par Dominique Raizon
Article publié le 29/10/2007 Dernière mise à jour le 29/10/2007 à 13:30 TU
Le mot même « alphabet » désigne les deux premières lettres de l’alphabet grec, alpha et bêta. Par l’intermédiaire des Etrusques, cet alphabet « grec » passera aux Romains qui l’aménageront à leur tour, façonnant ainsi notre actuel alphabet latin, que les Européens répandront dans le monde entier, tandis que l’alphabet grec inspirera directement l’alphabet cyrillique donc russe. Toutefois, si les Grecs ont augmenté et complété l’ensemble des symboles, ils n’ont pas le privilège de l’invention.
Rendons donc aux Phéniciens ce qui appartient aux Phéniciens puisque les historiens du langage s’accordent à reconnaître que ces derniers sont véritablement à l’origine des deux rameaux du mode d’écriture alphabétique, d’Orient et d’Occident. Toutefois, le son ne s’est pas fait lettre en un jour. L’histoire de l’alphabet est celle d’une longue et subtile évolution. A quand remonte les plus anciennes traces de cette écriture ?
Directeur de recherche émérite au CNRS-Collège de France
« Les plus anciennes traces d'alphabet ont été retrouvées en Egypte dans la péninsule du Sinaï. »
Seules dix lettres sur 22 sont connues, constituant l’initiale d’un mot qu’elles désignent. On espère que l’étude des textes du deuxième millénaire, trouvés à Ougarit apporteront l’explication des autres lettres. Apparemment ces lettres ressemblent aux hiéroglyphes égyptiens, y sont-elles apparentées ? Quelle est la signification de ces symboles ? Qu’est-ce qui distingue fondamentalement ce mode de représentation de la pensée, des systèmes employés jusqu’alors ?
« L'aspect extérieur de ces lettres sémitiques rappelle les hiéroglyphes égyptiens mais c'est une ressemblance purement formelle. »
L’écriture alphabétique, contrairement aux idéogrammes chinois (lesquels renvoient à une idée ou une notion), repose sur une suite de sons et suppose donc une analyse poussée de la langue. Les sons du langage sont découpés en phonèmes simples, au-delà de la syllabe, et leur transposition complexe se fait par le jeu de combinaisons associant consonnes et syllabes.
« Les langues sémitiques se caractérisent par la prédominance des consonnes sur les voyelles. »
Cette écriture phénicienne emploie un nombre réduit de 22 signes et, de ce fait, le système était facile à acquérir et à mémoriser. Pratique pour communiquer, commercer et échanger, l’écriture phénicienne se répandra au Proche-orient et en Méditerranée au rythme du passage des marchands phéniciens.
En Méditerranée occidentale, « dès le 9e siècle avant JC, à Chypre et à Alep, dès le 8e siècle en Anatolie et en Sardaigne, puis en Mésopotamie, en Grèce, en Italie, en Espagne, en Egypte, des inscriptions sont gravées en phénicien, expliquent Françoise Briquel-Chatonnet et Eric Gubel auteurs de La Phénicie, aux origines du Liban (éditions Découvertes Gallimard). Mais c’est surtout à Carthage que l’écriture phénicienne, appelée là ‘punique’ (1), s’est développée, au point que les inscriptions de cette ancienne colonie tyrienne [Phéniciens originaires de la ville de Tyr] forment la majorité des inscriptions phéniciennes que nous connaissons ».
A partir du 10e siècle avant JC en Orient, l’alphabet phénicien est repris par les peuples voisins de la Phénicie. Araméens (2), Hébreux, peuples de Transjordanie font « peu à peu évoluer cet alphabet, de telle sorte qu’u 8e siècle, il présente des formes locales bien distinctes.»
« Ce qui est extraordinaire avec l'alphabet phénicien, c'est qu'il est l'ancêtre de nos alphabets. »
Le système adopté par la suite dans les civilisations occidentales sera le moteur de la large diffusion de l’usage de l’écriture et de la lecture que l’on appelle précisément l’alphabétisation.
(1) Langue punique : le phénicien parlé à Carthage (Tunisie)
Guerres puniques : les trois guerres menées par Rome contre Carthage
(2) Araméens : peuple sémite installé au 13e s. en Mésopotamie du Nord, et répandu ensuite en Syrie et au Liban.
Pour en savoir plus :
Hors-série de Science et Vie, (2002.06.01)
Trois ouvrages :
* Les Phéniciens. Aux origines du Liban (éditions Découvertes/Gallimard),F.Briquel Chatonnet et Eric Gubel
* Les Phéniciens (édition L’Univers des formes/Gallimard), de Sabatino Moscati
* Catalogue de l’exposition La Méditerranée des Phéniciens : de Tyr à carthage, (publié chez Somogy, dirigé par Elizabeth Fontan et Hélène le Meaux).
27/10/2007 à 23:05 TU