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Turquie / Irak

Les grandes manoeuvres diplomatiques d'Ankara au Proche-Orient

par Monique Mas

Article publié le 24/03/2009 Dernière mise à jour le 24/03/2009 à 18:25 TU

A Bagdad, où il a été accueilli par son homologue irakien, le Kurde Jalal Talabani, le président turc Abdullah Gül était également attendu par le Premier ministre de la province autonome du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani. Désavouant la lutte armée conduite par les séparatistes turcs du Parti des travailleurs du Kurdistan ( le PKK) qui opèrent depuis le Kurdistan irakien, les deux politiciens kurdes d’Irak ont fait des promesses de collaboration renforcée avec la Turquie qui souhaite maintenir une coopération bilatérale dynamique avec l'Irak mais aussi plus largement tenir un rang diplomatique de premier plan dans son environnement moyen-oriental.

(Carte : L. Mouaoued/RFI)

(Carte : L. Mouaoued/RFI)

Faisant fi d’une solidarité kurde dont l’affichage n’est visiblement plus de mise dans la région et surtout pas dans un Irak qui récupère lentement sa souveraineté, le Premier ministre du Kurdistan autonome, Nechirvan Barzani promet au président turc que les autorités kurdes de la province irakienne autonome « agiront de concert avec la Turquie » contre les séparatistes du PKK et que désormais « aucune attaque ne sera menée depuis [leur] territoire ». La veille, en présence de son homologue turc, le président irakien Djalal Talabani avait de son côté sommé le PKK de « rendre les armes ou de quitter l'Irak ».

Certes, le président Jalal Talabani précise que les autorités irakiennes « ne croient pas que seules les mesures musclées peuvent permettre de régler la question kurde ». « Il faut trouver des alternatives », ajoute-t-il. Mais il est clair que dans un proche avenir, le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK turc va devoir se trouver d’autres bases arrières opérationnelles. Car même s'il paraît inexpugnable des contreforts rocheux d’Irak où il s’incruste, les divergences d’intérêt du PKK avec Bagdad - et même Erbil, la métropole du Kurdistan irakien - , menacent la cause séparatiste pour laquelle les Kurdes turcs sont en lutte armée depuis 1984, au risque de se voir inscrits sur la liste des organisations terroristes des Nations unies et de l'Union européenne.

Une nouvelle réalité émerge en Irak selon Gül

« Il faut des actions communes pour éliminer le terrorisme » avait martelé Abdullah Gül dès son arrivée à Bagdad à l'occasion de cette visite qui constitue une première pour un dignitaire turc de son rang en ces trois décennies qui ont vu l’Irak sous occupation américaine, après une épreuve de force ravageuse contre le monde entier en 1990-1991 et une guerre sanglante et destructrice avec l’Iran dix ans plus tôt. Mais aujourd’hui, alors qu’en Irak les partisans locaux de la nébuleuse terroriste d’al-Qaïda paraissent réduits à la portion congrue, la présence rebelle dans le Kurdistan irakien fait plus que jamais tache, comme le président turc n'a pas manqué de le relever.

« Il y a une nouvelle réalité, c'est que les terroristes sont dans le nord de l'Irak » et cela témoigne d’une défaillance sinon d’une complicité des « responsables des régions où sont implantés ces terroristes », lance Abdullah Gül en appelant ses partenaires irakiens, et en particulier les autorités du Kurdistan autonome, à « en finir avec ces problèmes qui entravent les relations entre les deux pays ». Jalal Talabani en convient, qui suggère au PKK turc de se « lancer dans la vie politique et parlementaire au lieu de se servir de ses armes ». Si Talabani est un vétéran de la cause kurde, ce qui lui avait du reste valu d’être associé à la composante chiite du pouvoir irakien instauré par l’administration Bush, le chef de l'Etat irakien repousse aujourd'hui les sirènes séparatistes.

