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Guinée/Dossier multimedia

Témoignages sur un massacre

par Laurent Correau

Article publié le 18/10/2009 Dernière mise à jour le 20/10/2009 à 06:56 TU

Il y a trois semaines, la junte guinéenne réprimait dans le sang un rassemblement de l’opposition dans le plus grand stade de Conakry. Les condamnations internationales se multiplient depuis. Au moment où le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu’il procédait à un « examen préliminaire » de la situation en Guinée afin de déterminer si des crimes relevant de la compétence de la cour avaient été commis, RFI revient sur ce qui s’est passé dans le stade ce 28 septembre et propose le témoignage de Guinéens frappés, violés, meurtris par la mort d’un proche. A lire et à écouter.

I. Matinée : un chemin difficile vers le stade

Une foule immense est venue manifester ce 28 septembre.(Photo : DR)

Une foule immense est venue manifester ce 28 septembre.
(Photo : DR)

Ce 28 septembre 2009, les membres des forces vives se sont donné rendez-vous dans la matinée chez Jean-Marie Doré, le secrétaire général de l’UPG (Union pour le Progrès de la Guinée) pour finir de régler les détails du rassemblement. Ils arrivent progressivement.

Quand il rejoint les autres leaders, le président de l’UFR (Union des Forces Républicaines) Sidya Touré leur explique qu’il a reçu dans la nuit un appel téléphonique du chef de la junte, Moussa Dadis Camara : « Notre collègue Sidya Touré est arrivé, raconte Mamadou Bah Baadiko, un autre opposant, il nous a dit que le chef de la junte l’avait appelé à 01h00 du matin pour lui demander – et ensuite c’est devenu un ordre – d’empêcher que la manifestation ait lieu ce matin là… avec l’argument que c’était un jour sacré pour tout le pays et qu’il n’appartenait pas à un groupe de se l’approprier. Evidemment, ça n’a même pas porté à discussion, puisque comprenez bien que cette journée se préparait déjà depuis plus de 10 jours. »

Ce sont ensuite les chefs religieux qui tentent d’approcher les responsables des forces vives pour les dissuader d’effectuer cette marche. En vain : « Nous leur avons répondu qu’il n’était pas de notre pouvoir de la reporter, mais qu’ils pouvaient toujours venir pour discuter », ajoute Mamadou Bah Baadiko, qui préside l’UFD (Union des Forces Démocratiques). Vers 10 heures, les dirigeants des forces vives décident de laisser Jean-Marie Doré parlementer avec les chefs religieux, tandis qu’un groupe commence à marcher vers le stade du 28 septembre.

400 mètres plus loin, le groupe est stoppé par un barrage des forces de l’ordre. « Nous avons insisté pour passer, les policiers ont commencé à tirer en l’air pour nous arrêter », raconte Mouctar Diallo, le président des NFD (Nouvelles Forces Démocratiques). Le ministre chargé de la lutte antidrogue et le grand banditisme, le commandant Moussa Tiegboro Camara arrive alors sur les lieux et demande aux manifestants de rentrer chez eux. Refus. Altercations. « Entre-temps, il y a eu un renfort des manifestants qui sont venus de la banlieue, poursuit Mouctar Diallo, et grâce à la pression de ces gens-là, finalement, les policiers ont cédé. Ils sont partis. C’est ainsi donc que nous nous sommes rendus au stade du 28 septembre ». 

La foule envahit le stade. La pelouse. Les gradins. Les vidéos amateurs montrent des milliers de personnes. Les responsables de l’opposition sont installés à la tribune. Jean-Marie Doré, qui vient d’arriver à son tour au stade, traverse avec difficulté la marée humaine pour les rejoindre : « A la fin, je n’ai pas pu accéder à la tribune, dit-il, donc je suis passé derrière l’esplanade du stade et j’ai réussi avec l’appui de quelques jeunes gens costauds à me dégager de la foule et à me mettre dans un coin. C’est pendant qu’on reprenait nos esprits que nous avons vu entrer les bérets rouges par le portail du stade. Ils sont entrés en tirant à l’horizontale ».

