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Etats-Unis/Proche-Orient

Le discours de la méthode Obama

par Monique Mas

Article publié le 04/06/2009 Dernière mise à jour le 05/06/2009 à 07:09 TU

L’islam aussi « fait partie de l’histoire de l’Amérique ». Cela, Barack Obama l’avait dit et répété bien avant d’entrer à la Maison Blanche. Lui-même fils de musulman, il a passé ses premières années dans le premier pays musulman du monde, l’Indonésie. Et si le très chrétien président américain a choisi le Caire plutôt que Jakarta ce 4 juin, pour promouvoir un « Nouveau commencement » entre l’Amérique et le monde musulman, comme l’indique le titre de son discours, c’est parce que les relations entre les Etats-Unis et la composante arabe de l’univers islamique ont tout particulièrement souffert du 11-Septembre. En gage de sa volonté de changement, Barack Obama soutient la revendication d’un Etat palestinien viable et dénonce la poursuite de la colonisation israélienne.

A Khan Younès, une famille palestinienne regarde la retransmission du discours du président Barack Obama au Caire, le 4 juin 2009. (Photo : Reuters)

A Khan Younès, une famille palestinienne regarde la retransmission du discours du président Barack Obama au Caire, le 4 juin 2009.
(Photo : Reuters)

« En tant que président des Etas-Unis », Barack Obama s’engage « à combattre les stéréotypes négatifs sur l’islam ». Il demande aux musulmans de faire eux aussi le ménage dans leurs consciences, soulignant que les Etats-Unis ne sont pas l’empire égoïste décrit par certains, mais qu’ils se veulent source de progrès et de liberté - une liberté confessionnelle imprescriptible notamment, dit-il -  en soulignant que c’est quand même cette Amérique-là qui « a élu président un Barack Hussein Obama ». Pour sa part, il n’hésite pas à en appeler au « Saint Coran » pour valider sa volonté de changement.

Barack Obama s’adresse aux citoyens musulmans autant, sinon plus, qu’à leurs chefs. Bien sûr, il sait que pour eux, le véritable changement politique de l’Amérique, ce n’est pas l’avènement du démocrate Barack Obama mais celui de l’homme métissé qu’il est, celui d’un Barack Hussein Obama qui leur a répété au Caire que sa « conviction est enracinée dans son expérience personnelle », et cela, dans un pays du Sud. Usant avec naturel d’une singularité qui le distingue des politiciens du Nord, Barack Obama cherche à toucher les cœurs autant que les esprits.

« L’Amérique n’est pas en guerre contre l’islam »

Le président américain ne néglige rien, évoquant son intérêt d’historien pour la grandeur d’un islam civilisateur inventeur de l’algèbre ou de la médecine et faisant vibrer sa mémoire des appels du Muezzin de son enfance indonésienne avant de saluer la « quête de paix et de dignité » des musulmans de Chicago où il a été travailleur social. En tant que garant de la « sécurité des citoyens » américains, Barack Obama réaffirme que le danger ne vient pas de l’islam mais des extrémistes. Bref, après Ankara, il réaffirme au Caire que « l’Amérique n’est pas et ne sera jamais en guerre contre l’islam ».

A ceux qui justifierait le 11-Septembre, par haine des Etats-Unis, il répond par avance que les « 3 000 morts étaient des innocents » et qu'ils appartenaient d’ailleurs à toutes sortes de confessions, islam compris. Leur meurtre impose une lutte sans merci contre al-Qaïda, en Afghanistan notamment où les Américains ne sont pas de gaîté de cœur, assure-t-il. D'ailleurs, il n’y a pas de solution purement militaire, explique Obama, mais à défaut de relais politique pour assurer la sécurité en Afghanistan et au Pakistan, il estime nécessaire de maintenir une présence militaire. Pour autant, en Afghanistan comme en Irak, où le retrait militaire américain est programmé, Barack Obama affirme que Washington se voit en « partenaire mais pas en patron ».

