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22/08/2002
Femmes de l’ombre : Tinubu, la dominante du marché d’Abeokuta

(MFI) Les femmes ont toujours été douées pour le commerce. Dans le Golfe de Guinée, en particulier, elles ont instauré un système économique très performant qui leur permet de gagner beaucoup d’argent grâce à la revente de tissus dans tous les marchés de la région. Les fameuses « Mamas Benz », ou « Nanas benz », qui aujourd’hui possèdent leurs Mercédès, témoignent de leur capacité à effectuer des opérations commerciales en utilisant leurs propres circuits et leurs intermédiaires, le tout reposant sur la confiance. Au milieu du XIXème siècle, l’une d’entre elles participa à la guerre qui opposait à l’époque les Egba du Nigéria et les Dahoméens sous le règne de Ghézo. D’un côté comme de l’autre, les femmes prirent part à la bataille. En voici l’histoire.

Abeokuta, ville des Egba située au Nigéria, entre Lagos et Ibadan, est devenue en ce milieu du XIXème siècle un marché actif. Trente ans après sa création par quelques familles issue du peuple yoruba désireuses d’échapper aux razzias d’esclaves, la masse granitique qui servit de cachette aux arrivants ( Abeokuta signifie « sous le rocher ») a changé d’aspect. Cent cinquante trois villages egba se sont installés à son ombre, sur la rive gauche du fleuve Ogun. Des remparts protègent la cité qui est considérée désormais comme l’une des plus riches de la région. On y commerce les produits de la chasse ou de la culture, on y échange des marchandises manufacturées, venues d’Europe par la mer, on y fond le métal et le bronze. Les artisans egba on gardé le souvenir des techniques pratiquées au royaume d’Oyo et leurs sculptures de pierre, de métal ou de bois sont appréciées en pays yoruba.
Au marché principal, une femme domine par sa prestance, sa richesse et son autorité. Mme Tinubu a fait fortune dans le trafic des esclaves et du tabac et désormais elle fournit des armes, ce qui lui vaut de faire partie des hauts dignitaires et des membres du Conseil des Chefs. Elle est considérée comme la « mère des chasseurs » et porte le titre de Iyalodé. Elle est en quelque sorte la première des femmes de la ville, celle que l’on consulte et que les hommes craignent, car si jamais un inconscient entrait en conflit avec cette personnalité redoutable, il verrait se dresser contre lui tout le clan des épouses et des mères.
Au marché d’Abeokuta, Tinubu possède plusieurs étals dont elle surveille chaque jour les produits. Levée dès l’aube, elle manifeste, par sa présence et son verbe haut, que le marché est avant tout une affaire de femmes. Même si la mère des chasseurs possède des lieutenants qui veillent sur ses intérêts et des guerriers qui lui servent de garde du corps, Tinubu est avant tout une femme d’affaires qui ne laisse à personne le soin de gérer ses finances.
Ainsi a-t-elle eu personnellement des relations commerciales avec son puissant voisin, le roi Ghézo du Dahomey (l). Elle lui a même offert des étoffes d’importation pour ses épouses et des tissages réalisés dans sa concession. Mais, en cette année 1851, l’armée dahoméenne menace Abeokuta et ce n’est plus le moment de faire des gracieusetés aux rois frontaliers. La cité est en danger et les hommes renforcent les défenses des remparts.