L'Irak se veut unitaire

La lutte armée des séparatistes kurdes de Turquie « fait du tort aux Kurdes et aux Irakiens », explique le président Talabani qui n’ignore pas qu’une telle perspective en Irak ferait immédiatement sortir la Turquie de ses gonds, mais aussi les autres voisins de l’Irak abritant une communauté kurde (l’Iran et la Syrie). Du reste, l’Irak a choisi l’option unitaire comme l’ont démontré début 2009 les élections provinciales qui ont conforté sur cette base la stature d’homme politique du Premier ministre Nouri al-Maliki. Quant aux ambitions pétrolières et territoriales du Kurdistan irakien, concernant Kirkouk notamment, les Irakiens ont sagement préféré renvoyer toute décision à plus tard.

« La Constitution irakienne interdit les milices armées, le PKK comme les autres » rappelle Talabani en faisant valoir le comité tripartite créé en novembre 2008 par l’Irak, les Etats-Unis et la Turquie pour combattre le PKK sur le territoire irakien. De son côté, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, le président de la province autonome irakienne renchérit et annonce sans grand frais une conférence inter-kurdes pour avril prochain. Des partis kurdes d'Irak, de Syrie, d'Iran, de Turquie et d'Europe devraient alors appeler le PKK à cesser la lutte armée et l’aider « à trouver une solution pacifique à la question kurde dans toutes les parties du Kurdistan » virtuel.

Solution militaire et diplomatie régionale

Pour sa part, l'armée turque ne renonce pas encore à l’idée d’une solution militaire à force de raids contre les bases arrières du PKK dans le Kurdistan irakien. Elle les a multipliés ces derniers mois, avec une nouvelle incursion terrestre officiellement admise en février dernier. Mais si la question kurde revêt pour Ankara une importance toute particulière, la stabilité régionale n’en reste pas moins au premier plan de la stratégie diplomatique turque, surtout quand cette dernière autorise des relations bilatérales dynamiques et riches en retombées commerciales.

Entreprise en 2007 et rendue publique en 2008 seulement, une médiation turque se poursuit entre Israël et la Syrie qui réclame la restitution du plateau du Golan à l’Etat hébreu, ce dernier demandant en échange à Damas de rompre avec les islamistes libanais et palestiniens du Hezbollah et du Hamas. En la matière, il n’est sûrement pas indifférent de savoir que depuis 2004, Ankara abreuve ses bonnes relations avec Israël avec un contrat sur vingt ans organisant la livraison annuelle par la Turquie de quelque 50 millions de mètres cubes d’eau.

Un croissant fertile très attractif

En Irak, le président Gül a également été saisi sur la question du tarissement de l'eau du Tigre et de l'Euphrate qui prennent leur source en Turquie avant d’arroser le « croissant fertile ». Une problématique cruciale sur le partage des eaux de la région au moment où devrait véritablement démarrer la reconstruction de l'économie de l'Irak. En la matière, Bagdad reproche à la Turquie la construction de trop nombreux barrages sur les deux fleuves nourriciers. Dans le domaine des hydrocarbures en revanche, des arrangements bilatéraux très bien huilés voient par exemple des entreprises turques pallier le déficit en raffinage irakien moyennant l’importation de brut irakien réexporté en Irak après raffinage en Turquie. Le terminal pétrolier du port turc de Ceyran est par ailleurs un débouché méditerranéen tout naturel pour le pétrole irakien.

La reconnaissance internationale de la bonne tenue du scrutin de janvier dernier a finalement consacré la normalisation politique et sécuritaire revendiquée haut et fort par le Premier ministre Nouri al-Maliki. A l’instar de Paris par exemple qui a vu le président Nicolas Sarkozy faire escale à Bagdad pour manifester son intérêt dans la reconstruction irakienne, la Turquie a visiblement choisi de faire son retour à Bagdad à un moment clef. Ankara attend le nouveau président américain les 6 et 7 avril prochain. Cette visite d’Etat du président américain constitue « un résultat naturel du rôle croissant de la Turquie dans la région » selon le ministre turc des Affaires étrangères Ali Babacan. Et l’Irak sera aussi au menu puisque la Turquie vient d’annoncer qu’elle laisserait transiter sur son sol les troupes américaines qui doivent avoir quitté l’Irak d’ici deux ans.