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Justice internationale

Le procès Lubanga, ou la fabrique de la justice internationale

Article publié le 28/01/2009 Dernière mise à jour le 28/01/2009 à 05:19 TU

Thomas Lubanga, chef historique de la milice de l'Union des patriotes congolais, en juin 2003 à Bunia à l'époque des faits qui lui sont reprochés, et à la Cour pénale internationale de la Haye, en mars 2006.( Photo : Reuters/ Montage RFI )

Thomas Lubanga, chef historique de la milice de l'Union des patriotes congolais, en juin 2003 à Bunia à l'époque des faits qui lui sont reprochés, et à la Cour pénale internationale de la Haye, en mars 2006.
( Photo : Reuters/ Montage RFI )

La parole était à la défense à la Haye mardi, pour le deuxième jour du procès historique du chef de milice congolais Thomas Lubanga, ancien chef de l'Union des patriotes congolais en Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Poursuivi pour crimes de guerre, il est accusé d'avoir enrôlé et utilisé des enfants soldats recruté et enrôlé des enfants de moins de 15 ans comme soldats, et de les avoir fait participer activement aux affrontements de septembre 2002 à août 2003. L'audience a mis en exergue les problèmes inhérents à l'invention en direct de la justice international : il faut dire que c'est le premier procès de la Cour pénale internationale, un procès historique.

Avec notre envoyée spéciale à La Haye, Sarah Tisseyre

A la recherche d’un procès équitable, c’est ainsi que Maître Catherine Mabille intitule sa déclaration d’ouverture : elle s’inquiète entre autres du rôle que joueront les victimes, représentées pour la première fois par des avocats dans un procès international : «  La chambre a décidé d’admettre 92 victimes, dont 91 sont aujourd’hui totalement anonymes, et qui sont venues dire, hier, devant votre chambre, un certain nombre de choses de notre client et face à ça et en  tous les cas, à ce stade là, la défense ne peut strictement rien faire… »

Thomas Lubanga écoute attentivement, costume gris, les coudes posés sur la table devant lui, tandis qu’un autre de ses avocats, Maître Biju Duval enchaîne : « La CPI a pour mission de juger les plus hauts responsables pour les crimes les plus graves, les plus hauts responsables » martèle l’avocat, « Pourquoi, pour ce premier procès, avoir ciblé Thomas Lubanga ? Ce ne sont pas les suspects contre les crimes de l’humanité et crimes de guerre qui manquent entre Kinshasa et Kampala, Madame le procureur,  vous les connaissez mieux que quiconque… Depuis 2003, les grandes organisations de défense des droits de l’homme vous exhortent à les poursuivre. De Bugna à Kinshasa en passant par Béni et Kampala, tous le monde les connaît, ceux qui ont semé le chaos, instrumentalisé les haines, livré les armes, encadré les milices, organisé les massacres et tiré profit de tout cela...» 

L'avocat pointe le président congolais, l’Ouganda et le Rwanda, et  conclut : « Le Procureur a choisi d’épargner les plus hauts responsables et de poursuivre celui dont l’élimination politique convenait à tous ces pouvoirs. »

Une justice qui s'invente en direct

Que faire si un témoin s'auto-accuse d'avoir commis des crimes ? C'est l'une des questions de procédure débattues hier en fin d'audience. Il faudra prévoir une liste d'avocats susceptibles de conseiller ce témoin, tout le monde en convient, et qu'il parle lingala, précise-t-on.

Les avocats de Thomas Lubanga s'inquiétent par ailleurs du rôle que joueront les victimes, représentées pour la première fois dans un procès international. « Certaines veulent venir déposer à La Haye sans révéler leur identité, ni au public, ni même à nous, la défense... Nous nous y opposons ! »

Des ajustements de procédure comme ceux ci, il y en aura bien d'autres, et il y en a déjà eu beaucoup. C'est d'ailleurs pour cette raison que le procès commence avec 7 mois de retard, il a fallu régler le problème du partage des informations entre l'accusation et la défense, trouver des solutions pour que la défense accède à ces dizaines de documents recueillis par le procureur sous le sceau de la confidentialité, auprès de l'ONU notamment... C'est le droit de Thomas Lubanga à obtenir un procès équitable qui est en jeu.

De fait, malgré les textes et les modes d'emploi, c'est bien la réalité de ce premier procès qui permettra la mise en place des pratiques de la CPI pour l'avenir.