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16/08/2002
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Femmes de l'ombre : Yennega, l’amazone des Mossi
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(MFI) Les historiens situent mal (entre le XIe et le XVe siècles), l’arrivée des Mossi dans la région de Ouagadougou. La tradition orale, pour sa part, rapporte qu’une femme originaire du Ghana actuel, différent de l’ancien royaume de Ghana situé en Mauritanie, fut à l’origine de ce peuple le plus important du Burkina Faso. Toute légende a un fond de réalité. Avec un peu d’imagination, nous tenterons de le faire surgir en nous appuyant sur les recherches des hommes de terrain.
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Le voyageur qui se rend aujourd’hui au Ghana n’a aucune difficulté à trouver sur la carte la ville de Gambaga. C’est là que commence l’histoire de Yennega dont le nom signifie la mince. Son père, le naba Nedega, exerçait alors son autorité sur les populations environnantes parmi lesquelles des Dagomba et des Mamprousi. Il était fier de sa fille dont la douceur et la grâce s’alliaient à un caractère bien trempé.
Dès son plus jeune âge, l’enfant s’intéressa aux animaux. Elle aimait assister aux naissances, cajoler les petits moutons de case; elle ne craignait pas de se glisser sous les pattes des chèvres et ne s’effrayait même pas de voir un serpent se promener dans sa concession. Sa passion pour les bêtes était connue et c’est à elle que l’on apportait les animaux blessés ou les oiseaux tombés du nid. Yennega, qui tenait son savoir d’une vieille femme de la région, pouvait déployer une patience infinie lorsqu’il s’agissait de mettre des herbes sur les plaies ou de nourrir les petits abandonnés. Son animal préféré, cependant, c’était le cheval, un bel animal au poil luisant et à la crinière drue qui pouvait, des heures durant, galoper dans la brousse et devenir l’ami des hommes.
Mais voilà, les chevaux étaient du domaine des hommes. Eux avaient le droit de monter les beaux coursiers de son père, tandis que les femmes et les jeunes filles de la concession étaient cantonnées aux tâches moins nobles de la vie quotidienne. En allant puiser l’eau de la Volta, en transportant sur sa tête les lourds fagots de bois, en pilant les céréales, Yennega ne pouvait s’empêcher d’envier les garçons de son entourage. Comme elle aurait voulu être à leur place !
Plus tard, ils auraient le droit de participer aux palabres sous le tamarinier du village. Plus tard, ils pourraient guerroyer. Plus tard, ils pourraient s’allonger sur une natte ombrée, tandis que les épouses et filles de la famille s’activeraient autour d’eux. Yennega sentait monter en elle les germes de la rébellion.
Elle avait montré son courage
L’initiation avait été pour elle un cauchemar. Ces vieilles qui étaient venues la chercher. Ce couteau qui avait déchiré son intimité. Ces nuits passées dans l’isolement d’une case et, pour terminer, ces cérémonies rituelles où il fallait, malgré la douleur encore présente, participer aux danses et aux chants. « Tu dois dominer ta peur, lui avait dit sa mère. Tu dois accepter cette souffrance qui a pour but de renforcer ta féminité. Les filles qui n’accepteraient pas la coutume ne pourraient se marier ». Yennega avait serré les dents. Elle avait montré son courage. Sa famille l’avait félicitée; Yennega désormais fera partie du clan des femmes, elle n’appartiendra plus au monde de l’enfance.
Nedega est content de sa fille. Il a bien sûr plusieurs épouses et d’autres descendants, mais Yennega est l’élue de son cœur. Les hommes aiment généralement les enfants qui leur ressemblent et Yennega fait partie de celles-là. Son caractère entier et vif, son intelligence fine, son énergie alliée à sa grâce toute féminine, fait d’elle une jeune fille dont il peut être fier. Yennega joue de tous ses charmes pour obtenir de lui ce qu’elle souhaite : monter enfin un cheval et galoper dans la brousse.
« Les chevaux sont ardents, lui dit son père, et tu risques de tomber. » Yennega ne craint pas les chutes, elle sait les amortir. Ses jambes musclées, encerclant sa monture, lui permettent de tenir longtemps sur le dos de l’animal, en symbiose avec lui, le dirigeant à son gré, lui imposant sa volonté. C’est une sensation de puissance jusqu’alors inconnue. Yennega, qui aime naturellement les animaux, se prend de passion pour ce cheval-là.
Dans la concession, on murmure que le chef a peut-être tort de donner à sa fille autant de liberté. Mais Nedega sourit : « Quel mal y a-t-il à ce qu’une fille se déplace à cheval ? Elle montre des valeurs guerrières que peu de garçons possèdent à ce point dans mon entourage. » Et, de fait, Yennega suit son père dans ses expéditions punitives ou dans ses conquêtes de territoires. Tous deux peuvent caracoler des heures durant sans se lasser. Nedega y trouve tant de plaisir qu’il en arrive à ne plus pouvoir se passer de sa fille.
Le choeur des femmes commence à s’inquiéter : « Yennega a atteint l’âge du mariage. Qui voudra épouser une amazone aussi indépendante ? Il serait temps de s’en soucier. Le chef doit se préoccuper de lui trouver un époux qui, en contrepartie, lui donnera une bonne dot en troupeaux et en nourriture ». Mais Nedega hoche la tête : « Laissez ma fille tranquille, j’ai besoin d’elle ». Et les années passent.
