accueilradio  actualités  musique  langue française  presse  pro
radio
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Santé Liste des articles

27/05/2005
Pr Luc Montagnier : « Sida : à tous les stades, la nutrition est essentielle » (I)

(MFI) Sans une alimentation saine, non carencée, le système immunitaire n’est pas en mesure de jouer son rôle de défense de l’organisme : co-découvreur du virus, président de la Fondation mondiale recherche et prévention sida (associée à l’Unesco), le Pr Montagnier insiste sur l’importance de ce facteur-clé dans une stratégie globale de lutte. Et cela, aussi bien pour résister à l’infection qu’en cas de séropositivité, ou encore de sida déclaré.

MFI : Lors du récent Congrès interprofessionnel des médecines préventives, vous avez déclaré : « La nutrition est importante pour remonter le système immunitaire en cas de sida, notamment en Afrique… » Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la nutrition à propos du sida ?
Luc Montagnier :
Il faut bien voir que dans le sida il y a deux adversaires, le virus et l’hôte infecté. On a surtout attaqué le virus par des médicaments, ce qui est bien, mais on n’a pas tellement pensé à restaurer le système immunitaire de la personne infectée. Bien sûr le sida a une stratégie particulière pour inhiber ce système – raison de plus d’ailleurs pour le renforcer ! – mais je pense aussi à tous ceux qui ne sont pas encore infectés. On s’aperçoit que dans les pays en développement, notamment en Afrique, beaucoup de personnes n’ont pas un bon système immunitaire, cela pour différentes raisons dont l’exposition aux infections et la malnutrition. Le paludisme, la tuberculose, les parasitoses intestinales sont immunodéprimantes, et une personne déjà affaiblie va être contaminée plus facilement par le virus. Quant au déséquilibre nutritionnel, il peut être lié à certaines coutumes, mais on le constate souvent dans les périphéries pauvres des villes où il est en partie dû à une alimentation industrielle de qualité appauvrie. Ce déséquilibre est, aussi, cause d’immunodépression.

MFI : Quelles sont les principales carences identifiées ?
L. M. :
On s’est aperçu que beaucoup de personnes présentent les symptômes d’un stress oxydant. De quoi s’agit-il ? D’un déséquilibre biochimique entre d’une part les antioxydants (que notre corps fabrique mais aussi que l’on ingère par l’alimentation), et d’autre part la présence d’agents producteurs de radicaux libres, agressifs pour notre organisme. Et même chez des personnes non infectées on a constaté cet état, à mon avis assez répandu. Il faut savoir aussi que plus l’agriculture moderne se développe, plus on utilise des pesticides et des herbicides : or les plantes, principale source extérieure d’antioxydants, en fabriquent moins dans ce cas. Quant aux sources intérieures, elles sont vite taries du fait des infections intercurrentes, qui entraînent une consommation trop importante d’antioxydants, donc il y a carence. Beaucoup de médecins négligent ce stress oxydant par manque de formation. C’est à mon avis une grosse lacune.

MFI : En consultant les documents de la FAO par exemple, on constate de grandes carences en nutriments essentiels : protéines, iode, vit.A, zinc aussi, dont le rôle est important pour l’immunité…
L. M. :
Oui, il y a un besoin de microéléments comme le zinc ou le sélénium. Le sélénium, par exemple, dépend de l’eau que l’on boit, et des sols, et en Afrique les sols sont souvent pauvres en sélénium.

