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08/08/2002
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Femmes de l’ombre : Sia Isabéré, la femme sacrifiée
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(MFI) L’histoire d’Isabéré ne relève pas du domaine de la légende mais des mythes restés dans la mémoire collective après la disparition des grands royaumes. Elle touche l’imaginaire des peuples du Sahel et rappelle que religion et royauté sont intimement liées. Une jeune fille sacrifiée pour la prospérité du royaume... un serpent python qui incarne le pouvoir religieux... un guerrier qui ose enfreindre l’interdit et défendre sa fiancée, ces anciens thèmes gardent toujours leur intérêt ; ils ont été récemment repris et modernisés par Dany Kouyaté dans un beau film intitulé Sia ou le rêve du python.
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Nombreux sont les peuples d’Afrique qui situent leur origine dans l’est du continent. Ainsi en est-il des Soninkés et des Sarakolés, que l’on rencontre en Afrique de l’Ouest, en particulier au Mali ou dans les régions avoisinantes. La tradition orale raconte qu’un jeune homme, nommé Dinga, aurait traversé le Sahara d’est en ouest avec une petite troupe de chasseurs et qu’il se seraient fixés dans le sud de la Mauritanie, sans doute dans la région d’Aoudagost. Par la suite, son fils Dyabé, muni des tambours royaux, serait descendu plus au sud et, sur les conseils d’une hyène et d’un vautour, il se serait installé dans un lieu nommé Wagadou, ce qui signifie pays des troupeaux.
De nombreux chercheurs ont tenté de situer l’emplacement de ce royaume et de sa capitale Koumbi Saleh. Le désert a jeté son manteau de dunes sur les lieux, et l’empire de Ghana qui lui a succédé a brouillé les mémoires, tandis que les villes anciennes de Mauritanie, en traçant les routes du commerce qui se développa par la suite ont fini par submerger ce passé lointain.
Reste la légende, et en particulier l’histoire de Sia Isabere, cette jeune fille belle et sage qui vivait en ce temps là et qui fut choisie par le destin pour assurer la prospérité d’un peuple.
Dyabé, arrivé de l’est, aurait-il eu pour origine la région du Nil, comme le laisserait supposer son teint pâle et ses compagnons, le vautour et la hyène ? Toujours est-il que son installation dans le Wagadou fit l’objet d’un contrat avec l’habitant des lieux : le serpent Bida, un python qui logeait alors dans un puits profond et qui, selon certains récits, aurait pu être un demi-frère de Dyabé.
Les exigences du Bida ne se discutaient pas : chaque année, en fin de saison sèche, une jeune fille vierge, vêtue de blanc et montée sur un cheval, blanc également, devait lui être offerte au cours d’une cérémonie rituelle présidée par le roi, le Kaya Magan du Wagadou. Ce qui fut fait chaque année. Le royaume prospérait, et l’on pouvait supposer que le sacrifice offert au serpent était vraiment nécessaire pour faire venir la saison des pluies. L’herbe poussait, les feuilles verdissaient, les oueds se remplissaient et les troupeaux pouvaient se développer en même temps que la richesse des habitants.
Offerte au terrible serpent python
Le choix de la jeune vierge à sacrifier chaque année revenait à une assemblée de féticheurs et de guerriers, réunie autour du Kaya-Magan. Son nom était tenu secret jusqu’au jour prévu pour la cérémonie. Au petit matin, les tambours entraient en jeu et les coeurs frémissaient en les entendant.
Sia Isabéré était de famille noble. Son père faisait partie de l’entourage du roi et la main du conseil n’aurait pas dû s’abattre sur elle pour l’offrir en sacrifice au serpent python. Mais la jeune fille était à la fois belle et sérieuse et pourquoi ne pas penser qu’elle suscitait jalousie et envie parmi les vieux prétendants éconduits, ceux-là même qui la désignèrent comme victime cette année-là ?
« Je dis KAYA MAGAN je suis ! roi de la lune, j’unis la nuit et le jour
Je suis Prince du Nord du Sud, du Soleil-levant Prince et du Soleil-couchant
La plaine ouverte à mille ruts, la matrice où se fondent les métaux précieux ».
Léopold Sédar Senghor : Ethiopiques
Oui, le Kaya Magan, maître tout Puissant de la destinée du Wagadou accepta le sacrifice. Mais, dans son entourage, il y eut un homme à qui le vent porta la nouvelle et qui refusa de voir la beauté et l’innocence précipitées dans la gueule du monstre.
Mamadou, fiancé choisi par la famille de Sia Isabéré, se préparait à payer la dot de sa future épouse. Au cours de ses voyages à travers le Sahara, le jeune homme avait rencontré d’autres peuples, fréquenté des caravanes, acquis d’autres habitudes et, comme son nom l’indique, il était musulman. Le sacrifice coutumier d’une jeune fille lui paraissait d’autant plus barbare qu’il s’agissait cette fois de sa fiancée.
