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Irak

Nouri al-Maliki : l’endurance du coureur de fond

par Farida Ayari

Article publié le 20/02/2009 Dernière mise à jour le 20/02/2009 à 17:33 TU

La liste patronnée par le Premier ministre Nouri al-Maliki arrive en tête dans toutes les provinces chiites d’Irak. Mais selon les résultats définitifs des élections provinciales du 31 janvier, Nouri al-Maliki devra composer des alliances pour diriger ces gouvernorats.

Une affiche du Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, lors des élections provinciales, le 1er février 2009.(Photo : AFP)

Une affiche du Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, lors des élections provinciales, le 1er février 2009.
(Photo : AFP)

Avec ses lunettes cerclées d’or, ses costumes foncés et sa cravate impeccable, Nouri al-Maliki a l’allure d’un fonctionnaire bien rangé. Lorsque nous l’avions rencontré en mars 2004 à Bagdad, il se présentait encore sous son nom de guerre, Jawad al-Maliki,  adopté en Syrie lorsqu’il dirigeait le bureau « jihad » de son parti al-Daawa (l’Appel), chargé des actions contre les intérêts irakiens à l’étranger.

En mars 2004, al-Maliki était alors simple porte-parole d’al-Daawa, mais quand même numéro deux du parti dirigé par Ibrahim al-Jaafari. Al-Maliki était alors pour l’épuration totale des éléments baathistes de tous les rouages de l’Etat irakien. Son engagement contre le Baath remonte en effet à sa prime jeunesse lorsqu’il s’engage, à 20 ans en 1970, au sein d’al-Daawa.

Pour le jeune chiite, né en 1950 dans un village poussiéreux de la province de Kerbala-  dont le chef -lieu du même nom est l’une des villes saintes du chiisme où repose l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mohamed et fils d’Ali Ibn Abi Taleb, quatrième calife mais premier calife chiite- il était naturel d’adhérer à ce parti islamiste qui se voulait le porte-voix des chiites laissés pour compte depuis l’indépendance de l’Irak en 1920.

C’est sur les bancs de la faculté de lettres de Bagdad que Nouri al-Maliki, étudiant en littérature arabe, se familiarise avec la politique et devient sensible au discours de l’ayatollah Mohamed Bakr al-Sadr, idéologue et fondateur d’al-Daawa, exécuté par Saddam Hussein le 9 avril 1980 en même temps que sa sœur Amina.

Les années d’exil

C’est à cette époque que Nouri al-Maliki, condamné à mort par contumace, s’enfuit vers la Syrie. L’étape sera brève. Comme des milliers de jeunes chiites arabes, il prend le chemin de Téhéran. Mais les militants d’al-Daawa ne se sentent pas à l’aise dans l’Iran révolutionnaire et islamiste de l’ayatollah Khomeiny. Deux conceptions de l’Etat islamiste s’opposent. A la Wilayat al-Faqih prônée par le guide de la révolution iranienne qui consacre le religieux sur le politique, l’ayatollah Mohamed Bakr al-Sadr  préconisait la Wilayat al-Oumma (le gouvernement du peuple) et l’avènement d’un Etat moderne en phase avec les préceptes de l’islam en conformité avec la Marjaiya, la haute autorité spirituelle chiite. L’ayatollah al-Sadr s’illustrera d’ailleurs par un travail remarquable intitulé Iqtisaduna (Notre économie) qui jettera les bases du système bancaire islamique.

Imprégné de ces connaissances et convaincu de la nécessité de conjuguer islam et modernité, Nouri al-Maliki retourne à Damas. Le régime baathiste de Hafez al-Assad, ennemi juré de Saddam Hussein, ouvre grande la porte aux opposants de l’autocrate irakien. Au moment où le chef de l’Etat syrien s’engage dans une répression sanglante contre les Frères musulmans, il accueille sans état d’âme les islamistes de Saddam Hussein.

A Damas, Nouri al-Maliki, devenu Jawad –le généreux- vivra ses années les plus militantes  et gravira les échelons d’al-Daawa. Il lance le journal du parti Al Mawqif et dirige la branche syrienne d’al-Daawa. Al-Maliki aurait joué un rôle important au sein d’al-Shahid (le Martyr) l’aile armée du parti, dissoute en 2003, et aurait été le cerveau de plusieurs tentatives d’attentats contre Saddam Hussein, son fils Uday et des dignitaires du régime.

