par Solenn Honorine
Article publié le 31/01/2008 Dernière mise à jour le 01/09/2008 à 16:17 TU
Ces étoiles de mer, dévoreuses de corail, peuvent détruire un récif en 3 à 4 semaines.
© ARC, center of excellence for coral reef studies.
De notre correspondante à Jakarta
A peine s'est-il hissé sur le bateau que Terry sort de sa poche, d'une main soigneusement gantée, des poignées d'étoiles de mer hérissées d'épines. Etonnant de la part d'un homme qui normalement suit religieusement le sacro-saint principe des plongeurs : ne jamais ramasser quoi que ce soit sous l'eau. « Là, ce n'est pas pareil », grogne cet Australien. « Ca, c'est en train de détruire nos récifs ».
Les longues épines qui recouvrent le corps de l'acanthaster pourpre, surnommée « Couronne d'épines » ou « Couronne du Christ » constituent son arme de défense : touchez-les et vous en aurez pour un bon moment à douloureusement regretter ce geste. Mais ce n'est pas leur poison qui inquiète Terry : le danger vient du ventre de la bête. Car l'acanthaster pourpre est une dévoreuse de corail : elle se pose sur les massifs, et y diffuse des sucs digestifs, qui lui permettent de se nourrir des récifs. Un massif corallien en bonne santé peut supporter de 20 à 30 spécimens de ces étoiles de mer, lesquelles peuvent atteindre plus de 40 centimètres de diamètre. Mais si Terry prend soin, à chaque plongée, d'en ramener à bord autant qu'il le peut, c'est parce qu'elles menacent directement son gagne-pain.
Terry gère un centre de plongée à Bunaken, une île du Nord de Sulawesi dont la magnificence des fonds marins attire des touristes du monde entier et qui sont aujourd'hui victimes d'une explosion du nombre de ces étoiles de mer. « Dans les cas d'invasion, elles peuvent totalement détruire un massif corallien de plusieurs hectares en trois à quatre semaines », explique Steve Campbell, scientifique de la Wildlife Conservation Society (WCS). Steve Campbell est donc inquiet, car les étoiles de mer passent à l'offensive en plein cœur du « Triangle corallien ». Cette zone, qui comprend les Philippines, l'Est de l'Indonésie et qui s'étend jusqu'aux îles Salomon, est la plus riche en biodiversité marine au monde : on y trouve plus de six cents sortes de corail, soit les trois quarts des espèces mondiales.
Les fonds marins de Bunaken, menacés par l'invasion d'étoiles de mer.
© ARC, center of excellence for coral reef studies.
Lutte difficile
L'étendue de cette zone rend difficile l'étude en profondeur du phénomène. Une équipe de scientifiques australiens y a effectué plusieurs études, identifiant d'inquiétantes augmentations de populations d'acanthaster sur un large espace, de Aceh, (extrême Ouest de l'archipel indonésien) à Port-Moresby (Papouasie Nouvelle Guinée), jusqu'aux Moluques. « Mais il est impossible de dire s'il s'agit d'un même phénomène ou de plusieurs augmentations de population indépendantes », estime Andrew Baird, du Centre d'étude des coraux à l'université australienne James Cook.
La Grande Barrière de Corail en Australie avait déjà connu de telles invasions, dès les années 1970, puis à la fin des années 1990. Mais, en Indonésie, on manque de moyens pour surveiller la progression de l'invasion. Retirer les étoiles de mer une par une de l'eau est le seul moyen de lutter contre l'invasion ; mais s'il est pratiqué par Terry et d'autres propriétaires de clubs de plongée, cela ne peut qu'être localisé dans les zones touristiques où l'enjeu économique est important – ce qui ne représente qu’une infime minorité de la surface concernée.
Causes inconnues
La lutte pour protéger le corail est donc difficile, d'autant plus que les scientifiques divergent quant aux causes de l'invasion d'acanthaster. Certains affirment qu'il ne s'agit que d'un phénomène naturel, dû au fait que ces animaux ont un potentiel reproducteur très élevé : chaque femelle émet plusieurs millions d'œufs au cours de son existence, dont une fraction seulement sera fécondée. Il suffit donc que la fraction fécondée soit plus importante que la norme pour que le nombre d'individus explose.
Mais d'autres scientifiques pointent du doigt la responsabilité de l'homme. Elle serait liée, d’une part, à la surpêche des prédateurs naturels de l'acanthaster et, d’autre part, à la pollution générée par la proximité de villes mal équipées pour traiter leurs déchets ce qui pourrait favoriser la multiplication de ces étoiles de mer.
« Le cœur du Triangle corallien est brisé », estime Tasrif Katawijaya, du WCS. Il est difficile de prédire l'évolution de l'attaque des étoiles de mer. Si l'on se tient à l'expérience d'invasions précédentes, dans les années 1970, l'attaque du Triangle corallien devrait s'arrêter d'elle-même, le risque étant que, d’ici là, 20% des massifs coralliens touchés par l'invasion soient déjà détruits, dans cette région dont la richesse en biodiversité est exceptionnelle sur la planète.
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