Pour un Etat palestinien, contre la colonisation israélienne

Attentif à la nouvelle image américaine qu’il entend projeter sur la scène arabe et musulmane, Obama ne joue pas pour autant les naïfs. « Ce n’est pas un simple discours » qui peut effacer des années « de peur et de défiance » entre Occidentaux et musulmans. Et le président américain promet de joindre les actes à la parole. En attendant, il donne un premier gage en affirmant sans ambages que « la situation pour le peuple palestinien est intolérable », que « l'Amérique ne tournera pas le dos aux aspirations légitimes des Palestiniens à la dignité et à leur propre Etat », et donc que « les Etats-Unis ne reconnaissent pas la légitimité de la poursuite de la colonisation israélienne ».

Barack Obama souligne que les liens entre les Etats-Unis et Israël sont forts et « indestructibles ». Au passage, il fait un sort aux révisionnistes de tout poil qui remettraient en question la réalité de la Shoah. Mais au total, Barack Obama rompt avec la manière américaine habituelle de traiter la question. Il relève par exemple que « pendant plus de soixante ans », les Palestiniens, « musulmans et chrétiens ont enduré des humiliations quotidiennes – petites et grandes – du fait de l’occupation ». Un mot tabou jusqu’ici à la Maison Blanche.

Résoudre un conflit qui fait diversion dans les Etats arabes

Mercredi, Obama avait fait escale à Ryad, dans le royaume pétrolier d’Arabie Saoudite où le roi Abdallah, gardien des lieux saints de l’islam, est aussi le promoteur de l’initiative de paix avec Israël adoptée par la Ligue arabe en 2002. Celle-ci préconise une normalisation avec l’Etat hébreu en échange d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Un projet digne d’intérêt selon le président américain qui recommande le respect de la Feuille de route réactivée à Annapolis en novembre 2007. Pour Obama, il est en tout cas urgent de résoudre un conflit de fait israélo-arabo-iranien qui ne « doit plus servir à faire diversion aux problèmes auxquels sont confrontés les peuples arabes ».

Barack Obama estime que pour la sécurité de tous, il faut que « les aspirations des deux parties soient réalisées dans le cadre de deux Etats, où Israéliens et Palestiniens pourront vivre en paix ». Et pour y parvenir, Obama en appelle à la négociation évoquant la lutte non violente des Noirs américains. « Résister par la violence et le meurtre ne réussit pas », assure-t-il, appelant l’Autorité palestinienne à « développer sa capacité à gouverner » et le Hamas islamiste à « assumer ses responsabilités, à unir les Palestiniens, à reconnaître les accords précédents et à reconnaître le droit à exister d’Israël ».

Surmonter le poids de l'histoire et les différence de moeurs

Vis-à-vis de l’Iran non plus, Barack Obama n’épouse pas la position israélienne. Le danger de prolifération nucléaire est pourtant une préoccupation première pour lui. Mais il ne minimise pas le poids de l’histoire dans les relations bilatérales comme l’indique son allusion au renversement par les Etats-Unis du Premier ministre iranien Mossadegh « démocratiquement élu » pendant la Guerre froide et son évocation de la prise d’otages américains par la Révolution iranienne en 1979. Sur tous les sujets, Barack Obama affirme sa volonté de dialogue, sinon de compromis, indiquant que la grande Amérique aussi peut admettre ses erreurs ou ses incompréhensions.

Pour finir sa très longue adresse d’une heure, Barack Obama balaie le champ des malentendus ou des préjugés qu’il entend lever, sur la démocratie, sur la liberté religieuse, sur le droit des femmes ou sur les questions de société soulevées par les avancées technologiques comme internet. En la matière, il fait passer le droit à l’éducation des filles avant la question du voile et admet le trouble jeté par l’irruption dans les foyers du sexe et de la violence à côté de l’information et de la connaissance.

Dans son discours intitulé un « Nouveau commencement », le président américain annonce des programmes d’échanges culturels, éducatifs et économiques. Mais de fait, l’enjeu principal était de faire valoir une méthode Obama qui vise, d’après lui, à surmonter les différences de mœurs et à refuser l’idée d’un « choc des civilisations » pour se concentrer sur le règlement des véritables problèmes.