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Colombie

La mort de Marulanda : un espoir de paix

par Jean-Pierre Boris

Article publié le 26/05/2008 Dernière mise à jour le 26/05/2008 à 13:38 TU

Alfonso Cano (à gauche) et Alvaro Uribe (à droite).(Photo Reuters/AFP)

Alfonso Cano (à gauche) et Alvaro Uribe (à droite).
(Photo Reuters/AFP)

Les FARC, la guérilla colombienne, ont confirmé la mort de leur chef historique, le fondateur du mouvement dans les années 60, Manuel Marulanda. Il serait mort d’un arrêt cardiaque. Son corps n’a pas été retrouvé. Sa disparition et la personnalité moins intransigeante de son successeur, Alfonso Cano, laissent apparaître l’espoir d’un dialogue avec les autorités de Bogota.

La confirmation de la mort de Manuel Marulanda, alias Tirofijo, le fondateur et chef incontesté des FARC, (Forces armées révolutionnaires de Colombie), ouvre peut-être une nouvelle page dans l’histoire de la Colombie. Depuis plus de quarante ans, la vie politique du pays est en effet marquée par l’affrontement entre les forces armées régulières et cette guérilla. Jusqu’à l’arrivée d’Alvaro Uribe au pouvoir il y a six ans, les 17 à 20 000 hommes et femmes enrôlés dans les FARC exerçaient un pouvoir quasiment indiscuté sur de nombreuses zones du territoire colombien que l’Etat central avait par ailleurs abandonné. Puisant leur raison d’être dans les profondes inégalités sociales qui ont toujours caractérisé cette vaste nation latino-américaine et dans un système démocratique très imparfait, le clientélisme et la corruption étant les deux mamelles de la clase politique, les FARC avaient peu à peu formé un contre-Etat. Les régions placées sous leur contrôle avaient leur appareil judiciaire, leur système fiscal.

Mais l’échec des négociations de paix entamées par le président Andres Pastrana en 1999, malgré la « démilitarisation » d’une région de 42 000 kilomètres carrés, au sud du pays, aboutissait à l’élection à la présidence de la République en 2002 d’un homme à poigne, promettant aux électeurs de venir à bout de Manuel Marulanda et de sa cohorte de guérilleros pour établir un régime de « sécurité démocratique ». Aussitôt installé au Palais Narino, au centre de Bogota, après une élection au premier tour du scrutin, Alvaro Uribe engageait le combat. En six ans, l’armée colombienne a vu ses effectifs multipliés par trois. Le budget du ministère de la Défense a été augmenté en conséquence. Surtout, Alvaro Uribe a pu compter sur le soutien sans faille du gouvernement américain. La Maison Blanche a en effet mis sur pied un « plan Colombie » doté de plusieurs milliards de dollars qui a permis de traquer les innombrables « fronts » au sein desquels sont regroupées les forces de la guérilla. Et l’effort de l’armée colombienne se poursuit, bien que le président Bush n’ait pu obtenir du Congrès à majorité démocrate le renouvellement de ce financement pour les années à venir.

Marulanda était visé par une offensive de l’armée

Les illustrations de la puissance de l’armée colombienne et des coups sévères qu’elle est en mesure de porter aux FARC ont été innombrables ces derniers mois. L’un des meilleurs exemples en est l’intense offensive menée contre Manuel Marulanda lui-même. Dans un entretien accordé au quotidien colombien El Tiempo, le commandant en chef des forces armées colombiennes, Freddy Padilla, révèle ainsi qu’une opération de grande envergure avait été lancée à partir du 16 février dernier contre « Tirofijo ». L’objectif était de capturer ou de tuer le fondateur des FARC. Bombardements aériens, utilisation intensive de l’artillerie, attaques terrestres contre 74 campements clandestins, les grands moyens ont été utilisés. Selon les informations divulguées par l’armée, et confirmées par la guérilla, c’est au cours de cette offensive que Manuel Marulanda serait mort, d’une crise cardiaque.