Son père écarte tous les prétendants
Yennega, pourtant, n’est pas ce qu’on appellerait aujourd’hui « un garçon manqué ». Elle a suffisamment de grâce et de féminité pour attirer l’attention des familles et la notoriété de son père en fait un allié souhaitable. Des occasions de mariage ne manquent pas mais, chaque fois, le refus paternel fait échouer le projet. La jeune fille finit par s’en attrister. Elle commence à trouver contraignante la faveur dont elle jouit auprès de Nedega et, comme sa nature ne l’incite pas à la soumission, elle se met à envisager de s’y soustraire.
Son projet met longtemps à mûrir mais, un beau jour, à l’approche de la saison des pluies, Yennega se décide. A la tombée de la nuit, elle quitte sa case, se rend sous l’abri des chevaux, caresse l’encolure de son préféré, un mâle de couleur blanche à la belle crinière flottante et à la solidité éprouvée et, craignant qu’un hennissement ne la trahisse, lui enfourne dans la bouche une gerbe de mil. Ensuite elle saute sur son dos, exerce sur son flanc une pression de jambes, et part au galop en direction du nord.
Toute la nuit la cavalière et sa monture parcourent le trajet qui longe l’un des bras de la Volta. De temps à autre, ils s’arrêtent pour boire l’eau de la rivière et prendre, l’une un fruit, l’autre des herbes, en guise de nourriture. Au petit matin, ils sont épuisés mais ils se sont soustraits à la colère de Nedega. « Un peu de repos nous fera du bien » pense Yennega. Le jour se lève et les activités reprennent dans les quelques villages qu’ils traversent. A la sortie d’un bois, une case isolée semble accueillante. Yennega met pied à terre et demande à l’homme qui en sort la permission de prendre le frais et de rafraîchir son cheval. Le propriétaire des lieux est un jeune chasseur nommé Rialé. Il n’a pas l’habitude de voir une femme cavalière et il croit donner l’hospitalité à un adolescent. Il installe Yennega sous son toit et s’occupe de bouchonner et de faire boire sa monture. Puis, il attend le réveil de son invité.
Yennega se défatigue une grande partie de la journée. Lorsque la nuit tombe, Rialé vient la rejoindre et s’enquiert de ses motifs de voyage. Les deux jeunes gens découvrent alors leurs identité. Yennega est femme, fille de chef, Rialé est un homme, lui-même de descendance princière. Ils sont faits pour s’entendre et, dès lors, ils ne se quitteront plus. La naissance d’un fils - une joie pour eux -couronne leur union. Il le nomment Ouedraogo, ce qui signifie cheval mâle, en hommage au beau coursier blanc qui a favorisé leur rencontre.
« Le vieil homme m’aimait, et je me suis enfuie »
Ouedraogo a vite acquis les qualités de ses deux parents. Intelligence, habileté, courage, il devient un jeune homme dont ses ascendants peuvent s’enorgueillir. Si bien que Yennega, qui n’a pas oublié ses origines, décide de l’envoyer se présenter à sa famille. En prenant de l’âge, elle ressent quelques nostalgies de son enfance à Gambaga, et elle se soucie de son père. « Tu trouveras un vieil homme, dit-elle à son fils. Il m’aimait beaucoup et je me suis enfuie. Tu lui donneras de mes nouvelles, et tu me diras en retour s’il m’a pardonné et s’il t’a bien accueilli ».
Nedega est surpris. Il n’a plus jamais entendu parler de sa fille disparue, et son émotion est grande en voyant Ouedraogo lui apporter de sa part salutations et présents. L’accueil qu’il réserve à ce messager inattendu est chaleureux. Il écoute avec intérêt le récit du voyage de Yennega, de sa rencontre et de son mariage avec Rialé, de la naissance de Ouedraogo. « Tu m’apportes une bien grande consolation à la fin de ma vie, et tu en remercieras ta mère » dit le vieil homme qui organise en l’honneur de son petit fils des festivités nombreuses. Puis, lorsque le fils de Yennega quitte Gambaga pour prendre le chemin du retour, il lui octroie un escorte de guerriers Dagomba qui vont l’accompagner et s’installer par la suite avec lui dans la région des Boussansés.
La tradition rapporte que Ouedraogo et ces guerriers Dagomba furent à l’origine du peuple mossi. Rialé aurait dit en arrivant : « Je suis venu seul dans ce pays, maintenant j’ai une femme et j’aurai beaucoup d’hommes ». Beaucoup d’hommes en bambara se dirait Morho-si ou Mogo-si , Moro signifiant « homme » et si « beaucoup ». Le village fut donc appelé Morosi puis, par déformation, Mossi.
Ces mêmes traditions restent muettes sur les longues années de vie de Yennega. Elles rapportent seulement qu’après la mort de la mère-fondatrice du royaume sa tombe devint l’objet d’une grande vénération et un but de pèlerinage pour les souverains du Mossi. Au décès du Naba de Ouahigouya, on envoyait à Gambaga une des femmes du souverain, et un de ses plus beaux chevaux pour être sacrifiés aux mânes de Yennega. (1) Cela laisse supposer que l’Amazone des Mossis termina son existence dans le lieu même d’où, un beau matin qui précédait la saison des pluies, elle avait pris la fuite avec son cheval blanc pour aller rencontrer son chasseur et y fonder sa dynastie.
(l) Information donnée par Louis Tauxier dans « Le Noir du Yatenga », Larose 1917.
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Jacqueline Sorel
(avec la collaboration de Simonne Pierron)
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Sources : Elliott P.Skinner « Les Mossis de la Haute-Volta » Ed. Internationales, 1972.
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