par RFI
Article publié le 12/06/2008 Dernière mise à jour le 12/06/2008 à 16:13 TU
Karim Pakzad, chercheur à l'Iris : l'Institut de relations internationales et stratégiques.
(Photo : Iris )
R F I : Vous avez participé à des débats qui ont précédé la conférence. Le défi, selon vous, c'est plutôt la sécurité ou la lutte contre la corruption?
Karim Pakzad : Les deux. Je crois qu’il y a un ensemble de choses qui vont mal en Afghanistan. Effectivement, la sécurité est l’élément essentiel qui commande les autres. Deuxième élément : c’est l’existence d’un Etat faible, d’un Etat qui vraiment ne dispose pas d’une véritable administration, qui ne dispose pas d’une véritable armée. C’est la raison pour laquelle on assiste à l’augmentation, sans arrêt, des effectifs de l’Otan dans le pays. L’Etat ne contrôle pas réellement une grande partie du pays. Il n’exerce pas non plus un contrôle réel, y compris sur certains hauts fonctionnaires, des gouverneurs, etc., etc. Il y a une certaine stratégie qui est à revoir du tout au tout en Afghanistan.
R F I : Et dans ce domaine, est-ce qu’on peut attendre quelque chose de concret de la conférence de Paris ?
K. P. : Moi je constate pour la première fois que la communauté internationale a pris conscience que quelque chose ne va pas en Afghanistan. Si je viens de faire le point sur les insuffisances de l’Etat afghan, il faudrait quand même souligner que la communauté internationale a une grande responsabilité dans cette insuffisance. Le statut mis en œuvre en Afghanistan dès le début a été erroné en privilégiant une solution militaire aux questions des talibans. La communauté internationale et les Etats-Unis en particulier, d’une part n’ont pas mis les moyens dès le début. Lorsqu’ils ont augmenté le nombre de soldats de l’Otan, c’était trop tard, les talibans s’étaient déjà réorganisés ; d’autre part, ils ont sous-estimé ce qu’on appelle le « building state », la reconstruction d’une administration efficace en Afghanistan. Aujourd’hui, à mon avis, il est temps de réviser cette stratégie, de mettre l’accent davantage (et d’abord) sur le maintien de la sécurité, sur la reconstruction d’un appareil d’Etat et sur le renforcement de l’armée afghane, pour que cette armée puisse progressivement prendre en elle-même la sécurité en Afghanistan, que cette notion d’un pays quasiment occupé par les forces étrangères soit éliminée.
R F I : Vous pensez qu’il n’est pas trop tard pour revenir sur cette stratégie militaire ?
K. P. : On a perdu quasiment six ans, mais je crois qu’il est encore temps pour qu’on consacre nos efforts vraiment pour reconstruire l’Afghanistan. D’abord sur le plan politique, ensuite sur le plan économique, et puis donner à l’Etat afghan les moyens que je viens d’indiquer, pour qu’un Etat fort puisse ensuite s’occuper des questions de la sécurité, des questions - y compris - des négociations avec les talibans pour ramener la paix en Afghanistan.
R F I : Alors ces moyens, si on en croit Hamid Karzai, se chiffrent à 50 milliards de dollars sur cinq ans, 32 milliards d’euros environ… C’est cher ?
K. P. : Je ne pense pas que la stratégie mise en place en Afghanistan soit uniquement une question d’argent. L’argent serait important si la communauté internationale assumait ses responsabilités, et notamment ses promesses précédentes. Je crois qu’il y a eu beaucoup de changement en Afghanistan. Ce qui est important en Afghanistan, c’est de mettre une stratégie d’ensemble : ce que je viens d’indiquer. Il faut mettre vraiment des relations entre la construction de l’Etat, entre la formation des cadres de cet Etat là. Quand on sait que certains ministères afghans n’arrivent même pas à dépenser leur budget de développement puisqu’ils manquent de projets, qu’ils manquent de cadres…
R F I : Et ces cadres, il faut les former où ?
K. P. : On peut les former sur place. En employant non seulement des instructeurs militaires, mais des enseignants et des formateurs pour les former sur place. On peut les former également à l’étranger. Le mouvement est déjà commencé, je crois qu’il y a déjà des étudiants afghans qui viennent en Europe pour être formés. Je crois qu’il est temps de redoubler d’attention sur la formation des cadres afghans pour qu’ils puissent vraiment prendre en main, demain, la destinée du pays.