Sa disparition est un tournant pour le mouvement qu’il avait fondé. Elle intervient en effet au plus mauvais moment. En trois mois, les FARC ont perdu trois de leurs principaux dirigeants. Outre Marulanda, Raul Reyes a été tué le 1er mars dernier lors d’un bombardement du camp dans lequel il se trouvait, en Equateur. C’était le numéro deux. Ivan Rios, un autre membre du secrétariat central, la direction des FARC, a été abattu quelques jours plus tard par un de ses gardes du corps. Puis, à la mi-mai, c’était Karina, l’une des dirigeantes les plus emblématiques et les plus féroces de la guérilla, qui décidait de déposer les armes. A bout de forces, elle appelait ses compagnons d’armes à suivre son exemple. Des 350 membres du « front » qu’elle dirigeait, il n’en restait plus que 50.

De bien incertaines négociations

La question posée maintenant est donc de savoir si la guérilla colombienne, privée de son chef charismatique et incontesté, avec un état-major amputé de ses cadres principaux et des troupes décimées par les offensives incessantes de l’armée régulière, reprendra le chemin des négociations, en particulier pour la libération des otages qu’elle détient, où si elle s’arc-boutera dans une position intransigeante. Un élément de réponse peut être fourni par l’identité du successeur de Marulanda. Alfonso Cano est plutôt considéré comme un idéologue, un politique, que comme un militaire.

Cependant, les spécialistes se perdent en conjectures. Même si le nouveau chef des FARC souhaitait impulser la reprise du dialogue avec les autorités colombiennes, il est peu vraisemblable qu’il ait autorité pour le faire. Il lui faudrait compter avec l’accord des autres membres du secrétariat. Or les mesures de sécurité auxquelles ces combattants clandestins sont contraints les obligent à être très dispersés sur le territoire colombien et à recourir le moins possible aux communications téléphoniques ou internet pour ne pas être localisés. Ce qui ralentira énormément les prises de décisions et donc la libération éventuelle d’otages dont Ingrid Betancourt.

Camille Rohou

Ancien ambassadeur de France en Colombie

« Ce qui est clair c'est qu'aujourd'hui il y a un affaiblissement très net des FARC. [...] Au cours des quatre derniers mois, trois des sept membres du secrétariat, le gouvernement des FARC, sont morts. »

Le successeur de Marulanda : un politique


Le nouveau chef des FARC est un homme cultivé. A l'inverse de son prédécesseur Manuel Marulanda, qui avait quitté l'école à l'âge de 13 ans, Alfonso Cano a fait de brillantes études en droit et anthropologie à la faculté de Bogota. A son entrée à l'université, en 1968, il s'engage au sein des Jeunesses communistes colombiennes, dont il devient rapidement le dirigeant.

Ses anciens condisciples ont le souvenir d’un personnage tolérant, toujours à la recherche d'une issue politique. Alfonso Cano, de son vrai nom Guillermo Leon Saenz Vargas, entre dans la clandestinité après l'assassinat par les paramilitaires et l'armée colombienne de quelque 3 000 membres de l'Union patriotique, un mouvement qui réunissait des communistes et des militants de gauche.

Son rapprochement avec les FARC se fait alors très rapidement. Depuis 1990, Alfonso Cano est membre du secrétariat, l'organe dirigeant de la guérilla. Aujourd'hui, l’arrivée de cet idéologue de 59 ans au poste de Manuel Marulanda fait espérer la relance du dialogue entre la guérilla et le gouvernement colombien. Comme en 1991 quand il avait joué un rôle important dans les négociations de paix lancées à l’époque.

Les familles des otages voient déjà en Alfonso Cano leur nouvel interlocuteur. La mère et la sœur d'Ingrid Betancourt l'ont appelé hier à « pousser l'histoire » et libérer les otages.

Cependant, faire d’Alfonso Cano un dissident au sein des FARC serait excessif. Il dirigeait jusqu’à présent le « bloc occidental » de la guérilla. A ce titre, il est considéré responsable de nombreuses actions armées. La justice colombienne a lancé douze mandats d’arrêt contre lui, pour terrorisme, enlèvements et homicides.