MFI : Comment se recharger ? En consommant d’abord des légumes et des fruits?
L. M. :
Oui, des légumes et des fruits frais surtout : ils ne doivent pas être conservés trop longtemps au frigidaire car ils perdent certaines de leurs vitamines, donc la vitamine C. Ces sources sont très abondantes en Afrique quand il n’y a pas de problèmes de transport ou de coût. N’oublions pas non plus les antioxydants présents dans les lipides, l’huile de palme rouge non raffinée, par exemple, qui en contient beaucoup, à commencer par le bétacarotène ; cela peut aider - si cette huile, naturellement, n’est pas chauffée. De même, une certaine quantité de viandes pour les protéines et le fer, bref un régime vraiment équilibré. Il faudrait réaliser une étude épidémiologique, notamment sur la situation de stress oxydant des populations, pour essayer d’abord de le corriger par l’alimentation locale - il ne s’agit pas d’importer des produits. Ensuite, on pourrait ajouter des compléments alimentaires.

MFI : N’y a-t-il pas aussi des carences dues à la consommation de riz poli, au raffinage des céréales qui induisent des manques en vitamines B par exemple ?
L. M. :
Tout à fait, plus les céréales sont raffinées, moins elles contiennent certaines vitamines et moins elles constituent un apport équilibré. Le mieux, ou ce qu’on a cru le mieux, est ici l’ennemi du bien…

MFI : La FAO a publié un manuel de recommandations nutritionnelles à l’intention des porteurs du virus VIH (1). Pensez-vous que le fait de les suivre pourrait réduire aussi la vulnérabilité à l’infection ?
L. M. :
Certainement. Ce manuel est très bien fait. Et, au-delà donc de la prévention - c’est-à-dire d’un bon système immunitaire et d’une bonne nutrition – pour éviter l’infection. Puis, quand quelqu’un est infecté et que le virus continue à déprimer l’immunité, il devient encore plus nécessaire d’avoir une bonne alimentation car il y a une lutte : toutes les infections, d’ailleurs, font consommer davantage de vitamines, de protéines, etc. Il y a besoin de compenser par un apport supplémentaire. Ceci peut ralentir l’évolution vers le sida.

MFI : Y a-t-il des études qui le montrent ?
L. M. :
Oui, notamment avec les vitamines A et E ; avec les vitamines du groupe B selon une étude faite en Tanzanie. Des études tout à fait encourageantes. Ces apports nutritionnels peuvent se faire dès le début de l’infection. Il faut bien voir que les médicaments antirétroviraux ne s’adressent qu’à des personnes très immunodéprimées, moins de 200 CD4 par microlitre de sang, et une charge virale de plus de 50 000 copies d’ARN viral par millilitre de plasma, et si vous n’êtes pas dans ces critères, vous n’êtes pas traité. La tendance des médecins est d’attendre, de façon à garder des armes pour les moments les plus critiques, par conséquent 90 % des personnes infectées ne sont pas éligibles, comme on dit, au traitement. Et qu’est-ce qu’on leur donne ? Rien ! Il y a là un vide à combler, on doit conseiller ces personnes sur des nutritions appropriées, des compléments qui vont probablement ralentir l’évolution vers le moment où il faudra utiliser les médicaments, qui coûtent cher et qui ont des effets secondaires. On fait une fixation sur les antirétroviraux parce que ça permet des gestes spectaculaires : « Voyez, on aide les Africains !, on donne de l’argent ! », etc., alors que beaucoup pourrait être fait, moins spectaculaire, des conseils, un suivi médical une fois par an, permettant probablement de vivre avec le virus sans trop en souffrir. Quant aux vaccins thérapeutiques, ils ne peuvent marcher que si la personne a un système immunitaire assez fort pour répondre au vaccin qu’on lui injecte. Là encore, il y a besoin de penser nutrition et compléments alimentaires.

MFI : Le Dr Peter Piot, directeur exécutif de l’Onusida a pourtant déclaré en décembre 2004 : « Les personnes vivant avec le VIH ont besoin de services complets, allant du dépistage et du conseil au soutien nutritionnel. »
L. M. :
Il a tout à fait raison de promouvoir cela, mais il faut que ça se traduise dans les faits.

(A suivre)



retour

Qui sommes nous ?

Nos engagements

Les Filiales

RMC Moyen Orient

Radio Paris-Lisbonne

Delta RFI

RFI Sofia