R F I : Par ailleurs, une question qui ne concerne pas l’Afghanistan. L’Elysée a fait savoir que Bachar el-Assad, le président syrien, serait invité à la fête nationale le 14 juillet. Est-ce que c’est choquant ?
K. P. : Ecoutez, je parle en tant que chercheur à l’Institut de recherche stratégique et internationale. Je crois que la Syrie, c’est un pays qui compte dans cette région. Si on veut s’attaquer aux questions, aux problèmes, auquel le Moyen-Orient est confronté, aussi bien la question libanaise que la question palestinienne, on ne peut pas exclure la Syrie. Là c’est vraiment une question de politique gouvernementale. A titre personnel, je pense qu’il faudrait qu’on réfléchisse après ce qui s’est passé avec le Colonel Khadafi, où malgré tous les égards que la France lui a accordés aujourd’hui, il dénonce le projet de l’Union pour la Méditerranée. Cela donne quand même à réfléchir vis-à-vis de Bachar al-Assad.
R F I : Bernard Kouchner a expliqué que le président syrien serait là. Mais il a dit ensuite qu’il y aurait peut-être des développements possibles d’ici le 13 juillet. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?
K. P. : Eh bien moi, à titre personnel, je pense que s’il y a un développement positif, on ne peut que l’accueillir. Mais encore une fois, le Moyen-Orient c’est une région extrêmement compliquée. Les problèmes sont liés. La question libanaise est une question régionale ; plusieurs pays sont impliqués, et on ne peut vraiment pas aborder sous un seul angle aussi bien la question libanaise que la question palestinienne ou les relations avec la Syrie et Israël.
R F I : Un dernier mot sur cette conférence de Paris ; est-ce qu’elle va laisser également les ONG pouvoir défendre leur position, qui est de parler plus de droit des femmes, de liberté d’expression, de justice ?
K. P. : J’espère ! J’espère ! Je crois que l’évolution de la situation en Afghanistan est, sur ce plan, inquiétante. Vous savez que sur le plan politique, de plus en plus, non seulement les Européens, mais même les Américains aujourd’hui consentent à ce que les négociations entre le gouvernement de Kaboul et les talibans s’engagent. Il y a des informations qui nous parviennent de Kaboul qui montrent qu’en ce qui concerne les acquis sur le plan de la liberté d’expression, la liberté de la presse, il y a de plus en plus de restrictions. Et à ce titre, moi je crois que la société civile afghane, qui est présentée à la conférence de Paris, est déjà mise en garde sur ces questions de droits de l’homme, sur ces questions de liberté de l’opinion en Afghanistan. Et le rôle de la société civile, je crois qu’ils ont raison. Il faudrait porter une attention particulière à ces problèmes.
Les Afghans espèrent recueillir 50 milliards de dollars, soit 32 milliards d'euros ! |
C’est la somme des dépenses que le gouvernement afghan souhaiterait engager sur les cinq ans à venir, pour à la fois consolider les institutions démocratiques du pays, mais aussi et surtout relancer l’économie, avec une priorité accordée au secteur de l’énergie et de l’agriculture. Sur ces cinquante milliards, le gouvernement afghan lui-même ne peut guère engager plus de sept milliards de ressources propres ; tout le reste doit venir de l’étranger. Les Etats-Unis ont d’ores et déjà accepté de mettre dix milliards de dollars sur la table dans les deux ans à venir. Les autres pays, eux, s’engagent sur des montants bien inférieurs, chiffrés en centaines de millions de dollars. Nombreux sont ceux qui affirment redoubler d’efforts. C’est le cas de la France, prête à allouer 107 millions d’euros jusqu’en 2010, mais l’hôte de la conférence est loin de figurer dans le peloton de tête des donateurs. En revanche, Paris souligne l’effort consenti sur le plan militaire avec l’envoi prochain d’un nouveau bataillon en Afghanistan. Nicolas Sarkozy l’a dit ce matin « la France maintiendra sa présence en Afghanistan, jusqu’à ce que l’on gagne », a-t-il dit. |