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Sri Lanka

L'armée contrôle Kilinochchi

par Georges Abou

Article publié le 02/01/2009 Dernière mise à jour le 02/01/2009 à 21:00 TU

C’est un revers militaire majeur pour l’un des plus vieux mouvements de libération nationale. L’armée sri-lankaise annonce avoir pris le contrôle de la capitale politique des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Les autorités sri-lankaises s'étaient engagées à conquérir Kilinochchi avant la fin 2008. Le siège de la ville durait depuis quatre mois. Le président Mahinda Rajapaksa appelle les rebelles à la reddition.

Le président sri-lankais Mahinda Rajapaksa lors d'un discours officiel, à Colombo, le 2 janvier 2009.(Photo : Reuters)

Le président sri-lankais Mahinda Rajapaksa lors d'un discours officiel, à Colombo, le 2 janvier 2009.
(Photo : Reuters)

Ce n'est pas une surprise. Depuis quelques jours, on s'attendait à la chute imminente de Kilinochchi. Au cours de ces dernières semaines, l'armée sri-lankaise avait déployé des moyens considérables pour réduire la résistance des assiégés. L'aviation et l'artillerie sri-lankaises sont massivement intervenues pour préparer les vagues d'assauts successives de l'infanterie, tandis qu'en face les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) opposaient une résistance acharnée et multipliaient les contre-offensives.

Au cours des dernières heures, l'étau s'était resserré sur la ville. Les soldats sri-lankais avaient percé les défenses tamoules sur trois axes, au sud, à l'ouest et au nord. C’est là, au carrefour nord, que le jeudi 1er janvier, ils ont enregistré une avancée majeure en prenant le contrôle d’un important carrefour stratégique, à Parathan, considéré comme la principale voie d’approvisionnement des défenseurs de Kilinochchi. Du coup, ces derniers se sont retrouvés isolés du reste du pays et notamment de leurs bases arrière.

Guerre civile sans témoins

En termes de bilan humain, cette offensive victorieuse de l’armée gouvernementale a été chèrement payée. Ces derniers mois, chaque semaine passée, on a compté des dizaines de victimes parmi les combattants.

Le président Mahinda Rajapaksa, qui souligne aujourd'hui « une victoire sans égal », peut être satisfait. Cette « victoire » est le fruit d'une politique mise en œuvre dès son arrivée au pouvoir en 2005 et soutenue par un budget d’exception adopté l’année dernière, dans la perspective d’une entrée en « guerre totale ». Politique de fermeté, volonté d'en finir et d'écarter la voie de la diplomatie pour ne privilégier que l'option militaire.

La médiation internationale, conduite par les négociateurs norvégiens, a été congédiée au début de l'année 2008. Les ONG et l'ONU ont été contraintes de déguerpir début septembre pour faire place nette à l'offensive militaire, laissant des populations civiles livrées aux hasards de l’activité militaire et de la volonté des belligérants, soit de les enfermer pour les soustraire aux enrôlements forcés de l’ennemi, soit de s’en servir comme boucliers humains. Pris entre le marteau de l’offensive gouvernementale et l’enclume de la résistance indépendantiste, les civils sont décrits par les organisations humanitaires et les agences des Nations unies comme les otages d’une guerre civile sri-lankaise désormais sans témoins.

Si, après quatre mois de siège et de combats, la chute de la capitale politique des rebelles est désormais consommée, elle ne signifie pas que la guerre civile est terminée au Sri Lanka. D’un point de vue conventionnel, le rapport des forces militaires tourne incontestablement en faveur de Colombo. Pour autant, l’armée gouvernementale n’a pas pris le contrôle de l’ensemble du territoire et la capacité d’action des Tigres n’est pas totalement neutralisée. La rébellion tamoule, dont les LTTE forment l’organisation politico-militaire, est une armée aguerrie, en activité depuis le tout début des années 70. Elle est à l’origine de l’usage moderne de l’attentat-suicide comme instrument de menace dit « du faible au fort ». D’ailleurs, peu après l’annonce de la chute de Kilinochchi, un attentat-suicide près du quartier général de l’armée de l’air à Colombo tuait deux officiers et blessait une trentaine de personnes.

Si les Tigres viennent de subir un revers majeur, l’organisation politique demeure intacte. Son chef, Velupillaï Prabhakaran, reste solidement campé à la tête de l’organisation qui conserve, faute de proposition politique alternative, son monopole sur la représentation des indépendantistes et sa popularité au sein de la diaspora, principal soutien extérieur dans un contexte international de plus en plus hostile. Après les Etats-Unis, l’Inde, et des dizaines d’autres Etats, l’Union européenne a également déclaré les LTTE comme organisation terroriste en 2006.

Le silence de l’Inde

Après les années d’espoir soulevé par la médiation norvégienne, le conflit sri-lankais semble aujourd’hui définitivement abandonné aux militaires, sans espoir d’ouverture de négociations. Colombo appelle les rebelles à la reddition et, en cas de refus, pourrait bien être tenté de pousser son avantage en poursuivant la guerre.

Après une tentative d’intervention désastreuse dans le conflit lors de la période 1987-1990, l’Inde s’est brusquement effacée de la scène régionale. Nombre de spécialistes estiment que c’est aujourd’hui cette discrétion qui a contribué à créer les conditions de la préparation et de l’accomplissement du règlement militaire de la crise par le gouvernement sri-lankais. Inversement, si l’Inde bouge, Colombo n’y sera pas insensible. Et la position de New Delhi pourrait évoluer au gré de la campagne qui va s’ouvrir cette année dans la perspective des élections législatives indiennes. Comme leurs voisins indiens du Tamil Nadu, les indépendantistes sri-lankais sont des Tamouls hindouistes (contrairement aux Cinghalais bouddhistes qu’ils combattent), et les formations politiques indiennes peuvent toujours être tentées de s’appuyer sur les fractions les plus nationalistes de leur électorat pour recruter des voix.

A l’issue de cette journée du 2 janvier, aucune réaction à la chute de Kilinochchi n’avait été enregistrée en provenance des LTTE. Le site d’information tamoul, Tamilnet, proche des rebelles, et habituellement réactif et plutôt bien informé n’avait pas été réactualisé depuis le 1er janvier, 9h41 (TU).

A écouter

Professeur Saravanamuttu, directeur du Centre d'étude politique de Colombo

« Sans véritable accord politique, on ne pourra jamais sortir du conflit, quelle qu'en soit l'intensité. »

02/01/2009

Eric Meyer , historien et professeur à l'Inalco

« Stratégiquement, la prise de Kilinochchi permet probablement à l'armée sri-lankaise de rétablir le contrôle de la route qui mène depuis le reste de l'île jusqu'à la ville de Jaffna. »

02/01/2009