-Unis estiment pour leur part qu’il est possible de trouver une issue pacifique à ce conflit. D’une seule voix, les cinq ministres de la délégation ont réaffirmé ce lundi à Tbilissi le principe de souveraineté territoriale. L’Union européenne reste donc en faveur d’une Géorgie unie. « Il est grand temps de désamorcer cette crise dans ce territoire », déclare le député vert au Parlement de Bruxelles, Marie-Anne Isler-Beguin, de retour d’une mission en Abkhazie. « C’est très grave, nous pouvons parler d’une annexion de la part des Russes. Il y a de la surenchère puisque apparemment le ministre de la Défense du gouvernement de facto abkhaze, a proposé aux militaires de prendre le pouvoir».

Marie Anne Isler-Béguin

Députée vert au Parlement de Bruxelles

« C'est presqu'une annexion de la part de la Russie de ce territoire. »

Par la voix des ses cinq ministres, l’UE devait également évoquer la possibilité d’un envoi de son propre contingent de paix en Abkhazie. Une mission mandatée, bâtie sur le modèle de ce qui existe déjà dans plusieurs régions du monde, notamment au Kosovo. Ces soldats de la paix rejoindraient les patrouilles des forces russes présentes en Abkhazie. Lundi soir, au sortir de la conférence de presse après l’entrevue, la délégation européenne n’a rien précisé sur le sujet. Mais cette option permettrait à l’Europe d’avoir un droit de regard permanent sur la situation et les patrouilles de surveillance russes.   

Surenchère pro russe : info ou intox ?

Depuis quelques semaines, on assiste à une véritable opération de communication de la part du gouvernement séparatiste d’Abkhazie. Devant les caméras de journalistes occidentaux, le ministère de la Défense se dit régulièrement victime d’un espionnage aérien auquel se livreraient les Géorgiens. Tbilissi a beau démentir, rien n’y fait : les Abkhazes entendent montrer leurs muscles au cours d’opérations éclair (qu’aucun média n’a la possibilité de vérifier) contre les survols de petits avions à pilotage automatique.

Ce lundi 12 mai, les responsables du cabinet de la Défense abkhaze invoquait une fois de plus la légitime défense, affirmant : « Aujourd'hui à 14h16 (locales), les forces anti-aériennes

d'Abkhazie ont abattu un nouveau drone espion géorgien au dessus du territoire abkhaze, à une altitude d'environ 6.000 mètres ». Lundi, le président géorgien, Saakachvili, a appelé l'Union européenne à enquêter sur cette question ainsi que sur le renfort de soldats russes  hausse jugée illégale par Tbilissi du nombre de soldats de la paix russes dans la région. Le week-end dernier, une spécialiste du dossier abkhaze à Bruxelles s’inquiétait d’une proposition émanant selon elle de Moscou. Les Russes faciliteraient l’obtention de visas pour les « Géorgiens » qui en feraient la demande.

Elections géorgiennes en vue, et remous dans le voisinage russe.

Que penser de cette escalade de tensions et de ces surenchères russes ? Certains analystes européens, tout en reconnaissant les faits, en minimisent l’importance. Dans dix jours, des élections législatives auront lieu en Géorgie et personne ni les Géorgiens ni les Russes n’ont intérêt à ce que la région s’enflamme. D’autres, en revanche, s’inquiètent des récentes gesticulations de Moscou qui, auréolée de sa toute-puissance énergétique en Europe, multiplie les provocations avec ses voisins les plus proches, les pays de l’ancien bloc soviétique. La dernière en date étant destinée à l’Ukraine.

Dimanche, au cours des célébrations du 225e anniversaire de la Flotte de la mer Noire, l'influent maire de Moscou a bravé la mise en garde ukrainienne en réclamant que Sébastopol, le quartier général de cette flotte, redevienne territoire russe. Sébastopol fait aujourd’hui partie de la Crimée, une région offerte en signe d’amitié en 1954 à l'Ukraine, alors soviétique, par Nikita Khrouchtchev.

L’Abkhazie, au menu du prochain sommet UE/Russie ?

Cette visite de la diplomatie européenne à Tbilissi rassure la Lituanie. L’Etat balte avait rejeté l’ouverture des pourparlers entre l’Union européenne et la Russie, posant comme condition une attitude plus ferme des 27 dans le règlement de la crise russo-géorgienne. La Présidence slovène de l’Union européenne déclare être en contact permanent avec la Russie. Cependant, aucun commentaire n’est parvenu de Moscou sur ce voyage. « Il faut empêcher l’engrenage en Abkhazie, cela aura des répercussions en Ossétie du Sud, voire la province arménienne du Haut-Karabagh. Pour nous, députés de l’Union Européenne, il faut absolument que la question des régions séparatistes géorgiennes soit abordée lors du prochain sommet UE-Russie», souligne l’eurodéputé vert Marie-Anne Isler-Beguin. Elle en reparlera très prochainement en public avec son parti. La rencontre Russie/UE se tiendra en Sibérie les 26 et 27 juin prochain.

A écouter

Les Abkhazes, à nouveau la cible de drones de Géorgie ?

« La prise de guerre a été présentée à des journalistes en présence du président de la République autoproclamée d'Abkhazie... L'engin serait presque réutilisable... »

13/05/2008 par Thierry Parisot