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01/08/2002
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Femmes de l’ombre : Lucy l’Ethiopienne, la gracile des origines
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(MFI) En 1974, une équipe internationale de chercheurs qui effectue des fouilles en Ethiopie découvre les restes d’un squelette de jeune fille remontant à plus de 3 millions d’années avant l’ère chrétienne. Ils la nomment Lucy. A l’époque, c’est la plus ancienne trace d’hominien jusqu’alors décelée. Depuis, d’autres découvertes ont permis de remonter plus loin encore dans le temps, en particulier avec la mise au jour, au Tchad, d’ossements sur lesquels les paléontologues s’interrogent encore. Toumaï était-il déjà un homme, ou n’est-ce encore qu’un singe de nos lointains cousins ? Jusqu'à ce jour, en tout cas, l’Afrique reste le berceau de l’humanité, même si ce berceau est un peu à roulettes. Et Lucy est la première femme des origines dont on a pu reconstituer le squelette.
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Petite, elle mesure un peu plus de un mètre, « gracile », son squelette le montre, Lucy ne devait pas avoir plus de 18 à 20 ans, lorsqu’elle s’ébrouait dans la savane de la vallée de l’Awash en Ethiopie.
Grâce à une cassure qui s’étend depuis l’Afar jusqu’au lac Nyassa, la terre fait affleurer des fossiles et permet de retrouver les traces d’une vie enfouie sous la terre. Une chance pour les chercheurs que cette vallée du Rift vers laquelle, depuis l’année 1931, et grâce aux découvertes du professeur anglais Louis Leakey, convergent les travaux. Des équipes internationales se succèdent sur ces 2 000 kilomètres de long qui englobent l’Afar, la vallée de l’Omo, les rives du lac Rodolphe et le site d’Olduvaï en Tanzanie. Les conditions de conservation des fossiles y sont exceptionnelles et permettent de reconstituer la vie de ceux qui furent les premiers hominiens, ceux que l’on qualifie d’homo sapiens, à savoir les hommes qui ont la sagesse et acquièrent la science qui leur permet de créer des outils et de les utiliser.
A l’origine, il y eut les grands singes qui se déplaçaient en utilisant leurs quatre membres munis de mains. Et puis un jour, un rameau d’entre eux s’est dressé sur ses pattes arrière et la position debout lui a permis d’utiliser comme outil ses membres avant, désormais libérés.
L’un d’entre eux – était-il plus paresseux ou plus délicat ? – eut l’idée d’utiliser les objets de son environnement pour dégager ses mains des tâches pénibles. Etape décisive, il inventa l’outil. Un autre découvrit le feu. Lentement et au cours des âges, l’évolution des hommes et celle des techniques s’accéléra pour parvenir à atteindre les perfectionnements que nous connaissons aujourd’hui.
Ni singe, ni totalement femme ?
Lucy, dans cette évolution, était au début du parcours. Les découvreurs de la vallée de l’Awash ont pu reconstituer son âge à partir de ses dents de sagesse, sa féminité à partir de son bassin, et son appartenance à la catégorie des Australopithèques graciles, grâce à son squelette bien conservé dans la grande déchirure du Rift africain. Yves Coppens et ses collègues Donald Johnson et Maurice Taïeb, les trois scientifiques de cette équipe internationale envoyée sur le terrain de la recherche, ont été agréablement surpris de retrouver la majeure partie des pièces de ce puzzle humain. A l’époque, ces hommes qui scrutaient le sol à longueur de journée écoutaient la musique des Beatles. Yves Coppens raconte : « Lucy comme celle du ciel, c’était la Lucy in the sky with diamonds des Beatles, dont on avait la cassette et dont le prénom s’est imposé à nous dans le camp pour nommer le petit squelette. » La découverte est datée des années 70.
Ni singe, ni totalement femme ? Lucy vivait dans la savane, au milieu de sa famille, de sa tribu. Il était loin le temps où la forêt recouvrait toutes les terres de la vallée de l’Awash. La sécheresse avait fait périr la plupart des grands arbres, et les habitants de la région avaient dû adapter leur mode de vie à ce nouvel environnement. Lentement, de génération en génération, il leur avait fallu modifier leur alimentation. Maintenant Lucy cherchait les graines, les tubercules et les racines qui, avec les fruits constituaient sa nourriture quotidienne. Pour survivre, ses ancêtres avaient dû faire fonctionner leur cerveau. « Quand il n’y a plus d’arbres, il n’y a plus de singes », dit un proverbe chinois cité par Y. Coppens. Dans la savane, on ne peut se cacher dans les arbres, on ne trouve pas le couvert des feuillages pour servir d’abri. Dès lors, on se redresse sur ses deux pieds arrière et on commence à circuler.
Lucy est bipède, mais elle a encore la souplesse de ses ancêtres, et la force musculaire de ses longs bras lui permet de se hisser sur une branche si besoin est. De là-haut elle peut observer le paysage et l’arrivée des intrus. Les éléphants ne sont pas méchants si l’on n’attaque pas leurs petits. Et ce n’est pas avec ces quelques pierres rendues coupantes par le travail des hommes de la tribu que l’on pourrait venir à bout de ces gros pachydermes. Alors, on ne mange pas beaucoup de viande dans la famille de Lucy. Seulement quelque petits gibiers qui courent dans la savane, parfois un animal blessé qui vient mourir à proximité, mais ce n’est pas le quotidien.
A 20 ans, son corps est usé
Lucy est jeune – elle a environ 20 ans – ce n’est pas la fleur de l’âge pour l’époque. La dureté de la vie, la nécessité de trouver sa subsistance et un environnement hostile ont usé ce corps gracile. Très tôt Lucy a dû quitter son entourage familial pour se chercher un partenaire dans une autre communauté. Pour se protéger, les hommes de cette tribu ont créé un refuge de pierres et de branchages soutenus par des troncs d’arbres. C’est là qu’elle passe la nuit et partage sa cueillette avec sa nouvelle famille d’accueil.
L’eau ne manque pas dans la région. C’est une des raisons de l’installation des ancêtres de Lucy dans cette vallée du fleuve Awash. En ces temps lointains les hommes ne savent pas encore l’utiliser pour irriguer des terres, et même la notion d’agriculture est inconnue. La subsistance par le ramassage des produits de la savane est le seul mode de vie. Saura-t-on jamais si des cérémonies religieuses se déroulaient alors pour rendre la terre favorable ? Les objets de culte trouvés par les chercheurs sont bien postérieurs. Il est possible cependant que les premiers hommes, désarmés devant les forces de la nature, dont ils voyaient la puissance mais dont ils ignoraient les causes, aient tenté de conjurer les malheurs dus au déchaînement des éléments. Trop de vent qui assèche la savane, trop de soleil qui brûle les plantes, trop d’eau parfois. Si les habitants de la vallée de l’Awash ont prié les Dieux, ceux-ci firent en tout cas la sourde oreille : l’Awash gonfla ses eaux jusqu'à déborder dans sa vallée et ses tourbillons recouvrirent d’un torrent de boue le petit corps de la jeune Lucy.
Il fallut plus de trois millions d’années pour que le XXe siècle mette au jour les restes de ces ossements dispersés, et que la légende fasse de Lucy la femme des origines. Mais comme la recherche poursuit son cours, demain peut-être la découverte d’une Africaine encore plus ancienne viendra détrôner Lucy de son auréole d’ancêtre féminin de l’humanité.
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Jacqueline Sorel
(avec la collaboration de Simonne Pierron)
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Pour en savoir davantage : Yves Coppens, Le genou de Lucy, Poches Odile Jacob, 2000.
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