Razzias et chasse aux esclaves

Ghézo a des vues sur la ville des Egba. Pour parvenir à ses fins, il a commencé par envoyer quelques troupes effectuer des razzias dans les alentours. Lui-même s’est aventuré pour reconnaître les lieux. Malheureusement, ses adversaires ont surpris la manoeuvre et mis en déroute le roi et ses accompagnateurs. Tous ont dû fuir, abandonnant sur le terrain le siège et le parasol, emblèmes du pouvoir royal. La possession de ces trophées-symboles remplit de fierté les Egba mais, pour le roi du Dahomey, il s’agit là d’un affront intolérable. L’attaque de ses troupes est donc prévisible.
Le royaume du Dahomey est alors l’un des plus importants de la région. Les rois qui se sont succédés sur le trône, en pratiquant vigoureusement la chasse aux esclaves se sont assurés une sorte de monopole du trafic grâce auquel ils ont pu s’offrir les armes à feu les plus performantes de l’époque. Les guerriers de Ghezo font trembler tous leurs voisins et la ville des Egba semble bien fragile devant la menace dahoméenne.
Le 3 mars 1851, Abeokuta est assiégée. Avec leurs uniformes et leurs drapeaux, les régiments dahoméens se sont installés derrière les remparts et s’apprêtent à donner l’assaut. Ghézo a pris soin de rappeler à ses troupes qu’il leur faut venger la prise du parasol et du trône, et que ces insignes royaux doivent regagner le palais royal d’Abomey.
Les Amazones du Dahomey sont en première ligne. A l’origine destinées à la parade et à la garde personnelle du roi, ces femmes-guerrières sont devenues, au fil des ans, l’un des bataillons d’élite de l’armée dahoméenne. Elle sont armées de fusils, de piques et de sabres à la lame effilée. Pour faire le siège d’Abeokuta, six mille d’entre elles ont été mobilisées. Des femmes officiers les encadrent.
C’est bien la première fois que les guerriers egba se trouvent aux prises avec des femmes-soldats dont on dit que, pour oublier leur féminité et tirer à l’arc plus aisément, elles se sont fait couper le sein droit. Tinubu, tout en admirant ces ennemies dont le courage est sans mesure, ne peut que redouter le futur combat. Elle rassemble les femmes du marché et tente, par leur intermédiaire, d’empécher la fuite des familles qui, pour éviter d’éventuels pillages, ont décidé de quitter la ville à la tombée de la nuit. Sa voix porte : « Les femmes d’Abéokuta sauront montrer, face aux guerrières du Dahomey, que les épouses et mères valent bien des femmes aux seins coupés ».


Les amazones se lancent à l’assaut

Les affrontements sont sans pitié. Après avoir franchi des fossés garnis d’épines et de ferrailles, les Amazones passent les remparts et pénètrent dans la cité. Les Egbas sont surpris. Ils ne pensaient pas que les femmes seraient les premières à se lancer à l’assaut. Sous le soleil brûlant, ils se battent au corps à corps, enfoncant leurs armes dans la chair féminine. Les coups pleuvent de tous côtés et les corps commencent à joncher le sol. L’armée dahoméenne continue de pénétrer dans la brèche et la bataille devient de plus en plus destructrice. Tinubu a mobilisé toutes les bonnes volontés pour porter à boire aux combattants et soutenir le moral des troupes. Des cordons de femmes ravitaillent en eau, en poudre et en vivres ceux qui se battent pour leur sauvegarde. Elles anticipent ce qui, sur les champs de bataille européens, sera plus tard dévolu aux infirmières et aux cantinières. Tinubu circule sans crainte pour porter aux blessés soins et secours. Elle met de la pâte de maïs dans leur bouche et verse la calebasse d’eau sur leurs lèvres. Les maris, les pères, les fils, vont peut-être mourir mais ils seront aidés dans leurs derniers moments. Les combattants puisent leur énergie dans les encouragements de leurs compagnes, dont certaines se sont même armées de coupe-coupe pour repousser, à leurs côtés, les envahisseurs.
Dure bataille que celle d’Abeokuta ! Les Dahoméens y perdent une partie de leurs effectifs et sont obligés de se retirer. La nuit arrête les combats et les Egbas n’ont plus qu’à ramasser et enterrer tous les morts. Les femmes du marché ont montré leur efficacité et acquis du prestige. Désormais on devra s’entendre avec elles pour gérer la cité.
Tinubu l’Iyalodé est un personnage symbolique de toute une race de femmes de caractère que l’on rencontre en Afrique, en particulier parmi les revendeuses des marchés du Togo, du Bénin et du Nigéria. Elles sont capables de mener à bien leurs affaires commerciales, de veiller sur les intérêts de leurs familles et, pourquoi pas, ceux de leur pays.


Jacqueline Sorel

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Sources : Ibrahima Baba Kaké, « Journal de l’Afrique » T.2. Ed AMI, 1989.


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