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Sri Lanka

La guerre perdue des Tigres

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 18/05/2009 Dernière mise à jour le 18/05/2009 à 17:10 TU

Après 37 ans de conflit, l’armée sri-lankaise a mis fin à la rébellion des Tigres de l’Eelam Tamoul (LTTE). « Tous les combats sont terminés », a annoncé lundi 18 mai 2009, le chef de l'armée de terre, le général Sarath Fonseka. A présent, le pays tout entier est contrôlé par le gouvernement de Colombo. Ce qui n’était pas arrivé depuis 1983. L’armée a aussi annoncé avoir tué Velupillaï Prabhakaran, le fondateur des LTTE et chef charismatique de la rébellion depuis 1976. C’est la « victoire finale » que  Mahinda Rajapakse avait promise à la majorité cinghalaise après son élection à la présidence en 2005.

Des Sri Lankais manifestent leur joie dans les rues de Colombo, le 18 mai 2009.( Photo : Reuters )

Des Sri Lankais manifestent leur joie dans les rues de Colombo, le 18 mai 2009.
( Photo : Reuters )

Voilà plus de trente ans que la majorité cinghalaise rêvait d’écraser la rébellion tamoule. « En finir avec les Tigres, définitivement ! »  Dans un pays majoritairement bouddhiste, l’injonction, devenue mantra, a bien des fois été psalmodiée par le pouvoir en place à Colombo. Dans la capitale sri-lankaise, Mahinda Rajapakse a été le dernier président à promettre la victoire finale. Il sera bientôt célébré comme le héros nationaliste, général conquérant, capable d’aller au bout de la guerre, malgré les pressions internationales.

Le gouvernement n’a pas seulement eu la peau du chef des Tigres, il a aussi anéanti l’ensemble de la direction du mouvement rebelle, laissant peu de moyens à l’ennemi pour se relever. Depuis le début du mois de janvier 2009 et la perte de bastions rebelles comme Kilinochchi ou Mullaïtivu, le rapport de forces était, de toute façon, trop déséquilibré pour que les Tigres puissent se remettre de pareilles défaites.

La mort lente de la rébellion était programmée. La victoire de l’armée sri-lankaise annoncée. Désormais, il n’y a pas un pouce de territoire du Sri Lanka, « l’île resplendissante », qui ne soit contrôlé par les autorités cinghalaises. Si le triomphe soude une nation, la conquête par les armes parachève les ambitions d’une majorité qui a su « victimiser » sa cause pour mieux dominer la minorité tamoule, accrochée à l’image d’un père, chef de guerre impitoyable et fondateur vénéré des Tigres de l’Eelam Tamoul.

Combat à mort

Velupillaï Prabhakaran.( Photo : Reuters )

Velupillaï Prabhakaran.
( Photo : Reuters )

Dans leur lutte à mort avec Velupillaï Prabhakaran, les différents présidents sri-lankais ont dit « faire la guerre pour imposer la paix ». Pourtant, l’exaltation de l’esprit guerrier a mené les partisans de la guerre totale, du côté tamoul comme du côté cinghalais à toujours écarter les initiatives de paix, comme celle soutenue par la Norvège, concrétisée en février 2002 par un cessez-le-feu. Cet arrêt théorique des combats ne s’est jamais matérialisé sur le terrain et l’intérêt des belligérants à poursuivre les affrontements l’a toujours emporté sur l’intérêt général.

Comme dans chaque conflit il y a eu des tournants.
Juillet 1983 : des pogroms anti-tamouls (entre trois et six mille morts) font basculer les rebelles du LTTE dans une guerre séparatiste. L’assassinat du président Ranasinghe Premadasa en mai 1993, la création d’une administration tamoule dans le nord de l’île, la trahison du commandant Karuna en 2004, puis l’arrivée au pouvoir en 2005 d’un président ultranationaliste : ces événements font, à chaque fois, évoluer le conflit. Mais de l’avis de nombreux observateurs, c’est le vote à Colombo, dès 2006 d’un budget militarisé qui transforme un conflit autonomiste en guerre totale. Le gouvernement cinghalais affirme alors sa volonté d’en finir avec « les terroristes tamouls », les redoutés « Tigres et Tigresses noirs », ces combattants qui ont eu recours dans les années 1970 aux attentats suicide. En cette même année 2006, l’Union européenne inscrit les Tigres tamouls sur sa liste noire des organisations soutenant le terrorisme.

A l’Onu, la Chine et la Russie travaillent dur pour que la question sri-lankaise ne vienne pas devant le Conseil de sécurité. Les Nations unies sont incapables de surmonter leurs divergences. Et la guerre au Sri Lanka reste un conflit interne.

Diaspora tamoule impuissante

Pour contrecarrer le jusqu’auboutisme cinghalais, les Tigres tamouls s’appuient sur une diaspora très bien organisée, reposant sur une nébuleuse d’associations encadrées idéologiquement.

A Ottawa, Londres ou Paris, les Tigres peuvent compter sur des centaines de milliers de partisans, réunis comme un seul homme derrière Velupillaï Prabhakaran, symbole de l’unité de leur combat. Ces tamouls de l’étranger dénoncent alors régulièrement « le génocide d’un peuple et d’une culture», sans porter de regard critique sur les méthodes dictatoriales et sanguinaires de leur chef bien-aimé.

Malgré ce soutien politique des communautés tamoules à travers le monde, malgré les millions de dollars, au mieux récoltés, au pire rackettés auprès des leurs, les Tigres n’ont jamais pu véritablement rivaliser avec la puissance de feu de l’armée sri-lankaise.

Cette organisation en armée rebelle, disposant d’une marine, d’une aviation et d’une armée de terre cimentée par une propagande efficace, relayée quotidiennement sur Internet n’a fait que retarder l’inéluctable.

Plus de 70 000 tués

L’épilogue de la guerre ne doit pas faire oublier le calvaire des victimes : trente-sept ans de conflit, plus de 70 000 tués, des attentats suicide par dizaines perpétrés contre les intérêts cinghalais et des centaines de milliers de déplacés.

Le chef de l’Etat sri-lankais, Mahinda Rajapakse annoncera solennellement mardi 19 mai 2009 devant le Parlement la fin des hostilités. Si la guerre conventionnelle est finie, le conflit est-il terminé pour autant ? Sans processus politique inclusif, associant les anciens ennemis et les partis tamouls modérés, les nationalistes cinghalais ne pourront pas tourner, comme cela, la page de la guerre. Et le conflit, disent les experts, continuera. Or, pour le moment, aucune déclaration des responsables sri-lankais ne laisse espérer la possibilité d’un tel processus.

Lire le portrait de Velupillaï Prabhakaran, chef des Tigres tué par l'armée sri-lankaise.