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Thaïlande

La tentation du putsch

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 26/11/2008 Dernière mise à jour le 27/11/2008 à 06:49 TU

Les autorités thaïlandaises ont évacué ce mercredi 26 novembre 2008 plusieurs centaines de passagers piégés à l'aéroport international de Bangkok. Mais Suvarnabhumi, l’une des plus grandes plateformes aéroportuaires d’Asie est toujours occupée par 8 000 manifestants antigouvernementaux. Ceux-ci exigent la démission du gouvernement comme préalable à toute négociation en vue de l’évacuation de l'aéroport. Pour sortir de l’impasse, le chef de l’armée a demandé au Premier ministre d’organiser de nouvelles élections. De retour du sommet de l’APEC, Somchai Wongsawat a refusé, en invoquant dans une allocution télévisée sa légitimité populaire. Moins d’un an après avoir rendu le pouvoir, les militaires s’invitent à nouveau dans le jeu politique.

Des manfestants de l'opposition occupent l'aéroport de Suvarnabhumi, à Bangkok, le 26 novembre 2008.(Photo : Reuters)

Des manfestants de l'opposition occupent l'aéroport de Suvarnabhumi, à Bangkok, le 26 novembre 2008.
(Photo : Reuters)



Pour remettre de l’ordre en Thaïlande, le général Anupong Paojinda veut de nouvelles élections. « Ce n’est pas un coup d’Etat, dit-il à l’issue d’une réunion d’urgence. En tant que chef de l'armée, si je menais un coup d'Etat, les problèmes seraient réglés une fois pour toutes. Mais il y aurait de nombreuses conséquences, y compris la réaction internationale. »

Le chef d’état-major de l’armée thaïlandaise a beau jeu d’affirmer que « le gouvernement exerce toujours pleinement son autorité » ; celui que l’on dit fan des Beatles signe un retour tonitruant des militaires dans le jeu politique. Depuis sa nomination à la tête de l’armée le 1er octobre 2007, le général s’est toujours exprimé contre une nouvelle intervention de son institution dans le débat public. A des journalistes thaïlandais, il expliquait il y a encore quelques semaines que « prendre le pouvoir par la force était une route barrée d’obstacles que personne ne devrait emprunter ». En la matière, Anupong Paojinda a une certaine expérience. Il a en effet appartenu au cercle d’officiers qui a renversé en septembre 2006 l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra. Discipliné, fidèle au roi, ce diplômé de sciences politiques était alors devenu l’un des piliers du Conseil pour la sécurité nationale qui avait géré les affaires du pays jusqu’aux élections législatives de décembre 2007.

La tentation autoritaire

Même si le coup d'Etat de 2006 n'a jamais rien réglé, en Thaïlande, la tentation autoritaire est toujours présente. Nation, religion et monarchie forment le socle des valeurs à défendre. Lorsque l’armée considère que cette « sainte trinité » est en danger, elle s’arroge très souvent le droit de reprendre le pouvoir. 

Le chef de l'armée thaïlandaise Anupong Paojinda et le Premier ministre en exercice Somchai Wongsawat, le 14 septembre 2008.(Photo : Reuters)

Le chef de l'armée thaïlandaise Anupong Paojinda et le Premier ministre en exercice Somchai Wongsawat, le 14 septembre 2008.
(Photo : Reuters)

Prudent, Anupong Paojinda ne veut pas rester dans l’histoire comme l’auteur du dix-neuvième putsch du royaume. Fort de ses relais dans les milieux d’affaires, le général s’est toutefois permis, en l’absence du Premier ministre et sans son consentement, de proposer l’organisation d’un nouveau scrutin, quitte à déclencher une crise au plus haut sommet de l’Etat. 

L’opposition manipulée ?

Pour renouer avec la stabilité, le chef d’état-major de l’armée a pris le risque de rallier la PAD, l’Alliance du peuple pour la démocratie, qui est à la tête de la fronde antigouvernementale. Certains observateurs accusent d’ailleurs la PAD d’être manipulée par l’institution militaire. L’objectif serait à terme d’instaurer un « nouvel ordre thaïlandais ».

Dans une tribune, Ji Ungpakorn, professeur de sciences politiques à l’université Chulalongkorn se demande « comment une foule peut prendre d’assaut un aéroport international ; un des lieux les mieux protégés du royaume. Il est évident que l’armée soutient l’Alliance du peuple pour la démocratie ». Pour cet intellectuel, l’armée s’appuie sur « une clique minoritaire de royalistes fascisants soutenue et financée par l’institution royale pour s’ériger comme dernier rempart au chaos ». Si la reine Sirikit a effectivement apporté son soutien aux militants de la PAD, l’armée apparaît divisée. Certains généraux rêvent effectivement d’un pouvoir autoritaire qui tournerait la page de la crise avant de graver ces changements dans une nouvelle Constitution. Au sein de l’institution, ils sont une majorité à soutenir la démocratie parlementaire. Mais depuis 2005, ces militaires se heurtent à la réalité d’un pays toujours divisé entre les pro et les anti Thaksin Shinawatra.

Ji Ungpakorm assure que « l’instabilité politique est entretenue par les généraux pour rendre indispensable, à un moment ou à un autre, l’intervention de l’armée ». Selon les partisans de cette thèse, les manifestants antigouvernementaux auraient eu les mains libres pour prendre d’assaut Suvarnabhumi  dans la soirée du mardi 25 novembre. Une manière de défier le pouvoir et de réitérer leur allégeance au roi qui a lui-même choisi le nom de l’aéroport international de Bangkok qui signifie « la terre d’or ».

Confrontation générale

Depuis ce mardi, cette « terre d’or » est devenue le principal terrain d’affrontement des élites du royaume, profondément divisées. Dès son retour du sommet de l’Apec, dans la journée, le Premier ministre a indiqué qu’il rejetait la demande du chef de l’armée. Somchaï Wongsawat ne veut pas d’un coup d’Etat déguisé et continue d’affirmer que son pouvoir est légitime puisque son parti, le Parti du pouvoir du peuple, a largement remporté les élections législatives du 23 décembre 2007. Les militants de l’Alliance du peuple pour la démocratie maintiennent leur exigence. Ils n’évacueront l’aéroport que si le gouvernement démissionne. « C’est un préalable non négociable », affirment-ils, en répétant que leur action vise à en finir avec une certaine idée du pouvoir incarnée par Thaksin Shinawatra, qu’ils accusent de tirer les ficelles de la crise.

Pour les observateurs, la crise politique et institutionnelle est devenue ingérable. Dans son palais, le roi Bhumibol Adulyadej, 81 ans, reste muet ; et certains craignent que le « pays du sourire » bascule dans la guerre civile.

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