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Peuple autochtone

Le protestantisme syncrétique des Sâmes

par Dominique Raizon

Article publié le 08/01/2008 Dernière mise à jour le 15/01/2008 à 17:01 TU

Pierre sacrée.© John-Erling Utsi / Sametinget

Pierre sacrée.
© John-Erling Utsi / Sametinget

Harmonie avec soi-même et ses ancêtres, harmonie avec l’environnement naturel : c’est sur ces bases que reposaient les croyances de la société sâme archaïque et traditionnelle. Colonisée dès le 16e siècle, christianisée et religieusement acculturée, cette société a su néanmoins composer avec les dogmes chrétiens et s’aménager une religion spécifique et originale.

Un Noai'di (chaman) sâme avec son tambour magique.(Gravure: domaine public)

Un Noai'di (chaman) sâme avec son tambour magique.
(Gravure: domaine public)

Pour la majorité des peuples aborigènes, le rapport aux esprits, aux ancêtres, et à l’ensemble des éléments naturels tient une place essentielle. La société arctique, archaïque et traditionnelle, n’échappe pas à ce schéma. En effet,  dans la religion primitive sâme, on observe que les individus ont toujours entretenu une relation très étroite avec la nature. « Les forces de la nature » ont fait l’objet d’un certain culte, qu’il s’agisse du soleil, du vent, du tonnerre, de la lune ou bien encore des esprits des animaux ou des plantes, jusqu’à ceux des lacs, des montagnes des forêts etc. invoqués lors de cérémonies et de rituels chamans.

Peut-on considérer que les Sâmes ont des croyances religieuses communes aux autres peuples de l’Arctique ? Oui, explique Christian Mériot, ethnologue et anthropologue, spécialiste de la société sâme et auteur de Tradition et modernité chez les Sâmes (édition l’Harmattan) : qu’il s’agisse des Evenks, des Nenets, des Tchouktches, des Aléoutes etc., à chaque fois il s’agit de populations vivant des mêmes types de ressources.

Le tambour, instrument de communication entre les vivants et les morts.© Hans-Olof Utsi / Sametinget

Le tambour, instrument de communication entre les vivants et les morts.
© Hans-Olof Utsi / Sametinget

Christian Mériot : Pêcheurs l’été, chasseurs l’hiver, tous ces peuples avaient en commun une vie frustre, précaire et difficile car totalement dépendante des ressources naturelles. Ces données ont conditionné l’étroite relation que ces peuples ont toujours entretenu avec la nature. Spirituellement, ce sont des peuples animistes, pour lesquels une large place est faite aux esprits agents de l'environnement. Dans toutes les légendes et les mythes de ces peuples on relève des points communs. Ils sont tous marqués par l’empreinte du climat arctique, et dans les pratiques religieuses on retrouve partout le rôle du tambour de divination pour invoquer les esprits, prévoir, deviner, voire soigner. Un pouvoir qui revient au noai'di ou «chaman», lequel effectue des voyages extatiques pour résoudre les difficultés du groupe.

RFI : Autrefois animistes, puis christianisés, les Sâmes ont-ils gardé des traces de leur passé religieux ?

Lars Levi Laestadius (1800-1861)  « Voyages en Scandinavie et Laponie » 1839.(Tableau : domaine public)

Lars Levi Laestadius (1800-1861) « Voyages en Scandinavie et Laponie » 1839.
(Tableau : domaine public)

C.M. : Oui. Christianisés et religieusement acculturés, les Sâmes ont trouvé néanmoins des formes personnelles de récupération de leur spécificités religieuses avec le mouvement laestadien. Au  17e siècle, Laestadius, un pasteur d’origine sâme, s’était donné pour mission de sauver les Sâmes de l’état de déliquescence morale, juridique, sociale où ils se trouvaient à cause des ravages dus à l’alcool et de l'acculturation qu'on leur avait imposée sans ménagement. Ce pasteur a pris le parti de prêcher non pas dans la langue de l’état tutélaire mais en sâme, afin d’être mieux compris par les communautés, intégrant des rites chamaniques aux théologies protestantes. Il en est résulté une manière particulière sâme de vivre la religion chrétienne. Comme exemple pour illustrer cette ambiguïté religieuse: des Sâmes se disent investis du pouvoir d’arrêter des hémorragies sanguines -y compris par téléphone ! Je ne sais pas si cela relève de la psychanalyse ou d’autre chose mais de facto, j’ai pu le constater de mes propres yeux ! Et, pour ce faire, ils procèdent de manière incantatoire, utilisant des formules du type « Comme Jésus a arrêté les eaux du Jourdain, arrête ce flot de sang ! ». Ce qu'il est important de souligner c'est que par des cérémonies plaquées sur l'Eglise protestante d'Etat, ils ont réussi, en un sens, à reconstruire sur ce thème une identité sociale qui s'est même muée, parfois, en identité politique.

Nota Bene:

Depuis sa rupture avec l’Eglise catholique au 16e siècle, la Suède est restée un pays largement protestant. Pendant plus de quatre siècles, l’Eglise évangélique luthérienne a été l’Eglise d’Etat officielle, un statut perdu en 2000 lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.