La matinée du 28 septembre en son et en images

II. Mi-journée : la descente aux enfers

Des témoins affirment que c’est seulement à l’arrivée des bérets rouges que les tirs dans la foule ont commencé. « Les gendarmes prenaient le téléphone des gens et bastonnaient les gens raconte par exemple un Guinéen… Ils lançaient le gaz lacrymogène. [Mais] les gendarmes n’ont pas tiré, les policiers n’ont pas tiré. C’est quand l’aide de camp même du président est venu, Toumba [le lieutenant Aboubakar Diakité, dit « Toumba »] c’est à ce moment qu’ils ont tiré à bout portant. Ils ne cherchaient pas à tirer en l’air, ils tiraient à bout portant. Ils ont commencé à tirer lorsque les bérets rouges sont venus. Et violer les filles… » Les témoins racontent que les bérets rouges battent les manifestants, les frappent au couteau, tirent sur eux à bout portant, violent les femmes… sous les yeux d’une foule incrédule qui tente de fuir. Plusieurs témoins parlent du lieutenant Aboubakar Diakité, dit « Toumba », l’aide de camp du chef de la junte… Présent sur les lieux. Coordonnant (disent-ils) l’intervention des bérets rouges.

Les leaders politiques assistent au massacre depuis la tribune, sans y croire au début. « Personnellement, explique Sidya Touré de l’UFR (Union des Forces Républicaines) j’ai été frappé par le fait que j’ai vu des gens tomber et pendant près d’une seconde je me suis refusé à admettre qu’il leur arrivait quelque chose. Je me suis même posé la question de savoir : mais pourquoi ils tombent ?  C’est à ce moment-là que j’ai vu, la seconde d’après, quelqu’un tirer… sur eux… et bien sûr qu’à partir de là on s’est dit ‘il se passe quelque chose d’extrêmement dangereux’. »

Les bérets rouges s’approchent de la tribune. Et s’en prennent à leur tour aux opposants. Certains parviennent à s’échapper. D’autres sont appréhendés et battus par les militaires. « Lorsqu’ils sont montés à la tribune nous étions assis paisiblement, on attendait, se souvient François Fall, le président du FUDEC (Front Uni pour la Démocratie et le Changement). On pensait qu’on avait affaire à des gens civilisés qui seraient venus nous arrêter pour nous amener au commissariat… et nous nous sommes vus entre leurs mains. Ils nous ont frappés, molestés. Frappés avec des crosses, ils nous ont frappés avec des gourdins, avec des planches, nous avons été violentés. Tout le monde a été mis à sang ». Il montre la chemise blanche qu’il portait ce jour-là. Une chemise rougie par le sang.

La foule s'échappe du stade à Conakry, le 28 septembre 2009.(Photo : Reuters)

La foule s'échappe du stade à Conakry, le 28 septembre 2009.
(Photo : Reuters)

Dans ce chaos généralisé, Jean-Marie Doré, le secrétaire général de l’UPG (Union pour le Progrès de la Guinée), est lui aussi violemment frappé par des militaires. Il se souvient avoir vu un militaire violer une femme, puis un autre enfoncer le canon de son arme dans le sexe de cette femme. D’autres bérets rouges l’encerclent. On le fait mettre à genoux. Deux hommes sont particulièrement énervés à son sujet : « l’un des deux bérets rouges qui s’acharnaient sur moi a dit ‘toi, on te cherchait depuis longtemps. Tu nous a fait trop de mal. Aujourd’hui je vais te tirer deux balles dans la tête. Son copain dit ‘non, ça serait simple. Il ne faut pas lui tirer deux balles dans la tête, il faut l’égorger’. » Pour Jean-Marie Doré, ces deux hommes appartenaient à l’ULIMO, Le “United Liberation Movement of Liberia for Democracy”, l’un des mouvements qui se sont battus pendant la guerre du Liberia. Un mouvement soutenu à l’époque par la Guinée.