Comme beaucoup de jeunes de l’époque, Mamadou était à la fois berger et guerrier. Il faisait partie d’une classe d’âge qui, dans ses discussions, pouvait remettre en cause les traditions, tout en restant soumis aux lois du royaume. Mamadou était capable de rébellion, et cette fois il décida de refuser la coutume imposée par les anciens.
Terrifiée, elle sanglotait en silence
La nuit qui précéda la cérémonie du sacrifice, des hommes en armes vinrent, au nom du Kaya Magan, se saisir de la jeune fille élue. Sia Isabéré, qui n’avait jusqu’alors rien soupçonné, fut terrifiée. Aux parents, on présenta comme un honneur d’avoir une fille considérée comme la plus belle et la plus sage du clan. Pour compenser sa perte - car la femme est une richesse à la fois comme main d’œuvre et comme mère - ils allaient recevoir, leur dit-on, son poids en or, celui que le Wagadou détient grâce à son serpent protecteur, le Bida. Les parents s’inclinèrent et la jeune fille ne put que sangloter en silence. Elle se sentit seule, abandonnée.
Le jour dit, tandis que l’aube se lève, les tambours royaux se mettent à battre. Les femmes revêtent la future victime des étoffes blanches qui doivent entourer son corps d’adolescente. Sa tête, couverte d’une mousseline fine est cernée d’une couronne de plumes de couleur virginale. Le cheval blanc, qui doit la conduire à l’antre du python piaffe sous la main d’un jeune palefrenier tandis que la foule, à la fois angoissée et délirante, chante les louanges de l’héroïne du jour. Il s’agit bien d’une fête, personne ne doit l’oublier. Un fois la jeune fille livrée au monstre, un grand festin attend les invités qui ne penseront plus au sort de la victime et ne garderont en mémoire que la nécessité du sacrifice et le poids d’or distribué en compensation.
Mamadou s’est tapi dans les herbes hautes. Il a placé ses compagnons d’armes non loin du puits, lieu ultime du sacrifice. Faire, ne serait-ce qu’un léger signe à sa fiancée pour lui donner espoir et lui montrer qu’il est présent, serait pour lui un soulagement, mais il doit se cacher et ne peut manifester son soutien. Il la voit donc, parée des riches étoffes qui auraient dû être celles de son mariage, il observe ses larmes retenues, sa tristesse, et son cœur se déchire. Tandis que la jeune fille descend de cheval et, alors que tous les regards sont tournés vers elle, il rampe près du puits et prépare son épée.
Sia Isabéré est accompagnée par des femmes qui la dirigent vers l’antre du Bida et la laissent seule. Elle attend en silence et ferme les yeux. Que ressent-elle à cette minute même ? Peur ? Sûrement. Révolte ? Peut-être. Fierté d’avoir été choisie pour assurer l’avenir d’un peuple ? On peut en douter. Mais la destinée des femmes est d’être soumise et d’accepter leur sort et Sia s’y conforme. L’angoisse l’étreint.
Mamadou tranche la tête du monstre
Le serpent est sorti du puits, il élève la tête et la tourne en tous sens pour observer sa proie. La foule retient son souffle et, soudain, Mamadou se lève et, d’un grand coup de sabre, tranche la tête de l’animal en plusieurs morceaux qui se répandent au loin. Dans un grand cri de haine le serpent prédit « sept ans de sécheresse » à ce peuple ingrat qui lui doit sa prospérité.
Et c’est à partir de ce jour-là, racontent les anciens, que le Sahara a commencé à se transformer en désert, et que le royaume du Wagadou s’est trouvé supplanté par l’ancien Ghana. Et c’est à partir de cette époque, ajoutent certains, que l’Islam s’est introduit dans la région, à côté des religions traditionnelles. Mamadou en aurait été le symbole. On raconte aussi que les débris du python ont atterri dans le Bambouk et le Bouré, donnant naissance aux mines d’or qui firent la richesse de l’empire de Ghana. Les mythes sont chargés d’histoire, encore faut-il pouvoir les interpréter.(1)
Royaume du Wagadou, Empire du Ghana, puis Empire du Mali, l’histoire de l’Afrique de l’Ouest a conservé le souvenir de la grandeur de ce passé prestigieux. Les temps anciens sont toujours empreints de merveilleux dans la mémoire des peuples. Gageons cependant que peu de jeunes filles, belles et sages, souhaiteraient pour leur part y revenir.
(1) Des chercheurs s’y sont intéressés, notamment Lilyan Kesteloot dans ses nombreux ouvrages publiés à l’IFAN de Dakar.
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Jacqueline Sorel
(avec la collaboration de Simonne Pierron)
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Sources : Tradition orale de Diarra Sylla (colloque SCOA 1975).
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