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09/05/2002
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Des milliers de langues en voie d’extinction
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(MFI) Entre six et sept mille langues sont parlées aujourd’hui dans le monde, dont 30 % se trouvent en Afrique. Près de la moitié pourraient cependant disparaître au cours de ce siècle. Pour l’Unesco, qui vient de publier un Atlas mondial des langues en danger de disparition, la préservation de la diversité linguistique passe notamment par le développement du plurilinguisme.
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L’extinction des langues n’est pas un phénomène nouveau. De tout temps, rappelle Stephen A. Wurm, qui a coordonné l’ouvrage, des invasions, des catastrophes naturelles ou des épidémies, ont rayé des langues de l’histoire. Et si quelques rares exceptions, comme le latin, le grec ancien ou le sanskrit, ont pu être artificiellement conservées, la plupart ont disparu sans laisser de traces dans la mémoire de l’humanité. Depuis environ trois siècles cependant, ce processus connaît une accélération.
Les langues dominantes, imposées par les Etats dans l’éducation, les médias, les administrations, n’ont en effet cessé de gagner du terrain au détriment des langues locales et minoritaires. Ces dernières sont au fil du temps abandonnées par leurs locuteurs eux-mêmes. « Les langues locales perdent leur prestige, constate Dimitri Koundiouba, consultant à la section du Patrimoine immateriel de l’Unesco, leurs locuteurs préfèrent utiliser une autre langue qui leur donne l’espoir de trouver un emploi et un statut social plus élevé ». Le danger qui les guette alors, c’est de ne plus être transmises aux enfants et de s’éteindre doucement avec les dernières personnes qui les maîtrisent encore.
Si des linguistes estiment qu’à l’heure actuelle, au moins dix langues meurent chaque année dans le monde, l’avenir s’annonce encore plus sombre. Sur les quelque 6 800 langues recensées par SIL International (Summer Institut of Linguistics), une organisation qui lutte depuis plus de cinquante ans en faveur des langues les moins connues, on estime qu’environ la moitié sont menacées de disparition dans les cent prochaines années. Et dans les régions à forte densité linguistique, comme par exemple dans le Pacifique ou en Afrique, les taux d’extinction peuvent être plus élevés encore.
Ainsi, le patrimoine linguistique de l’Afrique, l’un des plus riches du monde avec 30 % des langues mondiales (alors que l’Europe n’en compte que 3 %), est aussi l’un des plus menacés. Selon l’Atlas publié par l’Unesco, sur les 1 400 langues, ou plus, parlées sur ce continent, entre 500 et 600 sont en danger et 250 risquent même de disparaître rapidement. Et encore, reconnaissent les auteurs, il ne s’agit là que d’estimations ; la situation linguistique de l’Afrique reste en effet l’une des plus mal connues des spécialistes qui n’ont pu pendant longtemps accéder à des régions entières, en raison de l’insécurité pouvant y régner.
Des locuteurs qui se comptent sur les doigts d’une main
En fait, deux zones d’Afrique apparaissent comme étant les plus affectées par cet appauvrissement linguistique : l’une, à l’est, regroupant cinq pays (le sud du Soudan, l’Ethiopie, l’Ouganda, le Kenya et la Tanzanie), et l’autre, à l’ouest se composant essentiellement du Nigéria et du nord du Cameroun. Ainsi, ce dernier pays pourrait perdre dix-huit de ses langues dans les prochaines décennies selon les auteurs de l’Atlas. Et de son côté, SIL International indique que huit langues camerounaises peuvent d’ores et déjà être considérées comme pratiquement éteintes dans la mesure où elles ne sont plus connues que de rares locuteurs qui ne se comptent, parfois même, que sur les doigts d’une main.
Face à cette évolution inquiétante, des efforts ont été entrepris au cours des dernières années pour consigner ces langues par écrit ou en encourager l’usage. C’est le cas en Afrique, par exemple, avec un projet intitulé Standardisation Elémentaire des Langues Africaines (BASAL) qui travaille à l’élaboration de dictionnaires, ou avec l’Association Nationale des Commissions de Langues Camerounaises (Nacalco) qui soutient des actions d’alphabétisation des adultes dans leur langue maternelle, ou encore du Programme de Recherche Opérationnelle Pour l’Enseignement des Langues Camerounaises (Propelca) s’intéressant pour sa part à l’apprentissage de la lecture par les enfants.
L’école a sans doute un grand rôle à jouer dans la préservation de la diversité linguistique. L’enseignement dans les langues minoritaires, au moins pour une partie du programme, apparaît ainsi, aux yeux des spécialistes, comme un moyen de leur redonner une certaine vitalité. L’Unesco pour sa part préconise même le développement du trilinguisme, en apprenant aux enfants, outre leur langue maternelle, une langue de voisinage et une langue internationale. L’enjeu en tout cas est de taille car, ainsi que le souligne SIL International, « lorsqu’une langue s’éteint, la culture, l’art et l’histoire de ses locuteurs disparaissent avec elle et il devient pratiquement impossible de lui redonner vie ».
Catherine Le Palud
Encadré : Langues en danger en Afrique
(MFI) L’Atlas des langues mondiales en danger de disparition publié par l’Unesco localise 124 langues menacées (en excluant celles considérées comme « potentiellement menacées ») et sélectionne 48 langues éteintes en Afrique. Des chiffres en-deça de la réalité selon les auteurs qui estiment qu’au moins 500 à 600 langues africaines sont concernées. Les langues sont classées par catégories en fonction de leur situation :
- Langues en danger : les plus jeunes locuteurs sont de jeunes adultes. Par exemple : les langues Ahlo et Logba (Togo), Poko (Cameroun), Sarwa (Tchad), Viri (Centrafrique), ou encore Baga, Baga Fore et Binari (Guinée).
- Langues gravement menacées : les plus jeunes locuteurs ont atteint ou dépassé la quarantaine. Par exemple : Arzew et B. Snous (Algérie), Siwa (Egypte), Pana (Burkina Faso), Jeri (Côte d’Ivoire), Nalu (Guinée), Muuke, Duli ou Nagumi (Cameroun).
- Langues moribondes : seuls quelques locuteurs âgés sont encore en vie. Par exemple : Ndai, Bati (Cameroun), Kaande, Fumu (Gabon), Kudu, Camo, Sheni ou Mbaru (Nigéria), Beeke, Li-Ngbee (République Démocratique du Congo), Sogoo ou Omotik (Kenya).
- Langues éteintes : aucun locuteur vivant. Par exemple : Mindari (Guinée), Tonjon (Côte d’Ivoire), Jebel Haraza (Soudan), Zumaya, Mo’e, Gey, Ngong ou encore Isuwu (Cameroun).
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– « Atlas of the World’s Languages in Danger of Disappearing », Unesco Publishing
– http://www.sil.org
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