(Photo : AFP)

(Photo : AFP)

A l’orée des années 2000, le parti al-Daawa s’est employé à se projeter comme un mouvement irakien nationaliste indépendant. Avant l’invasion de l’Irak par les troupes étrangères en 2003, il refuse de participer à tout groupe d’opposition qui serait parrainé par les Etats-Unis et avait dénoncé l’intervention américaine en Irak. Pour les dirigeants d’al-Daawa, Ibrahim al-Jaafari et Nouri al-Maliki, il était hors de question d’arriver à Bagdad « sur les chars américains ».

Premier ministre par défaut

C’est un homme effacé qui rentre à Bagdad en 2003. Sa haine de l’ancien régime s’illustre au sein du Comité de débaathification. Mais les nouvelles autorités font appel à cet homme lettré, élu député en janvier 2005,  pour participer à la rédaction de la Constitution adoptée en octobre.

Nouri al-Maliki deviendra Premier ministre par défaut le 22 avril 2006 en succédant à Ibrahim al-Jaafari. Ce dernier décrié par les Kurdes et les sunnites est jugé incapable, par les Américains, de juguler la guerre confessionnelle dans laquelle se sont plongés les Irakiens. Washington le considère aussi trop proche de l’Iran.

La priorité de Nouri al-Maliki fut de présenter un plan de réconciliation nationale au Parlement et de mettre fin au règne des milices chiites et sunnites qui tenaient le haut du pavé face à des forces armées irakiennes anémiques. Il bénéficia d’un concours de circonstances favorable avec la réussite du plan de sécurité de Bagdad lancé en février 2007 et le rejet d’al-Qaïda par les tribus sunnites qui ont créé des milices anti-jihadistes.

Le terminal pétrolier de Bassorah.(Photo : AFP)

Le terminal pétrolier de Bassorah.
(Photo : AFP)

En mars 2008, Nouri al-Maliki n’hésite pas à lancer la troupe contre une milice chiite afin de rétablir l’ordre à Bassorah, la grande ville pétrolière du sud du pays. Plus tard, il croisera le fer avec l’armée du Mahdi de son allié Moqtada Sadr jusque dans son bastion de Sadr City, dans les environs de Bagdad. Enfin, le champion de la débaathification tend la main aux sunnites.

Ces faits d’armes lui ont permis d’élargir sa popularité hors de sa communauté.  « Nouri al-Maliki a créé une dynamique autour de sa personne en obtenant le soutien des tribus, des technocrates, des classes moyennes, des habitants des grandes villes, voire des Arabes sunnites dans les zones disputées avec les Kurdes », souligne l’anthropologue irakien Hosham Dawood.

La popularité d’al Maliki fait un bond en novembre 2008 en obtenant la ratification par le Parlement de l’accord de sécurité controversé avec les Etats-Unis. « Al-Maliki veut rester dans l’Histoire comme celui qui aura conduit au départ des Américains », affirme un diplomate français.

Au cours de la campagne électorale pour les élections provinciales, à la tête de sa Coalition pour l’Etat de droit, le Premier ministre a plaidé pour un Irak fort et unifié. Des concepts chers aux Irakiens qui rêvent de leur pays comme du plus puissant du monde arabe.

Au lendemain de sa victoire aux élections, Nouri al-Maliki a affirmé que les provinciales avaient changé « la carte politique » du pays. De fait, al-Daawa devient le premier parti du pays, loin devant son rival le Conseil suprême islamique d’Irak (CSII) d’Abdelaziz al-Hakim et devant le radical Moqtada Sadr.

Conscient de la nécessité de nouer des alliances pour choisir les gouverneurs des provinces, al-Maliki a souligné : « Nous nous allierons avec ceux qui défendent l’unité nationale ». L’unité nationale sera le prochain test de Nouri al-Maliki lorsque viendra l’heure de décider de l’avenir de la province pétrolière de Kirkouk revendiquée par les Kurdes.