Les militaires frappent et tuent, ils violent également. En plein jour. « Il y a un autre militaire qui avait le cauri sur sa tête, confie une femme âgée. Il m’a pris. Déshabillée. Violée. Il m’a frappée tout mon corps. » Un garçon raconte avoir cherché à fuir et être tombé sur une scène de viol. « Je me suis plongé là où on joue le basket. J’ai ouvert la porte, j’ai vu ça. Ils violaient dans la salle où on joue au basket. J’ai trouvé plus de cinq filles violées là-bas ». Une jeune femme, frappée et insultée, dit avoir vu près d’elle des militaires écarter les pieds d’une femme et introduire dans son sexe un canon de fusil.

L’horreur atteint son comble : « Il y avait deux ou trois militaires, ils ont attrapé une femme là-bas, raconte un jeune qui était au stade ce jour là. Elle était en train de pleurer, pleurer. Ils ont dit ‘comme vous n’êtes pas pour Dadis, on va vous tuer.’ Ils ont fait rentrer le fusil dedans, ils ont fait rentrer même dans son sexe, ils ont tiré. »

Un jeune homme frappé deux fois par les militaires, à la tête et au ventre, restera au milieu des cadavres jusqu’à ce que la Croix Rouge vienne le chercher. « J’ai perdu mon contrôle, raconte-t-il. Je suis tombé. Tous les gens qui restaient à côté de moi étaient décédés. Je suis resté au sol, j’étais couché. Il y avait un corps même qui a été sur moi. La Croix-Rouge, ils sont venus, ils ont enlevé le corps. Après on m’a pris. Quand je me levais, j’ai compté onze corps devant moi. »

28 septembre, mi-journée en son et en images

III. L’après-midi : soigner les coups, cacher les corps

Sortis ensanglantés du stade, les opposants sont transportés jusque la clinique Ambroise Paré. Ils y retrouvent, racontent-ils, un proche du chef de la junte prêt à dégoupiller une grenade pour les empêcher d’être soignés « Ils nous ont traînés jusque dans la rue pour nous embarquer, pour nous amener d’abord dans une clinique, raconte François Fall. Nous étions conduits par le lieutenant Toumba qui est l’aide de camp du chef de l’Etat. Le commandant Tiegboro était présent. Et lorsque nous avons été amenés à la clinique Ambroise Paré pour recevoir les premiers soins puisque tout le monde saignait, alors le neveu du président, Siba [Siba Théodore Kourouma] s’est levé avec une grenade. Il a dit que si on introduisait ces ‘traîtres’ - parce qu’il nous appelait ‘traîtres’ – il allait faire exploser toute la clinique avec la grenade. Sous les yeux de Toumba et de Tiegboro. » Les opposants seront finalement hospitalisés à la clinique Pasteur. Des hommes en uniforme visitent alors certains domiciles à leur recherche… Ces hommes saccagent et pillent les habitations.

Conakry, elle, est traumatisée. Un homme raconte comment il a vu arriver, chez lui, vers 13h00 cinq jeunes filles violées : « C’est du sang qui coulait. C’est du sang qui coulait. Moi ma femme a été obligée de sortir beaucoup de pagnes pour les donner aux filles. Parce qu’elles sont venues nues. Certaines ont passé la nuit chez moi, jusqu’au lendemain et elles sont parties. Elles pleuraient, elles pleuraient. Elles ne pouvaient même pas marcher. Elles disaient qu’elles avaient été violées. Il y a même les bérets rouges qui prenaient le fusil et le rentraient dans leur sexe ».

Ce lundi 28 septembre dans l’après-midi, les corps sont ramassés. Selon plusieurs témoins, certains sont alors enlevés et cachés par des militaires. Une information que confirme l’un d’eux, interrogé par RFI. « Il y a eu tellement de morts, qu'on ne pouvait même pas les compter. J'en ai eu des vertiges, franchement, des vertiges. Il y a eu 160, 180 morts...je ne peux même pas vous dire combien de cadavres. Et je sais que dans la nuit du lundi, ils nous ont dit d’aller récupérer les corps. On en a récupéré quarante-sept, qui ont été enfouis, mais je ne peux vraiment pas vous dire où exactement » 

Après-midi du 28 septembre en son et en images