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Santé

Le travail peut rendre malade et même tuer

par Dominique Raizon

Article publié le 01/05/2007 Dernière mise à jour le 01/05/2007 à 18:18 TU

Des salariés manifestent début 2007 à Paris pour la reconnaissance de la pénibilité de leur travail et la négociation d'une retraite anticipée liée au risque amiante.(Photo: AFP)

Des salariés manifestent début 2007 à Paris pour la reconnaissance de la pénibilité de leur travail et la négociation d'une retraite anticipée liée au risque amiante.
(Photo: AFP)

Les chiffres rapportés par l’Organisation internationale du travail (OIT) et le Bureau international du travail (BIT) sont éloquents : quelque 2,2 millions de personnes meurent chaque année, dans le monde, de maladies ou d’accidents liés au travail. Lors de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité, célébrée dimanche dernier, le BIT a lancé un nouvel appel en faveur du respect des normes de travail, instrument primordial pour lutter contre les accidents du travail et les maladies professionnelles (ATMP).

Chaque année, dans le monde, deux cent soixante-dix millions de travailleurs sont blessés et trois cent-cinquante mille meurent dans des accidents. A ces accidents, blessures et décès, s’ajoutent cent soixante millions de personnes victimes de maladies professionnelles, dont plus d’un million et demi meurent chaque année. En France, selon les chiffres officiels de la sécurité sociale, le nombre de victimes de pathologies professionnelles a triplé ces dernières années, passant de plus de quinze mille en 1997 à quelque quarante-cinq mille en 2003.

En 2005, toujours en France, quatre cent quatre-vingt-deux personnes sont décédées à la suite d’un accident du travail et la branche Accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP) de la Caisse nationale d’assurance - maladie (Cnav) a dû indemniser près d’un million et demi d’accidents, dont environ la moitié ont nécessité un arrêt de travail.

Selon l’OMS, «la majorité des cancers mortels surviennent dans les pays développés car ils sont le résultat de l’utilisation très répandue de substances toxiques». Amiante, pesticides, produits chimiques et toxiques inhalés comme la béta-naphthylamine utilisée dans la fabrication de colorants ou bien encore le benzène : un Français sur quatre a été exposé à des agents cancérigènes dans son univers professionnel sur les quatre dernières années. Des produits qui sont à l’origine d’environ 20 000 nouveaux cas de cancer et de plus de 15 000 décès par an.

Or, qu’il s’agisse des accidents dans les métiers liés au transport, au bâtiment et à l’agriculture ou qu’il s’agisse des métiers liés à la vie de bureau en entreprise, ou au rendement en usine, dans tous les milieux professionnels et dans tous les pays, «l’expérience montre que la plupart des accidents pourraient être évités. Des pratiques de prévention rigoureuses doivent être systématiquement mises en place par les gouvernements, les employeurs et les travailleurs au niveau national et au sein des entreprises», martèle la nouvelle directrice du Programme santé au travail du BIT, Sameera Maziadi al Tuwaijri. «Les niveaux d'exposition aux cancers professionnels sont les plus élevés parmi les travailleurs dont les lieux de travail (…) ne disposent pas des infrastructures techniques permettant de prévenir la pollution de l'air par des substances cancérigènes», insiste l’OMS.

«De plus en plus de patients en état d’épuisement professionnel»

Autre fléau, le stress, qui peut inciter la personne à attenter à sa vie. Depuis quelques années, l’OIT relève en France et à l’étranger de nouveaux facteurs de dégradation de la santé des travailleurs. Regroupés sous le terme générique de «risques psycho-sociaux», ils sont souvent liés au harcèlement, à la pression de l’entreprise et à la précarité de l’emploi. Selon l’OMS, la France est le troisième pays, derrière l’Ukraine et les Etats-Unis, où les dépressions liées au travail sont les plus nombreuses, souligne l’Union nationale des cliniques psychiatres privées (l’UNC-psy ). Selon Olivier Drevon, médecin psychiatre et vice-président de l’UNC-psy, «la prévention de la santé mentale au travail est encore balbutiante». Globalement, selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), depuis près de 15 ans, on enregistre en France plus de décès par suicide que par accident de la circulation. Trois cents à quatre cents personnes mettraient fin à leurs jours, chaque année, pour des raisons liées au travail. «De plus en plus de patients sont en état d’épuisement professionnel», déclare Olivier Drevon.

En France, les trois suicides survenus en quatre mois, depuis le début de l’année 2007, dans l’usine automobile Renault à Guyancourt (Yvelines), ceux de quatre agents, en deux ans, à la centrale EDF de Chinon, et celui, plus récent, d’un ouvrier de Peugeot-Citroën sur son lieu de travail à Mulhouse (Haut-Rhin), ne sont pas des cas isolés. Les suicides liés au travail  toucheraient particulièrement les hommes de plus de quarante ans et les cadres. Violences diverses, usage de psychotropes ou d’alcool, absentéisme, turn-over important du personnel dans une entreprise, mal-être ambiant et saisies des tribunaux professionnels, les prud’hommes, sont autant de signes d’«une situation de travail très dégradée qui demande une réponse d’urgence», souligne Dominique Chouanière, médecin épidémiologiste et chef du projet Stress au travail à l’Institut national de recherche et sécurité (INRS).

«Le phénomène existe depuis longtemps. Avant les médias en parlaient moins, mais nous avions déjà ce type d’information, évoquant des cas de suicides répétitifs au sein d’entreprises», souligne Dominique Chouanière. Les professions où l'employé affronte la violence -voire la mort- telles que celles d’enseignant, psychiatre, médecin urgentiste, pompier, gardien de prison ou policier sont considérées comme exposées ou à risques. Christian Larose, président CGT de la section du travail du Conseil économique et social (CES) dénonce un phénomène en nette progression, lié au stress et à la précarité de l’emploi, et il appelle à «un renforcement de l’inspection du travail».

A l’échelle mondiale, selon le rapport du BIT publié vendredi dernier à Genève, la perte pour l’économie mondiale causée par les accidents du travail et les maladies professionnelles atteint environ 4% du PIB, soit «vingt fois plus que le montant consolidé de l’aide publique au développement».