Esclavage moderne
La traite des enfants : un fléau ouest-africain
(Photo : AFP)
De notre correspondante à Libreville
Baba Aboudjac est choqué quand il arrive au Gabon dans les années 80. Choqué de voir que sa communauté, les ressortissants d’Afrique de l’Ouest, est « esclavagiste », s’insurge-t-il ! C’est le drame médiatisé d’une jeune fille togolaise, Rebecca, séquestrée et violée pendant des années par un vieil homme, qui le pousse à agir il y a une dizaine d’années. Le professeur de philosophie entame seul une longue phase de sensibilisation auprès de ses compatriotes. « Petit à petit, j’ai trouvé des gens intéressés à cette cause, et nous avons formé une association en 2000 ». Ileda (« sauvez-nous », en Kotokoli, une langue du Togo) voit le jour.
Sans moyens financiers, l’association parvient pourtant à organiser la fuite de quelques jeunes filles et leur rapatriement dans leur pays d’origine. « Au début on était plus combattu que les trafiquants par les forces de l’ordre », raconte-t-il. Mais Baba ne recule pas. Dans le quartier de l’ancienne Sobraga, à Libreville, une fillette togolaise de 15 ans a besoin de lui. Bonne à tout faire d’une famille gabonaise, elle ne quitte le domicile cossu que pour aller chercher les enfants à l’école au coin de la rue. Victime de sévices corporels et de vexations quotidiennes, elle a alerté des voisins. Mais l’exploitant serait un « grand quelqu’un » et la police n’est pas encore intervenue.
Agents corrompus
Des agents de la police judiciaire, souhaitant garder l’anonymat, confirment l’existence de pressions de Gabonais ou d’étrangers influents. « C’est très frustrant, explique une agente, nous manquons de moyens, et quand on a des éléments pour arrêter un exploitant et un trafiquant, on nous empêche régulièrement d’intervenir ». Et, d’après de nombreux témoignages, les policiers eux-mêmes se laissent facilement corrompre pour relâcher un enfant ou un trafiquant. Nous sommes pourtant loin de dangereux réseaux mafieux et clandestins. Il s’agit plutôt d’entreprises illégales, quasiment familiales, à la portée de tous les regards.
Il suffit de se rendre dans des quartiers populaires, comme Sotéga ou Nkembo, et de s’adresser à n’importe quel membre de la communauté togolaise ou béninoise. Si le demandeur n’est pas suspect, il finira par être dirigé vers une femme disposée à trouver un enfant. Car la grande majorité des chefs d’orchestre du trafic sont des femmes. Les familles demandeuses paient 400 euros environ pour faire venir un enfant ; elles verseront ensuite une centaine d’euros chaque mois à leur pourvoyeuse. En quelques coups de fils, un enfant est trouvé dans un pays d’Afrique de l’Ouest. Il ne reste plus aux trafiquantes qu’à faire appel à un convoyeur.
Naufrage de pirogues
Bobo (son nom a été changé) est un ancien passeur. Il était chargé d’aller chercher au Togo les enfants « commandés » au Gabon. Un travail à risque qui peut rapporter jusqu’à 3 000 euros par trajet. Les régions de départ sont le plus souvent Sokodé ou Sotouboua, dans le centre du Togo. « Je ne transportais pas moins de quarante enfants à la fois, sinon le voyage n’était pas assez rentable », raconte-t-il. « Pour traverser les frontières à bord de minibus entre le Togo, le Bénin et le Nigeria, il n’y a aucun problème, poursuit Bobo. Des jeunes gens sont là pour nous faire traverser. Ils mangent de ça : les pots-de-vin ». Puis direction l’Etat de Cross River, à Calabar ou Oron, dans le Sud-Est du Nigeria, pour la partie la plus pénible du voyage : un trajet de trois à quatre jours dans des pirogues surchargées, sans boussole. « Parfois les pirogues se perdent et le cauchemar se poursuit pendant plus d’une semaine », ajoute Bobo. L’une de ces embarcations a chaviré au mois de mars au large du Cameroun, faisant près de 150 morts.
L’accostage à Libreville se fait n’importe où sur la côte. Encore quelques billets à un policier ou un taximan et les enfants, exténués, sont livrés de nuit à leurs nouveaux « parents ». C’est exactement le trajet suivi par Sadia il y a trois ans. Cette orpheline de 13 ans, emmenée du Togo par sa tante, a travaillé comme ménagère à Libreville jusqu’à ce qu’une femme gabonaise la trouve trop jeune et porte plainte à la police. « Moi je voulais rester au Gabon avec celle qui m’a aidée, mais on m’a dit que ce n’était pas possible », regrette
par Pauline Simonet
Article publié le 10/05/2006 Dernière mise à jour le 10/05/2006 à 15:06 TU