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Niger / Esclavage

L’Etat nigérien condamné par la Cour de justice de la CEDEAO

par  RFI

Article publié le 27/10/2008 Dernière mise à jour le 27/10/2008 à 20:34 TU

La Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), saisie par la victime, a considéré que l’Etat nigérien n’a pas été en mesure de protéger la plaignante contre la pratique de l’esclavage qui perdure dans le pays, malgré son interdiction officielle en 1960. Adijatou Mani Koraou, aujourd’hui âgée de 24 ans, a été vendue à l’âge de 12 ans pour 240 000 francs CFA (366 euros) par un esclavagiste touareg. Elle était ensuite devenue la cinquième épouse d’un habitant de la région de Birni N’Konni, dans le centre-sud du pays, pendant neuf ans. Le gouvernement nigérien va respecter la décision du tribunal et va payer des dommages-intérêts à la jeune femme.

Adijatou Mani Koraou, ex-esclave nigérienne de 24 ans, et un de ses enfants, le 11 avril 2008, en face d'un tribunal de Niamey.(Photo : AFP)

Adijatou Mani Koraou, ex-esclave nigérienne de 24 ans, et un de ses enfants, le 11 avril 2008, en face d'un tribunal de Niamey.
(Photo : AFP)

Adijatou Mani Koraou réclamait 50 millions de francs CFA (près de 76 000 euros) de « réparations » à l’Etat du Niger pour n’avoir pas été en mesure de la protéger contre l’esclavage. Mais le tribunal ne lui a accordé que 10 millions (15 000 euros), considérant que l’Etat n’était pas responsable des discriminations qu’elle a subies pendant neuf ans. Le tribunal a néanmoins tenu la République du Niger pour « responsable de l’inaction » de ses services administratifs et judiciaires, selon l’arrêt lu par Aminata Malle-Sanogo, la présidente de ce tribunal mobile qui se déplace en fonction des affaires à traiter. Cette Cour ne prononce pas de peines d’emprisonnement, mais seulement des rappels à l’ordre contre des Etats.

« Je remercie Allah d’être libre comme vous tous. Avec les 10 millions, je vais m’occuper de moi-même, me faire plaisir, et je vais aussi essayer de monter un petit commerce » a déclaré la plaignante à la sortie du tribunal. Soutenue par l’organisation non gouvernementale nigérienne Timidria (« Fraternité » en langue touareg) et par des associations humanitaires étrangères comme Anti-Slavery International, basée à Londres, Adijatou Mani Koraou avait d’abord saisi les tribunaux locaux. Après avoir gagné en première instance, elle avait été déboutée en appel, avant de porter plainte devant la Cour de la CEDEAO. Selon Anti-Slavery International, la jeune femme a vécu dans un état de « soumission totale », forcée à travailler au foyer et dans les champs de son maître, subissant également des violences sexuelles. Elle a ainsi donné naissance à trois enfants, dont deux ont survécu. Elle avait même été emprisonnée pour bigamie, lorque son ancien maître s’opposa à son mariage avec un autre homme.

L’esclavage, officiellement aboli au Niger en 1960, est théoriquement passible de 10 à 30 ans de prison ferme. L’organisation Timidria a réalisé une enquête en 2003 et a recensé plus de 800 000 esclaves dans ce pays de 12 millions d’habitants. Depuis une décenie, une polémique oppose les autorités nigériennes et les organisations anti-esclavagistes. Le jugement qui vient d’être pris par la Cour ouest-africaine est considéré comme étant une décision historique, pouvant avoir des répercussions dans d’autres pays du continent - comme la Mauritanie, le Tchad, le Burkina Faso et le Mali - où des cas d’esclavage ont été également été signalés par des organisations humanitaires.  

Maître Ibrahima Kane, membre d'Interights

Le Centre international pour la protection juridique des droits de la personne

« Le juge n'a même pas soulevé cette question fondamentale de l'esclavage mais s'est contenté de régler d'autres aspects mineurs de la relation avec son maître. » 

27/10/2008 par Christine Muratet