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Piraterie

Une justice à inventer

Article publié le 29/04/2009 Dernière mise à jour le 29/04/2009 à 21:26 TU

Le 18 mai 2009, cinq pirates somaliens prendront place dans le box des accusés de la Cour de district de Rotterdam. Après les procédures ouvertes en France et aux Etats-Unis, ce procès constituera un nouveau test, mais ne résout pas les difficultés auxquelles font face les forces internationales qui patrouillent dans l’océan Indien. Où ? Comment ? Et par qui doivent être jugés les pirates ?

Les cinq Somaliens ont été arrêtés en pleine mer par un bateau de la marine danoise.(Source: ministère français de la Défense)

Les cinq Somaliens ont été arrêtés en pleine mer par un bateau de la marine danoise.
(Source: ministère français de la Défense)

De notre correspondante aux Pays-Bas, Stéphanie Maupas

Le Samanyulo battait pavillon des Antilles néerlandaises, l’équipage était turc, l’armateur enregistré à Rotterdam, les pirates somaliens, les auteurs de l’arrestation danois… Les juges des cinq pirates arrêtés le 14 janvier dans l’océan Indien seront, eux, néerlandais. La piraterie est l’un des plus vieux crimes du droit international et en théorie, tous les Etats sont compétents pour en poursuivre les auteurs. Pourtant, la question embarrasse les forces internationales qui patrouillent dans le golfe d’Aden et l’océan Indien. L’affaire du Samanuylo réunit déjà tous les ingrédients d’une longue saga judiciaire et soulève des questions politiques plus profondes sur la capacité à lutter contre la piraterie.

En larguant les amarres, le 2 janvier, les cinq pirates ignoraient que cette expédition les conduirait jusqu’aux prisons néerlandaises. « Ils se sont retrouvés sans eau, sans nourriture, et le moteur de leur embarcation menaçait de tomber en panne, raconte maître Haroon Raza, l’avocat d’Osman M.F. Ils ont cherché de l’aide auprès du Samanuylo, mais ils ont été attaqué à coups de coktails Molotov, et c’est la marine danoise qui les a repêché ». Armés d’AK47, les cinq hommes visaient un autre bateau, argue l’avocat.

Les officiers de la Task Force 150, l’une des multiples opérations de lutte contre la piraterie mise en place par la communauté internationale, arrêtaient les cinq hommes, qui étaient extradés un mois plus tard vers les Pays-Bas. « Ils ne doivent pas parler ensemble. Mon client, qui s’exprime en somali et qui est illettré, n’a pas parlé avec sa femme depuis des mois. Seule la diaspora somalienne aux Pays-Bas lui permet de rester en contact avec sa famille ». D’entrée, l’avocat soulève la question qui embarrasse les Etats : que fera-t-on des pirates, une fois le procès terminé ? « Ces Etats ne veulent pas que les pirates arrivent sur le continent européen ».

Des textes qui datent du siècle passé

Les forces internationales buttent sur la question des poursuites. Plusieurs pirates ont ainsi été relâchés. Le 17 avril, la marine néerlandaise devait libérer des Somaliens qui s’attaquaient à un navire battant pavillon des îles Marshall, appartenant à un armateur grec.

Interpellés par des parlementaires, les ministres de la Défense et de la Justice ont dû s’en expliquer. « A l’exception des cas dans lesquels un intérêt néerlandais est clairement en cause, des poursuites et une détention aux Pays-Bas ne semblent pas la solution la plus évidente ». Les dispositions du code pénal néerlandais sur la piraterie datent du XIXème siècle. « Nous sommes face à une forme moderne de piraterie, que quelques experts appellent du terrorisme maritime », a dû expliquer l’avocat néerlandais Jan-Geert Knoops, devant un parterre de parlementaires. « L’acte d’accusation est basé sur le code pénal néerlandais, qui dispose d’une section sur le vol en mer, incluse au XIXème siècle, vous pouvez donc imaginer à quel point il est obsolète », lançait-il.  

Début mai, le groupe de contact international sur la piraterie, établi par les Nations unies, devrait élaborer quelques propositions. L’option adoptée par l’Union européenne pourrait faire école. Début mars, Bruxelles signait un accord avec le Kenya. Cet accord permet aux navires de l’opération Atalante - lancée par Bruxelles début décembre 2008 - de remettre à la justice kenyane les pirates interpellés.

Un procès réunissant dix-huit accusés doit s’ouvrir à Mombasa au mois d’août. « Le traitement des prisonniers dans un Etat tiers préoccupe beaucoup de pays de la coalition. Nous sommes seuls à pouvoir agir dans un cadre juridique », se réjouit-on à l’Union européenne. L’office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) doit présenter bientôt des propositions adaptées à toutes les forces présentes en mer. « Dans l’idéal, les suspects devraient être jugés dans leur pays d’origine ou dans le pays du propriétaire du bateau saisi. Mais le système judiciaire en Somalie est faible, et des pays comme le Libéria, le Panama ou les îles Marshall, où de nombreux bateaux sont enregistrés, pourraient ne pas vouloir traiter de crimes commis à des milliers de milles de chez eux », estime le directeur exécutif de l’ONUDC, Antonio Maria Costa. La coopération entre les Etats aurait fait ses preuves dans le détroit de Malacca, en Asie, et aurait permis de diviser par deux les actes de piraterie.

Des pêcheurs devenus pirates

A Rotterdam, l’avocat d’Osman M.F. compte user d’arguments politiques. « La piraterie est devenue une grande entreprise criminelle. Si nous ne nous attaquons pas aux racines du problème, cela ne changera pas. Je ne vois pas de fin heureuse à cette histoire, à moins que l’Union européenne et les Etats-Unis ne décident de s’attaquer honnêtement au problème du développement ». Maître Raza affirme que son client est un ancien pêcheur devenu pirate après le pillage des eaux somaliennes par les compagnies de pêche occidentales. « C’est un éternel débat, affirme une responsable de l’opération Atalante. Dire que tous les pirates sont des anciens pêcheurs, des victimes. Certes, ce qu’ils invoquent existe. Mais pour l’instant, ce que l’on peut voir, c’est qu’ils sont de plus en plus organisés. Mais les limites ont été franchies ».