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28/06/2001

Sida : «Il faut être réaliste, cela va durer encore des générations»

Daniel Vangroenweghe est l’auteur d’un ouvrage intitulé Sida et sexualité en Afrique*. Anthropologue et ethnologue, il a vécu deux ans parmi les Pygmées en Afrique centrale. Dans son livre, il analyse avec précision mais sans jugement de valeur les pratiques sexuelles sur le continent. Il met en avant à la fois la dimension historique de la propagation du sida et la dimension culturelle inhérente aux comportements sexuels. Daniel Vangroenweghe consacre aussi un chapitre à l’homosexualité, un phénomène tabou, dont l’existence est même souvent niée par les autorités et qui pourtant existe bel et bien dans les pays africains.

RFI : Est-ce qu’il y a des pratiques sexuelles spécifiques qui favorisent en Afrique plus qu’ailleurs la contamination ?

D. V. : Je crois que oui. Mais il faut en même temps dire que l’une des grandes causes c’est la pauvreté. Beaucoup de gens ne peuvent pas se marier avant 25 ou 30 ans, il faut donc remplir la sexualité entre 14 et 30 ans. Chaque Africain croit qu’un homme qui ne pratique pas la sexualité au moins deux fois par semaine n’est pas en bonne santé. Pendant l’abstinence post-partum qui peut aller, suivant les régions, de trois mois à deux ans, un mari a droit à des relations extraconjugales. Cela développe le recours à la prostitution. De même que le fait qu’en Afrique plus qu’ailleurs, il y a de nombreux couples qui ne vivent pas sous le même toit. Au Zimbabwe par exemple, entre 30 et 60 % des maris sont absents pendant des mois. Ils sont dans les plantations, dans les mines… L’homosexualité en Afrique est différente de celle que l’on trouve en Europe. Il y a, par exemple, une homosexualité avec des jeunes dont le but est d’obtenir une réussite dans le commerce… Il y a aussi des coutumes très particulières à l’Afrique, par exemple, le dry sex c’est-à-dire la préférence d’un certain nombre de femmes et d’hommes d’avoir un vagin sec et étroit, ce qui occasionne de petites meurtrissures et qui augmente la perméabilité au virus.

RFI : Y a-t-il eu des changements de comportements des populations en rapport avec le sida ces dernières années ?

D. V. : Il y a eu, en effet, des changements spectaculaires dans certaines coutumes traditionnelles qui ont un rapport avec le sida. Dans certains groupes, par exemple, l’héritier légitime doit avoir un coït avec la veuve afin de la purifier et d’écarter la mort. Cette coutume a quasiment disparu en dix ans. Mais beaucoup de changements sociaux n’ont rien à voir avec le sida. L’Afrique est le continent le moins urbanisé du monde mais c’est celui qui s’urbanise le plus vite. Cela implique beaucoup de changements.

RFI : Les femmes sont-elles le pivot de la lutte contre le sida en Afrique ?

D.V. : En effet, les femmes sont l’un des grands pivots de la lutte contre le sida. Mais il faudra des générations en Afrique pour que la femme ait une place dans des sociétés très masculines. L’information doit donc être ciblée sur les femmes mais aussi sur les hommes. Beaucoup d’éducation devrait être donnée aux deux conjoints simultanément.

RFI : Quels autres acteurs dans la société civile peuvent jouer un rôle pour modifier les comportements ?

D.V. : L’un des relais, ce sont les autorités dites traditionnelles qui ont un certain impact dans de petits groupuscules, des souscultures, ces gens qui ont un pouvoir politique dans le sens large du mot, d’un quartier, d’un village. Mais aussi les directeurs de plantations car ils travaillent avec des milliers de personnes. Certains d’entre eux donnent des préservatifs avec le salaire. Mais il ne faut pas seulement donner des préservatifs, il faut aussi donner une certaine éducation…

RFI : Est-ce que la propagation dramatique du sida en Afrique n’est pas en grande partie due aux lacunes des politiques des Etats dans le domaine de la prévention, de l’information ?

D.V. : Les politiciens, dans la plupart des pays africains, ne font absolument pas ce qu’il faudrait faire. Ils nient le problème, n’en parlent pratiquement pas. Le rôle des Etats est pourtant très important car les parents africains n’ont pas l’habitude de donner une éducation sexuelle. Leurs connaissances biologiques sont d’ailleurs le plus souvent peu précises. Dans l’ensemble, les parents sont contre l’éducation sexuelle car ils pensent que lorsque l’on parle de la pilule, du préservatif, on stimule la sexualité. Ils croient que leur fille n’a pas de rapports sexuels avant quinze alors que dans certaines régions comme au Nord du Nigeria, une jeune fille sur trois a déjà un enfant à quatorze ans.

RFI : Quels sont les Etats qui se sont le plus impliqués dans la lutte contre le sida et comment ?

D. V. : Il y a quelques Etats qui ont mené des politiques plus dynamiques contre le sida comme l’Ouganda et le Sénégal. La séropositivité en Ouganda était tellement haute que l’on a, grâce des aides internationales mais aussi à des efforts nationaux, mené dans les villes des politiques de prévention, avec notamment des distributions de préservatifs. Et cela a porté ses fruits. Pas des fruits miraculeux car lorsque l’on a des millions de séropositifs, on ne peut pas stopper l’épidémie. Elle va continuer à progresser.

RFI : Quel est l’impact des campagnes de prévention menées en Afrique par les organisations internationales ?

D.V. : Dans beaucoup de villes, il y a des ventes dans les kiosques de bière ou d’autres points de diffusion à un prix bas subventionné par des sociétés internationales de préservatifs. Mais comme 40 % des Africains habitent à la campagne, ils n’ont pas accès à cela. Et 40 % des femmes qui habitent à la campagne ne savent ni lire ni écrire. Le sida est une maladie éloignée de leurs préoccupations, c’est ça la malignité du sida car les femmes doivent se préoccuper d’abord d’avoir de quoi manger et pas d’une maladie qui, dans dix ans, peut les faire mourir. Le virus Ebola qui en deux jours donne de la fièvre et tue en quatre jours, n’a pas le temps de se diffuser. Mais le sida ne provoque pas des symptômes de ce type, c’est un meurtrier silencieux.

RFI : Les pays africains peuvent-ils s’en sortir seuls ?

D.V. : Non. On peut acheter les médicaments génériques en Inde ou au Brésil, trente fois moins chers qu’en Europe, mais dans un pays comme l’Afrique du Sud, qui compte déjà quatre millions de personnes contaminées, cela reviendra à 10 milliards de francs par an. Rien que pour les médicaments génériques, on doit investir en moyenne 50 % du revenu mensuel. Ce qui est insensé. En plus, il faut des contrôles. Il faut prendre ces médicaments à intervalles réguliers, plusieurs fois par jour.


RFI : Quelle est la meilleure solution pour lutter contre le sida en Afrique ?


D.V. : Il faut faire un effort auprès des jeunes à partir de neuf ou dix ans concernant la relation homme-femme, l’éducation sexuelle, les dangers, les préservatifs. En espérant que la moitié des jeunes puissent réaliser qu’il faut faire quelque chose quand ils ont quinze ans et qu’ils ont des rapports sexuels. Alors là, je crois qu’à long terme, dans quelques décennies, il y aura quand même un progrès. Mais il faut être réaliste, cela va durer encore des générations.

*Sida et sexualité en Afrique, Daniel Vangroenweghe, ed. EPO, Anvers, 479 p, 2000
email : editions@epo.be.

Propos recueillis par Valérie Gas





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